Mai 2020 / Mai 2021 : le match des déconfinements <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre, Jean Castex, s'exprime lors d'une conférence de presse sur la stratégie du gouvernement face à la pandémie de Covid-19.
Le Premier ministre, Jean Castex, s'exprime lors d'une conférence de presse sur la stratégie du gouvernement face à la pandémie de Covid-19.
©Ludovic MARIN / AFP / POOL

Efficacité de la lutte contre la pandémie

Alors que le Premier ministre a annoncé les conditions et le calendrier d’un progressif retour à la normale, le déconfinement de 2021 est-il de taille à mieux nous protéger de potentielles vagues à venir ?

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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1- Contexte épidémiologique (incidence, taux de vaccination, variants, etc.) 

Guy-André Pelouze : En mai 2020, le premier déconfinement a lieu dans un contexte très particulier. Il survient après une phase sporadique de l'épidémie, c'est-à-dire la phase initiale d'une pandémie qui est en train de se généraliser à un pays parce que celui-ci n'a pris aucune mesure ni à l'intérieur, ni à ses frontières pour éviter la propagation. Le déconfinement s'est toutefois produit dans un contexte épidémique relativement calme. La transmission était très faible, autour de 7 cas par million d'habitants. On est tombé à 3,94 cas confirmés par million le 26 mai. Cela traduisait le fait que le virus n'était pas répandu dans tout le pays. On le trouvait principalement en Ile-de-France, dans le Grand Est, dans le Nord, en PACA et du côté de Lyon. Dès l'été, sans forcément parler d'explosion, l'épidémie est repartie à la hausse. La première phase endémique a alors eu lieu avec le pic de contaminations observé en novembre. Depuis, on n’est jamais vraiment descendu, le fameux plateau est en réalité une montée persistante et relativement linéaire jusqu'à une nouvelle accélération qui s'est produite en mars. 

En mai 2021, contrairement au premier déconfinement, on ne sera pas dans une situation de redescente de la transmission. Le 17 avril, on était à 669 cas par million d'habitants. Aujourd'hui, les gens positifs (il y en a 30 000 par jour confirmés, le double en réalité en raison des asymptomatiques et de ceux qui ne sont pas testés) contaminent toujours un peu plus d'une autre personne pendant leur période contagieuse. Le 20 avril, nous avions un taux de reproduction (R0) de 1,06. Or tant qu'on est au-dessus de 1, l’épidémie continue de progresser. Ce "déconfinement" survient dans un contexte totalement différent du premier et on peut donc légitimement être inquiet.

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Charles Reviens : Il faut surtout poser la question à un épidémiologiste mais il est possible de comparer la situation à date avec les prises de parole des pouvoirs publics, par exemple sur la base du bilan hebdomadaire publié par Santé Publique France hier 22 avril 2021.

Concernant les nouveaux cas covid détectés, la France est sur un plateau de 30 000/35 000 nouveaux cas détectés par jour. C’est aujourd’hui très supérieur aux chiffres des voisins allemands (20 000) et britanniques (2 500), et en outre très supérieur à l’objectif de 5 000 contaminations par jour évoqués par Emmanuel Macron lors de son adresse aux Français du 24 novembre dernier pour conditionner la fin du second confinement. L’heure est donc toujours à « vivre avec le virus ».

Concernant la vaccination, la France suit le rythme de l’Union européenne. 19,1% de la population a reçu une dose, un taux que le Royaume-Uni, aujourd’hui à 48,8 , avait atteint le 9 février dernier soit deux mois et demi de retard pour la France par rapport aux voisins britanniques.

L’importance de la vaccination au Royaume-Uni va de pair avec l’effondrement du nombre de cas et de décès au Royaume-Uni, qui depuis début janvier 2021 passé de près de 900 cas et 15 décès par jour et million d’habitants à 37 cas et 0.4 décès.

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2- Modalités concrètes du déconfinement : comment se déroule-t-il ? 

Guy-André Pelouze : En mai 2020, le déconfinement s'est fait sans trop de difficultés car le virus se trouvait dans des foyers relativement localisés dans le pays. Aujourd’hui, le virus est présent partout et comme on ne fait pas plus d'efforts aujourd'hui qu'on en a fait avant pour casser la transmission, c'est une situation dangereuse. On lève les limites aux déplacements des personnes dans un contexte très tendu. Dès lundi, les écoles vont rouvrir. Mais ouvrir les écoles sans tester les gamins avant la rentrée, c’est inconscient. Si on s’aperçoit mercredi qu’il y avait des enfants positifs dans le lot, il sera trop tard ! Si on testait les enfants avant la rentrée, on couperait la circulation dans les écoles, et donc dans les familles. Cela fait un an qu’on sait que les écoles sont un lieu à risque. Dès avril 2020, le virologue allemand Christian Drosten, co-découvreur du génome du virus, nous informait que les enfants transportent la même charge virale que les adultes et transmettent tout autant le virus. On a préféré ne pas le voir.

On mise sur la vaccination pour changer la donne du taux de reproduction et donc de la transmission. Au lieu de s'appuyer les piliers de lutte anti-covid (masques, éloignement, isolement). On peut effectivement espérer que les choses aillent mieux. Il y aura un effet saisonnier qui va se combiner avec la vaccination. Mais on se trompe de miser seulement sur la vaccination, non pas parce qu'elle est inefficace, mais parce qu'elle va prendre du temps.

Charles Reviens : Il faut d’abord sur rappeler ce qui s’était passé lors du premier déconfinement commencé le 11 mai 2020, élaboré alors par Jean Castex en tant que « Monsieur Déconfinement » ;

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  • réouverture de 400 000 entreprises le 11 mai (centres commerciaux, coiffeurs, fleuristes, libraires) et des bars et restaurants le 2 juin ;
  • réouverture des écoles, collèges et lycées ;

Sur les comportement individuels, il n’y avait eu ni de limitation ni réellement de pédagogie notamment pour dissuader les interactions sociales très génératrices de contamination, une stratégie pourtant au cœur de l’approche japonaise de la pandémie et ses 3 C (closed/crowded/close contact).

La pandémie était repartie à la hausse et il avait fallu globalement tout refermer et reconfiner à l’automne une première fois, au  printemps une seconde fois, dans l’itération confinement/déconfinement qui est le corollaire du choix de « vivre avec le virus », mais avec une impressionnant liste de limitations de libertés dont on a une bonne synthèse à date sur le site service-public.fr :

  • restriction de la liberté d’aller et de venir, avec une assignation à résidence de fait dans la limite de 10 kilomètres autour de son domicile ;
  • restriction des libertés économiques et sociales, avec fermeture des commerces non essentiels et des lieux d’enseignement, des restrictions de distribution de certains produits comme les autotests par la grande distribution ;
  • restriction de la liberté de rassemblement au-delà de 6 personnes ;
  • encadrement des comportements : port du masque obligatoire, télétravail obligatoire, attestations en tout genre obligatoires, interdiction de contacts sociaux élémentaires (embrassades, poignées de main).

Le déconfinement annoncé par les pouvoirs publics le 3 mai prochain constitue une nouvelle variation du « confiné déconfiné » à la française :

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  • disparition de la restriction d’aller et de venir en journée au-delà de 10 kilomètres à compter du 3 mai mais maintien du couvre-feu « jusqu’à nouvel ordre » ;
  • réouverture des écoles le 26 avril, des lycées et collèges en demi-jauge à compte du 3 mais fermeture immédiat en cas de présence d’un cas dans la classe ;
  • ouverture «  par étapes et prudente » des commerces à compter de mi-mai et sous réserve d’une amélioration des indicateurs sanitaires.

Le niveau français de restriction est désormais plutôt plus élevé qu’ailleurs. Au Royaume-Uni les écoles ont réouvert leurs portes le 8 mars avec généralisation des autotests et l’essentiel des commerces et des lieux d’hospitalité le 12 avril. Les terrasses ont également réouvert à Genève.

3- Modalité de suivi de l’épidémie et de la réduction des contaminations (mesures de tests, de traçage et d'isolement, séquençage, gestion des frontières)

Guy-André Pelouze : Aujourd'hui, on estime que 74% des Français portent correctement le masque – encore ça me parait optimiste. Ça n'est pas assez. Un petit tiers suit les consignes de distanciation physique. L'isolement des cas positifs n'est effectif qu'à 5 à 10 %. C'est un échec du gouvernement et des Français. On n'a pas besoin de l'Etat pour savoir qu'il faut s'isoler quand on est positif. Certes il fallait rendre l'isolement contraignant, mais beaucoup de gens n'assument pas leur responsabilité dans la pandémie et refusent de s'isoler. Je ne vois pas d'amélioration là-dessus depuis un an. Les gens ne savent pas réellement comment faire car il faut suivre un protocole strict pour que ce soit efficace. On n’a pas arrêté de changer la durée d'isolement et les gens n'y comprennent plus rien. Il fallait laisser la durée à 2 semaines parce que c’était une mesure emblématique et bien comprise. Deux semaines d'isolement bien respectées, ce n'est rien comparé à des mois de confinement. Sur le tracing, on utilise toujours aussi peu les datas. En France on trouve moins de 5 cas contacts par cas positifs, contre une vingtaine en Corée du Sud.

Aux frontières, l’annonce du gouvernement de contrôler les voyageurs en provenance du Brésil est une opération d'affichage parce que les Français ne comprenaient plus qu'on puisse arriver d’un pays où l’épidémie flambe impunément sans contrôle. Pourtant les contrôles sont encore loin d'être effectifs. Et dans la situation d'urgence où nous sommes, ce ne sont pas les gens qui viennent du Brésil à qui il faut imposer une quarantaine, c'est tous les voyageurs entrants ! Des pays très démocratiques le font. C'est à la fois plus simple et plus efficace. SI les frontières sont ouvertes, l'état d'urgence sanitaire ne se justifie plus. On oublie qu'au tout début de la crise, on a rapatrié des Français de Chine en les plaçant deux semaines en quarantaine dans des locaux fournis par l'Etat. Pourquoi est-ce qu'on ne le fait plus ? Résultat, on n’a rien fait pour stopper le variant anglais et on n'en fait pas assez pour stopper le variant brésilien ou indien.

Concernant la politique de tests, on s'est aligné sur tout le monde depuis l'année dernière (autotests, tests salivaires) mais on le fait toujours avec retard. On a freiné l'offre en interdisant aux grandes surfaces de vendre les autotests. Notre réglementation fait que ce sont des dispositifs médicaux, c'est un problème, ce n'en sont pas. Résultat sans concurrence, le Français paye plus cher. Les Français ont intérêt à avoir des tests disponibles partout pour se tester eux-mêmes. Ça rend le recours au diagnostic plus fréquent. Ça donne une compréhension plus collaborative de la maladie. L'avantage de ces tests, c'est que le diagnostic est quasi certain quand il revient positif. Effectivement il peut y avoir des faux négatifs. Mais si le test revient positif il faut s'isoler. On nous a dit qu’il fallait le confirmer avec un test PCR, dans l'idéal oui peut-être, mais en faisant ça vous allez contaminer d’autres gens, mieux vaut se mettre tout de suite à l'isolement. 

Charles Reviens : Concernant les tests, la pénurie de tests PCR et antigéniques avait constitué un enjeu polémique juste après les carences identifiées en matière de masques et de lits de réanimation. La novation d’aujourd’hui concerne les tests salivaires et les autotests. Les annonces gouvernementales d’hier couplent la réouverture des écoles à la mise à disposition de 400.000 tests salivaires proposés chaque semaine aux écoles élémentaires (600 000 à la mi-mai) et de 64 millions d'autotests pour les personnels de l'Éducation nationale» le 26 avril et des lycéens le 10 mai. On note toutefois le choix gouvernemental de ne pas autoriser la distribution des autotests par la grande distribution.

Le traçage demeure un point de faiblesse important du dispositif français. Les différentes version de l’application publique de traçage ont connue différents déboires et n’a pas eu d’impact alors que cet outil est au cœur de la performance de la Corée du Sud. Il n’y pas ni mise en place d’un réseau de plusieurs dizaine de milliers d’épidémiologistes de terrain (12 000 contact tracers au Vietnam pour un niveau de contamination très faible pour le pays), ni mise en place d’un traçage rétrospectif et au final beaucoup moins de cas contacts identifiés (1,4 cas contact par malade identifié en France contre 17 à Taïwan)

L’isolement des personnes à risques demeure en France une démarche volontaire sans réel dispositif logistique le rendant possible et acceptable.

Concernant enfin le contrôle des frontières, le dispositif français s’est durci mais à partir de 2021, avec globalement un an de retard sur les pratiques des pays d’Asie-Océanie. Il faut un « motif impérieux » pour venir en France si l’on arrive d’un pays hors espace européen ou d’un pays où la pandémie est maîtrisée et la quarantaine vient d’être instaurée pour les voyageurs arrivant du Brésil, d'Argentine, du Chili et d'Afrique du Sud.

Ce dispositif demeure très libéral au regard des pratiques de Singapour et même du Royaume-Uni qui s’en est inspiré : séjour obligatoire de dix jour en hôtel agréé par le gouvernement et facturé 2 000 euros si l’on vient d’un pays inclus dans la liste rouge, isolement dans un lieu de son choix mais avec appel quotidien de contrôle pour les autres.

Au final les difficultés en matière de test, de dépistage, d’isolement et de contrôle des frontières finissent pas se traduire par une situation sanitaire médiocre conduisant à des restrictions économique et sociales très puissante pour l’ensemble de la population.

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