Mais comment la SNCF se débrouille-t-elle pour que de petits incidents se transforment si souvent en déroute ?<!-- --> | Atlantico.fr
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SNCF trains tgv montparnasse
SNCF trains tgv montparnasse
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Perturbations et retards sur les rails

Depuis samedi soir, la SNCF a été victime d'une série d'incidents dans les secteurs de Dax, Morcenx, Orthez et Ychoux Ces incidents ont provoqué des pannes sur plusieurs trains dans le sud de l'Aquitaine. Loïk Le Floch-Prigent revient sur la stratégie de la SNCF.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Lorsqu’en Aquitaine un incident électrique conduit des centaines de voyageurs en difficulté en mal d’informations et de possibilités alternatives on se frotte les yeux : depuis des années on a le sentiment que la SNCF n’arrive pas à traiter convenablement les difficultés inéluctables d’une entreprise de transports collectifs. Que se passe-t-il donc ? Est-ce que notre niveau d’exigence a augmenté ou est-ce que les réactions effectives ne sont jamais plus à la hauteur des évènements ? Certes les réactions des médias sont importantes, le train est devenu un objet de fixation après les grèves endémiques et le désert de mobilité du au confinement, mais cela n’explique pas tout, loin de là, les voyageurs et l’ensemble du public considèrent  ne pas être correctement traités : pas d’informations, pas de secours, d’entraide, d’humanité émanant de la Grande Maison. 

Pourtant on est loin de la tradition des cheminots fiers de leur train, aptes à se « défoncer » pour minimiser les conséquences des retards, des accidents, et prêts à toute heure à se mobiliser sans compter pour accueillir et minimiser les conséquences d’une difficulté de trafic. Les nouveaux instruments mis à leur disposition, en particulier les téléphones portables, ne laissent aucune possibilité à la méconnaissance d’un problème et de ses conséquences sur le trafic, cette multiplication d’incidents-débâcles mérite donc une analyse plus approfondie. 

Une entreprise marche lorsqu’il existe un « esprit de corps » permettant à la plupart du personnel de se mobiliser en cas de coup dur. C’était la grande force de la SNCF accompagnée de son grand défaut, une culture de la grève et du préavis de grève insupportable pour les dirigeants comme pour les clients. Dans un monde sans alternative de mobilité, on finit par accepter de souffrir, mais avec la présence d’autoroutes et d’avions les incertitudes liées aux parcours par train ont fini par devenir insupportables, les entreprises ont ainsi été conduites à déserter le fret ferroviaire, et les voyageurs sont de plus en plus irrités par les mouvements d’arrêt de travail qui perturbent leurs mobilités. La SNCF a perdu beaucoup de sa force de cohésion devant des évènements non prévus tandis que les voyageurs ont été de moins en moins patients ou résignés. Les résultats des dernières grèves ont déçu les cheminots, le Gouvernement y a vu une victoire, mais il est souvent maladroit d’humilier un corps social qui ne pense alors plus qu’à la revanche. On mesure ainsi la dérive d’une entreprise avec une tradition de service public ancré, un dévouement sans faille, surtout dans les moments de difficultés en une entreprise très largement démotivée attendant avec lassitude les dernières mesures émanant des fonctionnaires, considérées comme de la « casse » d’un outil auquel ils ont consacré leur vie, et leurs parents et grand parents souvent avant eux. La première explication est donc bien celle d’un désillusion des cheminots à l’égard de ceux qui veulent à tout prix réformer leur outil de travail sans prendre en compte ses traditions et son histoire, plus encore son fonctionnement réel. 

Mais on ne peut pas arrêter là le diagnostic, il faut aussi parler de l’organisation car la volonté de créer deux sociétés distinctes, celle du réseau et celle du voyage a conduit à des dysfonctionnements majeurs à la base de l’activité ferroviaire. Tout est lié dans le train, le rail, la signalisation, la machine, la gare… c’est un métier avec des spécialités et des relations étroites entre les personnes qui poursuivent un but commun : « faire préférer le train ». Il faut que tout ce personnel travaille ensemble et échange de façon permanente à la fois pour prévenir les difficultés et les traiter au mieux. En instituant des réformes technocratiques et idéologiques on a institué plusieurs chaines de commandement, des hiérarchies à la fois redondantes et antagonistes et ainsi on a dilué les responsabilités, l’objectif étant de se disculper et non d’éviter les incidents. Le train est un monopole structurel, on ne va pas multiplier les emprises au sol pour les voies. En voulant  générer une concurrence en séparant le réseau du train, on n’a réalisé qu’un habillage, une satisfaction idéologique, et cette volonté a conduit à la distanciation entre les deux parties du personnel le statique et le roulant qui sont, en fait, les deux aspects indissociables du même corps de compétences. La conséquence c’est lorsque les incidents arrivent la communication se fait mal et porte essentiellement sur les questions de responsabilités et non sur les méthodes pour s’en sortir et surtout sur les actions à entreprendre pour soutenir les voyageurs. Il y a une grande solidarité historique des cheminots, mais l’organisation l’a faite voler en éclats et dix ans après on en récolte les conséquences… alors que les instruments de communication sont exceptionnels- ce sont d’ailleurs souvent les voyageurs qui sont les premiers informés, un comble- !

Enfin, devant les problèmes posés par le train et son caractère nationalisé, on a voulu faire porter au politique la responsabilité des mesures quotidiennes. Un incident et le Ministre parle et fait les annonces à la fois des causes des incidents et des mesures prises pour en amoindrir les conséquences. Mais alors pourquoi nommer un patron de l’entreprise ? Cela induit deux conséquences, la première c’est l’impossibilité d’avoir un débat technique, les ingénieurs et techniciens considérant que l’on est tout de suite hors de leur champ de compétences surtout quand ils entendent les âneries proférées par les responsables politiques. Or les incidents, en particulier électriques, ont des causes diverses qu’une analyse  pourrait préciser, mais qui dit politique dit justice, procès… et le monde scientifique et technique sait qu’il faut s’en éloigner. Il faudra alors attendre un « vieil » ingénieur qui n’a plus de carrière à faire pour savoir, un jour, ce qui s’est réellement passé. Le politique va dénoncer la vétusté, l’impéritie  de ses prédécesseurs, l’ingénieur parlera de maintenance et d’impasses budgétaires conduisant, non pas à dénoncer les années éloignées d’installation du réseau, mais l’absence de contrôles et de réparations due à la fois à la démotivation du personnel et à l’incompétence de certains sous chefs ou petits chefs désirant avant tout poursuivre une carrière au siège. Pour arriver à régler dans le futur ces problèmes d’entreprise il faut un véritable chef d’entreprise nommé par le pouvoir politique qui a une autonomie de gestion et qui porte la responsabilité pleine et entière du fonctionnement de sa maison ainsi que des collaborateurs qu’il a choisis. 

Dans une entreprise démotivée et désorganisée, on ne peut donc s’étonner des incidents, inéluctables, qui se transforment en drames médiatiques. Le fait de dire, un jour, que l’on va supprimer les petites lignes, puis un an après que l’on va les revaloriser, le fait de vouloir supprimer le fret ferroviaire l’année dernière, puis d’en faire l’éloge six mois après sont l’illustration de l’incohérence manifeste du politique et du médiatique à l’égard du train. C’est aussi un des aspects de la démotivation du personnel qui sait désormais ne pas avoir à se nourrir de bonnes paroles mais qui veut des actes clairs. Les cheminots veulent savoir une chose, où va le train ? On a beau leur dire que la politique est claire, ils la trouvent de plus en plus opaque, aussi bien à l’égard du rail que d’eux-mêmes. Il est facile de manifester une irritation à l’égard de la culture de la grève qui n’aide pas, c’est vrai, la recherche de solutions, mais les cheminots ont envie de sauver « leur train » : ils sont humiliés collectivement lorsque des évènements comme celui d’Aquitaine ont lieu et ils ont d’abord envie de trouver des solutions. Des objectifs clairs, un patron, des mesures prises après analyse, concertation et explications et un retour à des procédures acceptées et suivies lors des incidents en particulier électriques, permettraient de retrouver une confiance du personnel, des voyageurs et des autres utilisateurs du rail qui est une conquête des hommes inégalable.   

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