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M. Laine : "Il faut se méfier de tous ceux qui promettent une société parfaite. Ils vous vendent du rêve mais vous servent toujours le pire des cauchemars"
©Reuters

Marchand de sable

Auteur du "dictionnaire amoureux de la liberté", Mathieu Laine fait l'éloge de la liberté pour mieux répondre aux attentats qui ont frappé la France l'an passé. Néanmoins, si la liberté est la condition première et essentielle du bonheur, il convient de la manier avec précaution.

Mathieu Laine

Mathieu Laine

Mathieu Laine dirige le cabinet de conseil Altermind.

Essayiste, il a publié entre autres le Dictionnaire du Libéralisme (Larousse, Avril 2012), ainsi que le Dictionnaire amoureux de la liberté (Plon, Janvier 2016).

Il est aussi l'un des actionnaires d'Atlantico.

Transformer la France - Mathieu Laine & Jean-Philippe Feldman

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Atlantico : Vous publiez le dictionnaire amoureux de la liberté (Plon), et ce, dans un climat assez peu favorable aux idées libérales (Réfugiés et libre circulation, contexte de crise économique, terrorisme, etc..). Comment interprétez-vous ces bouleversements ? En quoi considérez-vous le libéralisme comme une réponse ?

Mathieu Laine : La Liberté est la meilleure réponse à apporter aux difficultés qui nous assaillent ! Les Français l'ont d'ailleurs compris en la hissant spontanément au sommet des pancartes après les attaques dramatiques ayant frappé notre territoire. Car c'est bien la liberté, notre liberté, qui a été visée : liberté de caricaturer, de nous exprimer, de rire, de se retrouver à la terrasse d'un café ou dans une salle de concert. Notre liberté de vivre, et donc le cœur de notre civilisation ! La liberté, c'est le moteur splendide du génie humain. Plus les enjeux sont complexes, plus nous devons faire appel à l'intelligence collective, aux talents de tous. Qui croit encore en la capacité d'un seul cerveau, fut-il élu et alors même qu'il cherche à l'être à nouveau, pour décider à notre place ? C'est en redistribuant le pouvoir à chacun et en répondant positivement à l'injonction "Soyons libres d'abord !" que nous trouverons les clés d'un monde meilleur. En France, nous avons parfois un rapport complexe à la liberté. Et encore, je ne vous parle pas du libéralisme ! Je n'ai d'ailleurs, volontairement, pas écrit un dictionnaire amoureux du libéralisme mais bien un dictionnaire amoureux de la liberté ! Tout en ne reniant évidemment pas mon engagement libéral, j'ai volontairement écrit un balade amoureuse, plus personnelle et moins dogmatique que mes précédents livres, offrant une opportunité de se plonger dans tout ce que la liberté a de beau. On y croise d'ailleurs des géants de la littérature (Hugo, Chateaubriand, Baudelaire, Proust, Camus ou La Fontaine), des peintres et artistes plastiques que j'admire (de Delacroix à Weiwei), des compositeurs fabuleux (Mozart, Beethoven, Verdi ou le contemporain Karol Beffa), de grands penseurs de la liberté, aussi, bien sûr (Constant, Madame de Staël, Bastiat, Aron, etc.) mais je me plonge également dans le monde de l'architecture, de la sculpture, du voyage, de la danse, du cinéma, de la chanson française, de la philosophie, etc. On y fréquente aussi de grands inventeurs et de grands entrepreneurs ainsi que des héros de la résistance (au communisme, de Orwell à Simon Leys ; au nazisme, de Zweig à Mann ; à l'islamisme contemporain avec Daoud et Sansal, deux romanciers algériens qu'il faut lire sans relâche, sans oublier Camus, Char ou même Tocqueville sur la tyrannie soft !). C'est une véritable ode gourmande et personnelle à la liberté ! Je n'évite cependant pas les sujets contemporains et sensibles, tout ce qui, à la marge du génie créatif de la liberté, fait débat. J'affronte ainsi l'uberisation, le terrorisme, la GPA, le voile islamique, la lutte contre la pauvreté, la liberté d'expression ou la stratégie économique. Mais le cœur de ce livre consiste avant tout à rappeler, en passant un héritage culturel aussi personnel qu'universel au filtre de l'amour de la liberté, combien cette dernière est un vecteur de création et d'invention, et même, j'en suis convaincu, la condition essentielle du bonheur, de la confiance en soi. La liberté nous permet de devenir ce pour quoi nous sommes faits et nous rappelle que l'homme libéré est notre dernière chance ! En ces temps incertains, la liberté n'a jamais autant mérite qu'on l'aime ! Elle est enfin, ne l'oublions jamais, une exigence car elle implique la responsabilité et le respect de l'autre, parce qu'il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. La liberté, c'est aussi et avant tout une éthique de vie. 

>>>>>> Lire aussi : “Dictionnaire amoureux de la liberté” La liberté chez Houellebecq : celle de créer, de se distinguer et de s'émanciper par son originalité et son autonomie de ton

M Comme mondialisation. Vous citez une étude mettant en avant les bienfaits de la mondialisationsur la création d'emplois. Or il s'agit principalement d'emplois qualifiés. Dès lors, quelle place donner à ceux qui sont les moins qualifiés, car ce sont eux qui votent Donald Trump ou Marine Le Pen ?

Allez également à C comme Cocu ! On peut être un amoureux de la liberté et dénoncer ceux qui en abusent. Je ne suis pas un stalinien de la liberté, aveuglé par son idéologie et ses croyances. On peut - heureusement ! - être amoureux sans sombrer dans la passion criminelle ! Dans l'entrée Cocu, je dénonce Dieudonné abusant de la liberté d'expression pour proférer des horreurs, le patron se comportant mal, le machisme crétin, l'impuissance des Tartuffe des temps modernes prêts à voiler toutes les femmes pour résister à leurs instincts animaux ou le capitalisme de connivence. Il faut pour autant toucher à la liberté avec les mains tremblantes ! Concernant la mondialisation, une société de liberté n'est pas une société parfaite mais une société en perpétuel mouvement où la rente doit être traquée et l'égalité des chances constamment recherchée. Il faut se méfier de tous ceux qui promettent une société parfaite. Ils vous vendent du rêve mais vous servent toujours le pire des cauchemars : le totalitarisme, l'écrasement des libertés individuelles. Nous vivons aujourd'hui des moments de rupture, et si certains emplois qualifiés sont créés, je vois bien ceux qui souffrent, y compris et à des degrés majeurs dans mon Nord natal, qui, au passage, a su - heureusement - préférer Xavier Bertrand à Marine Le Pen ! Je vois des gens qui ont été formés à des métiers en voie d'extinction et qui ne retrouvent pas d'emploi. Je crois toutefois qu'il serait criminel de leur mentir, de leur assurer que l'Etat peut les sauver sans apprendre un autre métier ou changer de région. Mais il est tout aussi faux de dire que nous n'aurons que des emplois très qualifiés en Occident. Car ce n'est et ne sera jamais la fin de l'histoire ! L'inventivité humaine libérée permettra d'offrir une opportunité de travailler au plus grand nombre, les plus comme les moins qualifiés. D'autres pays qui jouent pourtant plus que nous le jeu de la mondialisation ont d'ailleurs des taux de chômage plus faibles que le nôtre ! Regardez l'Allemagne, qui exporte deux fois plus que nous ! Observez le Royaume Uni et son taux de chômage deux fois inférieur au notre ! Le premier responsable du chômage, ce n'est pas la mondialisation mais l'étatisation, le refus coupable de 30 ans de gouvernements de droite et de gauche renonçant systématiquement à la réforme radicale ! Il n'y a pas de secret : il faut recréer des incitations à créer en libérant les énergies par un assouplissement franc du droit du travail et la baisse massive de la pression fiscale. Il faut aussi laisser les nouveaux modèles se déployer. Tous ceux qui, venant majoritairement des banlieues, n'ont même pas la chance du premier entretien d'embauche et qui ont désormais le choix de s'inscrire chez Uber, Chauffeurs privés ou Le Cab plutôt que de pointer inutilement à Pôle emploi ne peuvent voir leur avenir embrumé par les tenants de la rente ! La mondialisation a par ailleurs créé des emplois partout dans le monde et près de 1 milliard de personnes sont sortis de la pauvreté depuis les années 90... On fait pire comme monstre froid !

La progression du libéralisme économique et du consumérisme sont régulièrement associés à l'acculturation des sociétés occidentales. Comment le libéralisme peut-il apporter une réponse à cette supposée acculturation ?

Ce livre offre une preuve, je l'espère, que l'on peut être un amoureux absolu de la liberté et avoir une vraie appétence pour le monde culturel. On y croise moins d'économistes que des Joseph Kessel (que je lis intégralement en ce moment : quelle plume, quel génie - j'adore ces auteurs ayant choisi librement de déployer leurs talents au sommet dans deux ou trois fonctions, en l'espèce le reportage journalistique et la littérature !), Mario Vargas Llosa ou Michel Houellebecq. C'est un livre que j'ai voulu empli de culture, précisément pour répondre à ceux qui nous accusent d'économisme inculte ! Pas pour frimer ou donner des gages, évidemment, mais pour déguster, savourer, se nourrir de la vérité romanesque et du génie artistique. Aimer la liberté, c'est aimer la création, la rencontre vertueuse des talents.  D'ailleurs, tous les totalitarismes, y compris l'Etat islamique s'en prenant à Palmyre, à la musique, à la pensée, décident dès leur prise de pouvoir de tuer les intellectuels et la culture. C'est flagrant dans le sublime film Timbuktu de Abderrahmane Sissako. Les tyrans de tous les temps ont toujours su que l'esprit critique, l'ouverture aux autres et au beau, l'élan créateur font émerger une vérité qui les dérange. Vous constaterez que si l'histoire, on le sait, est tragique, la liberté triomphe toujours ! Restons donc vigilants, optimistes et combattifs !

Évitons aussi de sombrer dans le piège arrogant de nos nouveaux maîtres à penser.  Qui serais-je pour dénigrer un téléspectateur aimant regarder une émission de télé-réalité ou un talk-show de Cyril Hanouna ? Michel Onfray, soumis à la drogue dure de la morgue médiatique, qui a rompu bien vite son jeûne après avoir été cité en exemple par l'Etat islamique lui-même (!), n'en rate décidément pas une ! Le nivellement par le bas, l'acculturation proviennent davantage du socialisme nivelant et supprimant les humanités, celles qui ont permis à mon grand-père, né d'un père envoyé à la mine à huit ans, de démontrer qu'il avait un cerveau et de forcer le destin pour devenir un médecin fou d'histoire, de géographie et de tolérance religieuse ! Mais comme l'explique le fantastique sociologue cognitif Gérald Bronner, à qui je consacre également une entrée, les caricatures et les idées reçues ont la vie dure... A nous de nous en libérer !

Nous vivons dans des sociétés libérales. Quels sont les efforts à fournir afin de rendre le libéralisme satisfaisant ? Quelles sont ses limites ?

Gardons-nous des raccourcis : nous ne vivons pas dans une société de pleine liberté et ce combat a un bel avenir. Nous en bénéficions évidemment bien plus que d'autres, mais nous n'avons pas encore fait la moitié du chemin. Nos habitudes et nos réflexes d'interventions, de limitations, de réglementations à tous les étages, de restrictions et d'interdictions vont croissant. J'en veux pour preuve, même si je peux le comprendre sur un temps limité et sans se départir d'une certaine vigilance, la mise en place de l'état d'urgence. Notre pays est menacé et il faut se protéger. La liberté aurait bien peu de saveur si la sécurité des personnes et des biens n'était pas assurée. C'est même le rôle premier de l'Etat. Mais attention ! Quand la liberté est en danger, c'est la liberté qu'il faut avant tout sanctifier ! Ne jouons pas trop les "enfants gâtés" de la liberté. Ne nous laissons pas aller. Je crois au pouvoir de la volonté, à la puissance de la liberté, à notre capacité à redresser les déterminismes. A nous de nous prendre en main !

Considérez-vous que nous assistons, aujourd’hui, à un retournement de tendance politique ? Entre un libéralisme économique porté par Emmanuel Macron ou François Fillon, dont vous être proche, et une politique sécuritaire développée par François Hollande ?

Nous assistons il est vrai à un véritable effet ciseau broyant profondément les frontières périmées de la gauche et de la droite. Aujourd'hui, le monde politique oppose surtout les nostalgiques conservateurs rêvant de se replier sur eux-mêmes derrières des frontières bien fermées et les optimistes ouverts au monde et aux autres sans pour autant sombrer dans un relativisme béat. Comment se distinguer désormais ? Le discours sécuritaire ? Il est devenu mainstream !  Il reste donc la vision de la société et son modèle économique. Les Français sont d'ailleurs plus préoccupés par le chômage que par le terrorisme, et en ont manifestement assez qu'on les enserre de réglementations. Alors que la droite et la gauche ont, par manque de courage, coupé sèchement les budgets de l'Etat régalien pour préserver les 600 milliards de dépenses sociales par an, la liberté offre une alternative valorisante et puissante qu'il devient urgent d'explorer. Je salue ainsi régulièrement la vision d'Emmanuel Macron, l'un de ceux qui a le mieux compris le nouveau monde et le génie inéluctable d'une société libérée, se reformant par elle-même. Gageons que la logique politicienne du couple exécutif ne massacre ses propositions les plus audacieuses, ce qui offrirait toutefois à Macron l'opportunité de marquer nettement sa différence. Je m'inquiète aussi de la droite, incitée institutionnellement à ne pas innover pour ressembler au premier tour et battre Marine Le Pen au second. Je n'ai pour le moment vu aucune proposition économique novatrice ou ambitieuse chez Alain Juppé, le fils un peu trop naturel du XXe Siecle et de Jacques Chirac, ou chez Nicolas Sarkozy, emporté par un étrange syndrome adolescent ("je veux tout, je sais tout, je peux tout"). Seul François Fillon a travaillé, compris et mûri un projet à la hauteur des enjeux actuels. En 2017, il faut absolument que concourt au moins un vrai amoureux de la liberté ! A nous d'y travailler, en liberté !

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