Lutte contre la pauvreté : pas d’espoir d’efficacité sans comprendre ce qui relève du contexte et ce qui relève des responsabilités individuelles<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls a présenté mardi 3 mars sa feuille de route 2015-2017 du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté.
Manuel Valls a présenté mardi 3 mars sa feuille de route 2015-2017 du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté.
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La part des choses

Manuel Valls a présenté mardi 3 mars sa feuille de route 2015-2017 du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté. La mesure phare est la "Prime d'activité", qui vient remplacer le RSA et la Prime pour l'emploi. Une manière de rebaptiser les dispositifs déjà existants, sans dresser le diagnostic qui s'imposerait.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Maryse Bresson

Maryse Bresson

Maryse Bresson est enseignant-chercheur en sociologie à l'UFR des sciences sociales et au laboratoire Printemps, UVSQ. Elle est notamment l'auteur de la Sociologie de la précarité, aux Editions Armand Colin. 

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Thierry Get

Thierry Get

Thierry Get est ingénieur. Il est membre du bureau politique de La Droite libre et du CNIP. Son groupe sur Facebook ici

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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  • Manuel Valls a annoncé mardi 3 mars la création d'une "prime d'activité" pour les travailleurs qui gagnent jusqu'à 1 400 euros. Selon le Premier ministre, cette aide devrait concerner entre quatre et cinq millions de personnes, dont 700 000 à 1 millions de jeunes. 

  • Manuel Valls a précisé que ce nouveau dispositif serait "incitatif, un dispositif qui encourage et accompagne la reprise d'activité". Cette nouvelle mesure a vocation à remplacer deux autres systèmes actuels, la prime pour l'emploi (PPE) et le RSA-activité.

  • Selon les époques, les critères déterminants de la pauvreté en France ont évolué, empêchant d'avoir une bonne vision de sa progression. Aujourd'hui la pauvreté est indexée sur le revenu médian, faisant qu'un "pauvre" en 2012 est environ 17 % plus riche qu’un "pauvre" en 1996.

  • La montée des inégalités sociales explique en grande partie l'augmentation de la pauvreté en France.

  • La durée importante de l’indemnisation du chômage est un piège car les chômeurs de longue durée ont du mal à retrouver du travail. Or cette durée incite les chômeurs à réduire l’intensité de leur activité de recherche d’emploi.

  • Le gouvernement gagnerait plutôt à réformer les politiques publiques qui nuisent aux pauvres.

Atlantico : "On assiste à une massification de la pauvreté. La France compte 4 millions de chômeurs, 3,5 millions de mal logés et 8,5 millions de ménages pauvres", déclarait mardi 3 février Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, dans 20 minutes. Comment la situation de pauvreté se présente-t-elle aujourd'hui en France ?

Gilles Saint-Paul : Il faut garder à l’esprit que le seuil de pauvreté est défini en France de façon relative, comme une proportion du revenu médian. Cela signifie que dès lors que les ménages les moins riches voient leur revenu croître plus lentement que le revenu médian, le nombre de pauvres selon cette définition augmente alors même qu’il est parfaitement possible que tout le monde, y compris les "pauvres", s’enrichisse. Ainsi, un "pauvre" en 2012 est environ 17 % plus riche qu’un  "pauvre" en 1996. Il faut donc être prudent sur l’interprétation de ces données dont le libellé est trompeur. Il s’agit plutôt d’une mesure d’inégalité de revenus que d’une mesure de pauvreté stricto sensu.

Laurent Chalard : Sur le plan géographique, au niveau national, la pauvreté est assez inégalement répartie sur le territoire. Elle apparaît importante dans deux principaux types d’espace : les quartiers populaires des grandes métropoles à forte concentration de populations d’origine étrangère (certaines communes de Seine-Saint-Denis, Roubaix, Vénissieux, les quartiers "nord" de Marseille…), dont l’insertion sur le marché du travail métropolitain est bridée par leur faible niveau de diplôme, et les anciennes régions industrielles du nord-est du pays, où les descendants des ouvriers qui travaillaient dans l’industrie lourde n’ont pas réussi à se reconvertir, dans un contexte de diversification limitée du tissu économique local. Certaines communes du Nord-Pas-de-Calais, comme l’ancien bastion sidérurgique de Denain dans le Nord, présentent des situations de pauvreté équivalentes à la Seine-Saint-Denis.

Sur le plan humain, il faut faire attention à l’utilisation des mots, la "pauvreté" en France n’est quasiment jamais absolue, c’est-à-dire le fait de vivre avec moins de 2 dollars par jour à l’échelle internationale, ce qui ne permet pas d’avoir les moyens de subvenir à ses besoins primaires : se nourrir, se vêtir, se loger. En France, nous avons une pauvreté relative, c’est-à-dire rapportée à ce que l’on juge comme étant le minimum vital pour vivre décemment, en l’occurrence des revenus inférieur à 60 % du niveau de vie médian selon l’Insee, soit 987 euros par mois en 2012, ce qui fait plus de 40 dollars par jour ! Nous sommes donc bien face à un problème relatif. En outre, le nombre de pauvres a tendance à être surestimé car les données statistiques de l’Insee reposent sur les revenus officiels déclarés, or le travail au noir et l’économie illégale (les revenus de la drogue dans les quartiers difficiles sont considérables) sont largement répandus dans les classes populaires, ce qui fait que dans la réalité, leurs revenus réels sont souvent sous-estimés.

Cependant, la fondation Abbé Pierre signale un fait inquiétant qui est la progression du nombre de mal logés, le logement étant un besoin primaire. Il témoigne d’une inadéquation du marché immobilier dans les grandes métropoles par rapport à la demande. En effet, il convient de rappeler que si certaines agglomérations ont un marché de l’immobilier sous tension extrême (en particulier l’Ile de France), dans d’autres parties du territoire, les logements vacants ne trouvant pas preneurs sont nombreux. C’est surtout le produit d’une politique du logement et d’aménagement du territoire inefficace. L’Etat et les collectivités locales portent une lourde responsabilité dans cette situation indigne d’un pays riche comme la France.

Maryse Bresson : Aujourd'hui un Français sur sept est considéré comme pauvre en France, révèle l'Insee (14,3%, chiffre en augmentation depuis 2008). Récemment, aux alentours des années 2000, les taux de pauvreté ont augmenté en France comparé aux décennies précédentes. En 2012-2013, nous avons enregistré une très forte montée de la pauvreté. C'est un tournant car depuis l'après-guerre la dynamique était au recul de la pauvreté, et à la stabilisation dans les années 80. Qu'elle augmente de nouveau, on ne s'y attendait pas. En 2012 le seuil de pauvreté était fixé à 987 euros par mois. Pour les ménages, en fonction du nombre de personnes, les revenus sont divisés par moins de 2 pour calculer ce seuil, car il y a mutualisation des revenus. Si le revenu médian a été préféré au revenu moyen pour établir le seuil de pauvreté, c'est parce qu'avec l'augmentation très importante des revenus en haut de l'échelle, le nombre de pauvres aurait été pulvérisé. Le choix du revenu médian était donc un moyen d'écraser sur le plan statistique le creusement des inégalités entre les plus riches et les moins riches.

La Seine-Saint-Denis est la plus touchée avec un taux de pauvreté de 20,7%. A l'opposé, les Yvelines concentrent 8,2% d'individus sous le seuil de pauvreté. On observe également une forte concentration de la pauvreté au Nord (départements du Nord-Pas-de-Calais) et au Sud (Bouches-du-Rhône, Corse, Pyrénées-Orientales et Languedoc-Roussillon). A l'inverse, la Bretagne, l'Alsace et la Savoie se caractérisent par des taux de pauvreté faibles, inférieurs à 10 %. Cette cartographie de la pauvreté reflète bien la situation des départements face au chômage ainsi que la répartition sur le territoire des bénéficiaires de minima sociaux.

Le fait de décréter que des populations sont pauvres, et qu'elles méritent donc d'être aidées par l'Etat, est éminemment politique. Dans les zones urbaines sensibles (ZUS), davantage de politiques de discrimination positive sont menées, et davantage de moyens y sont investis. La part des personnes vivant au-dessus du seuil de pauvreté dans ces zones en 2008 (949 euros mensuels) était d'un peu moins de 30 %, contre 12 à 14 % dans le reste du territoire. Ce sont ces concentrations qui font parler certains de ghettoïsation voire de "ségrégation".

Quel sont les facteurs explicatifs de cette pauvreté ?

Nicolas Goetzmann : La pauvreté "officielle" se mesure par rapport au revenu médian, et la France présente un revenu médian parmi les plus élevés de la zone euro, tout en ayant un taux de pauvreté plus faible que la moyenne. L’indication est donc que la France est plutôt en bonne position dans sa lutte contre la pauvreté. Mais si le résultat est encourageant, la manière est déplaisante. Car le niveau de pauvreté en France est maîtrisé, non pas parce que la croissance est forte et que chacun en profite mais  grâce à un important niveau de redistribution, ce qui vient combler l’absence de plein emploi. Car évidement, le plus grand facteur de pauvreté est le niveau de chômage que connaît le pays depuis la fin des années 70. La redistribution agit comme un palliatif à cette politique de plein emploi qui aurait eu le mérite de profiter à tous, et ce, en évitant un tel niveau d’imposition. Paradoxalement, une politique de plein emploi pourrait avoir un effet plus inégalitaire sur l’ensemble de la population, mais tout en apportant un niveau de vie plus important pour les plus démunis.

Ainsi, les facteurs "explicatifs" de la pauvreté en France, ce sont surtout près de 40 années de faillite politique face à l’objectif  de plein emploi. A tel point que le plein emploi n’est même plus perçu comme une politique crédible, mais comme une abstraction, un conte de fées. Alors que ce n’est pas le cas, il suffit de constater que cet "état" est à portée de main aux Etats Unis.

Gilles Saint-Paul : Un certain nombre de facteurs contribuent à la hausse de cet indicateur : le progrès technique qui réduit la demande pour les tâches de routine, la globalisation qui bénéficie sans doute à une majorité de travailleurs mais expose les moins bien payés à la concurrence des pays à bas salaires, l’immigration qui est traditionnellement biaisée vers les travailleurs moins qualifiés. Enfin, les rigidités sur les marchés des biens et du travail, tendent à réduire l’employabilité des pauvres. On peut penser au SMIC qui rend trop coûteuse leur embauche, notamment dans les zones peu développées économiquement, aux réglementations diverses qui rendent difficile l’accès à des emplois d’appoint ou l’entrée dans certains secteurs réglementés (taxis, salons de coiffure, etc). A cet égard, la loi Macron n’est qu’un petit pas dans la bonne direction car elle privilégie surtout la déréglementation des professions bourgeoises dont les bénéficiaires ne votent pas P.S., mais se préoccupe moins de celles auxquelles les pauvres pourraient prétendre, comme chauffeur de taxi.

Laurent Chalard : Au premier abord, la détérioration de la situation économique depuis la crise financière de 2008 semble constituer le facteur explicatif majeur de la montée de la pauvreté. Cependant, lorsque l’on détaille l’évolution des revenus, on constate que les plus riches s’en sortent très bien, donc ce n’est pas un facteur explicatif suffisant. En fait, un second facteur explicatif vient jouer un rôle important : la montée des inégalités sociales, qui se constatait déjà depuis les années 1980, mais que la crise a encore accentuée. En effet, si la croissance économique est faible ces dernières années, elle n’en demeure pas moins légèrement positive, ce qui ne justifie pas consécutivement une explosion de la pauvreté, qui serait normale en période de dépression (situation que connaît la Grèce par exemple), faisant suite à un effondrement économique. Comme l’a montré l’économiste Thomas Piketty, les revenus ont tendance à se répartir de manière de plus en plus inégalitaire dans nos sociétés développés, les difficultés économiques étant essentiellement répercutés sur les plus pauvres. En conséquence, l’augmentation du nombre de pauvres relatifs pose surtout les problèmes du chômage et de la répartition des revenus entre les individus et des solutions à mettre en place pour resserrer l’éventail des salaires et créer beaucoup plus d’emplois.

Maryse Bresson : Dans les années 90 on parlait de la "nouvelle pauvreté". A l'époque  l'analyse admise consistait à dire que c'était la crise pétrolière de 1973 qui avait retourné la conjoncture, pour logiquement donner naissance au chômage de masse, donc a découlé une nouvelle pauvreté, c’est-à-dire des personnes dont  les parents n'étaient pas pauvres et avaient même pu vivre dans une certaine aisance, mais qui se retrouvaient dans des situations de revenus faibles.

Depuis, le sociologue Robert Castel a développé l'analyse devenue classique selon laquelle il n'y a pas que le chômage qui crée de la précarité, mêmes des personnes ayant un emploi peuvent se retrouver avec des revenus faibles. Cela s'est manifesté par des contrats à durée déterminée, des temps partiels… ces situations se sont combinées avec des séparations de couples, ce qui est moins pratique pour faire face aux vicissitudes de la vie. Car une personne à faibles revenus peut toujours se reposer sur son conjoint si celui-ci gagne plus. Mais même une personne avec un salaire en apparence confortable peut être fortement endettée, ce qui crée une fois de plus une situation de pauvreté.

Thierry GetMême si je ne prends pas de gants pour critiquer la politique économique du gouvernement comme vous allez le constater par la suite, je dois préciser que la pauvreté en France est, à mon sens surévalué, par l’INSEE. En effet, depuis 2008, l’Insee utilise le seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian. Auparavant, le seuil de pauvreté le plus souvent utilisé était équivalent à 50% du revenu médian (revenu qui partage en deux la population, autant gagne davantage, autant gagne moins).  Selon les conventions de l’Insee, le seuil est de 1 466 euros pour un couple sans enfants.

Or plus un pays est riche, plus généralement son revenu médian augmente et donc le seuil de pauvreté s’élève et ainsi paradoxalement le nombre de pauvres (toutes choses égales par ailleurs). Par ailleurs, afficher un chiffre élevé de pauvres permet de faire appel aux « bons sentiments » et d’attirer la solidarité mais ne permet pas de s’attaquer aux racines économiques de la hausse de la pauvreté. 

Toutefois, il serait absurde d’affirmer que la pauvreté n’a pas augmenté. Cette hausse est due aux fondamentaux économiques dégradés et en premier lieu du taux de croissance atone de 0,5% contre 3% au Royaume Uni en 2014. Dans le même temps, le taux de chômage français en hausse atteint un taux record à presque11[T21] % (contre 6,5% en Grande Bretagne). Or, les mesures économiques britanniques vont à rebours des décisions prises depuis 2012 par le gouvernement socialiste français tant en matière de dépenses publiques que de fiscalité. Le gouvernement britannique a, en effet, par exemple, choisi de relever la TVA (choix judicieux en période de faible inflation) alors que le gouvernement socialiste revenait sur la TVA « sociale » décidée par N. Sarkozy. Le gouvernement britannique a aussi décider d'abaisser le taux le plus élevé de l'impôt sur le revenu[T22]  alors qu’en France, la dernière tranche de l’impôt sur le revenu français a été relevée à 45% et une imposition à 75% a été imaginée pour les hauts revenus.  Le sentiment d’une « chasse aux riches » en France a contribué à une perte de confiance générale et probablement à la baisse investissements étrangers en France en chute de 77% en 2013.

"Si j’étais chômeur, je n’attendrais pas tout de l’autre, j’essaierais de me battre d’abord", a déclaré récemment Emmanuel Macron. Quels sont les facteurs individuels qui jouent dans le maintien des personnes dans une situation de précarité, c'est-à-dire en dehors de l'emploi ?

Nicolas Goetzmann : Au-delà du plein emploi, il y a également la question du niveau d’éducation et de l’origine sociale  qui entrent en ligne de considération. Puis, il y a également le facteur de la durée du chômage, qui est un puissant facteur d’immobilisme, puisqu’un chômeur de longue durée va, le plus souvent, être exclu de toute possibilité d’entretien, et ce, même s’il dispose des compétences ou de l’expérience requises pour le poste désiré. Le chômage de longue durée est ainsi un puissant moteur de précarité. Mais en vidant l’ensemble de ces facteurs exogènes, il va rester une part de coût d’opportunité. Entre un emploi payé X, et une absence d’emploi qui sera "payé" X, il va être "rentable" de choisir le second. Ce n’est bien entendu pas la norme lorsque le pays est confronté à un niveau de sous-emploi tel qu’il existe à l’heure actuelle, mais il s’agit quand même d’une réalité. Pour lutter contre ce type de comportement, le plus efficace est toujours la politique de plein emploi, parce que les salaires progressent. C’est typiquement la rhétorique du "travailler plus pour gagner plus" qui se met en place, naturellement. Il s’agit tout simplement de rendre l’emploi réellement attractif.

Gilles Saint-Paul : La durée importante de l’indemnisation du chômage est un piège car les chômeurs de longue durée ont du mal à retrouver du travail. Or cette durée incite les chômeurs à réduire l’intensité de leur activité de recherche d’emploi. Je pense que les emplois aidés sont également un piège car leurs bénéficiaires ont été tenu à l’écart du "vrai" marché du travail et souffrent de stigmates, bien que ces stigmates soient moindres que pour les chômeurs de longue durée. Il est donc important de "se battre d’abord" mais les incitations à le faire sont relativement faibles. Les pays où la durée d’indemnisation du chômage est plus faible ont une moindre incidence du chômage de longue durée que la France.

Maryse Bresson : Un basculement très fort a été observé pour en appeler davantage aux responsabilités de l'individu. Par les formations, le coaching ou le réseau il est possible de se donner une meilleure place, cependant ce n'est pas cela qui diminue la longueur de la file de demandeurs d'emploi. Il y a selon moi un hiatus dans le raisonnement d'Emmanuel Macron, ce dernier laissant entendre que le politique se dédouane du non-retour à l'emploi de toutes ces personnes parce qu'elles ne s'en seraient pas donné les moyens. Cette vision est trop simple au regard de la réalité vécue.

Manuel Valls a annoncé ce mardi la création d'une "prime d'activité" pour les travailleurs qui gagnent jusqu'à 1 400 euros. Ce nouveau dispositif sera "incitatif, un dispositif qui encourage et accompagne la reprise d'activité". Précisément, est-il assez incitatif ? Dans quelles conditions un système d'indemnités joue-t-il contre le retour à l'emploi ?

Gilles Saint-Paul : Ce genre de primes s’inspire du "earned income tax credit" américain et vise à rendre attractif le retour à l’emploi pour les bénéficiaires de minima sociaux. En effet, en l’absence de tels dispositifs, et dans la mesure où de tels minima sociaux sont soumis à condition de ressources, le retour à l’emploi peut comporter des gains nets très faibles voire négatif. C’est pour cela que le RSA activité a été introduit, car l’existence du RMI (rebaptisé depuis RSA socle), annulait complètement les gains associés à un emploi au SMIC à temps partiel. Ces dispositifs sont relativement contraints par le fait que la prime versée doit progressivement disparaître lorsque le salaire s’élève, ce qui augmente le taux marginal d’imposition des bénéficiaires.

Donc, d’un côté, on augmente leur incitation à travailler plutôt que de ne pas travailler, mais, de l’autre, on réduit leur incitation à travailler plus ou mieux. De deux choses l’une : soit le niveau de salaire auquel la prime disparaît est relativement faible (comme c’est le cas pour le montant de 1400 euros), et alors la prime doit disparaître rapidement au fur et à mesure que le revenu augmente, ce qui signifie que tout euro supplémentaire est lourdement taxé ; soit ce niveau est élévé, et alors le taux d’imposition sur les euros supplémentaires gagnés est plus faible, mais le coût budgétaire du dispositif est bien plus élevé, car le nombre de bénéficiaires est plus grand.

Maryse Bresson : Des études très poussées ont été menées sur les motivations des personnes à reprendre un emploi. Elles sont même généralement enclines à retrouver du travail même quand celui-ci rapporte peu. Les incitations ont un intérêt pour un certain nombre de personnes, je ne le nie pas, mais je ne vois pas bien comment, en période de recul de l'emploi, comment on va résoudre le problème simplement à coup d'incitations. Le travail est identitaire et créateur de liens humains. Dans notre société, étant attendu des personnes ayant entre 25 et 60 ans qu'elles aient un emploi, celles qui n'en ont pas se sentent stigmatisées et méprisées. C'est oublier que toutes ces personnes ont envie d'avoir un emploi, pour avoir le respect  des autres, et se respecter elles-mêmes.

Thierry GetCette prime va dans le même sens que le RSA, c’est à dire de favoriser la reprise d’activité. En ce sens, ce dispositif fusionné et, semble-t-il, simplifié va dans le bon sens. Il s’inspire d’ailleurs de l’idée d’impôt négatif de l’économiste d’inspiration libérale Milton Friedman. Selon les penseurs libéraux, la mise en place d’un revenu de base est nécessaire pour mettre fin à la complexité contre-productive du « maquis social », inciter à reprendre une activité qui permet d’acquérir un revenu complémentaire, rétablir la progressivité des prélèvements et annuler les effets de seuil, et enfin, couvrir les besoin essentiels de tous.

Cette nouvelle mesure va remplacer deux autres systèmes actuels, la prime pour l'emploi (PPE) et le RSA-activité. Que pensez-vous de ce remplacement ?

>> Lire également La nouvelle prime d'activité ne résout en rien l'empilement des aides sociales françaises, alors que la création d'un impôt négatif permettrait de le faire

Gilles Saint-Paul : Il s’agit avant tout d’une opération cosmétique, qui permet au gouvernement de montrer qu’il fait des "réformes structurelles" alors qu’on ne fait que rebaptiser des dispositifs existants. On peut cependant espérer une simplification du système, la prime à l’emploi étant devenue plus ou moins redondante depuis l’introduction du RSA-activité. Signalons cependant que la prime à l’emploi se caractérisait par le fait qu’elle ne dépendait pas du revenu, et donc qu’elle ne se traduisait pas par une taxation implicite des hausses de rémunération, ce qui avait de bonnes propriétés incitatives. Mais, par la force des choses, son montant restait faible, sans quoi son coût budgétaire aurait été prohibitif. Le nouveau système renforce les efforts faits en faveur des bas salaires, qui sont considérables si on y rajoute les abattements de charges patronales au voisinage du SMIC. Notons que ces mécanismes jouent au détriment des autres catégories de travailleurs qui les financent, et pénalisent considérablement le fait de s’élever dans l’échelle des salaires, créant une trappe à bas salaires.

Thierry Get : Comme évoqué précédemment, la fusion du RSA et de la PPE qui était versée avec un décalage d'un an va dans le sens d’une simplification. La PPE, souvent d’un faible montant et saupoudrée très largement sur 5 millions de personnes, n’était pas vraiment comprise. Ainsi, à titre symbolique, et les symboles ont leur importance, le concept de « prime activité » devrait être mieux compris. Pour montrer que la prime ne relève pas de l’assistanat, l’accent devrait être mis sur la recherche active d’emploi, qui devrait faire nécessairement partie des engagements que le bénéficiaire de la prime doit prendre.

Plus globalement, la politique du gouvernement sur l'emploi (plan de lutte contre la pauvreté initié depuis 2013, et projet de loi Rebsamen contre le chômage longue durée) permet-elle de lutter efficacement contre la pauvreté ?

Gilles Saint-Paul : La vraie cause structurelle de la pauvreté dans ce pays est le détournement des ressources humaines vers le non emploi (retraites précoces, RTT, allongement sans doute excessif de la durée des études) ou vers des emplois peu créateurs de richesse (fonction publique et secteur non marchand hypertrophiés). In fine, le niveau de vie moyen de la population est déterminé par la quantité totale de biens et de services utiles produits. Plus cette quantité est faible, plus il y a de pauvres, et plus le traitement de cette pauvreté par la fiscalité redistributive est douloureux et difficile.

Il est donc extrêmement important d’augmenter les heures travaillées dans le secteur marchand en revenant sur la RTT, en mettant en place une réforme des retraites ambitieuse, et en réduisant la taille du secteur public. Par ailleurs, de nombreuses politiques publiques nuisent en fait aux pauvres : restrictions sur la construction et le transport, professions réglementées, accumulation de normes abusives et coûteuses, TIPP, impôts indirects, réglementation des heures supplémentaires, du travail le dimanche, du temps partiel, prix agricoles trop élevés, manque de concurrence dans le commerce de détail, etc. D’une manière générale, l’imposition de normes qui éliminent des produits de moindre qualité mais aussi moins coûteux est nuisible pour les pauvres, alors que la bourgeoisie qui ne compte pas consommer ces produits est beaucoup moins affectée.

Thierry GetUne politique de l’emploi ne peut être gérée de manière cloisonnée de la politique économique et de celle du logement. Les politiques de la gauche ont souvent tendance à mettre des pansements sur les douleurs causées par la dégradation économique plutôt qu’à s’attaquer aux causes évoquées en introduction. Tout le problème pour la gauche est de faire sauter les tabous de la dépense publique et de la fiscalité punitive destinées à ceux qui ont réussi. 

Mais une autre cause du sous-emploi à laquelle ne s’attaque pas le gouvernement est la moindre mobilité des salariés francais. Elle s’explique en partie par le fait que les bénéficiaires de logements sociaux n’ayant pas l’espoir de retrouver un tel avantage dans un délai raisonnable, ils ne peuvent pas prendre le risque d’aller dans une autre région pour accepter un emploi. Ainsi, le chômage est deux fois plus élevé dans les zones urbaines sensibles (60 % des ménages y sont locataires d'un logement social contre 17 % en moyenne). Les logements sociaux constituent dans les faits des trappes à pauvreté. Il conviendrait donc de remettre en cause les 50 milliards annuels de financements publics injectés dans les logements sociaux pour augmenter les aides à la personne qui favorisent la mixité et la mobilité puisqu’elles sont attachées aux bénéficiaires alors que les logements sociaux sont fixés une fois pour toute dans une zone géographique. Les aides personnelles se répartissent ainsi sur tout le territoire sans les délais d’attente nécessaires à l’attribution d’un HLM.

Enfin, les taux de prélèvements liés aux ventes de logements sont particulièrement élevés en France. 

[T21](au sens du BIT - bureau international du travail – source Insee.fr)

[T22]  . Une mesure impopulaire en Grande-Bretagne, adoptée dans le dernier projet de budget en même temps que plusieurs taxes affectant la classe moyenne. Pour faire passer la pilule, le premier ministre britannique a plaidé l'inefficacité de cet impôt, et la nécessité d'accroître l'attractivité de la Grande-Bretagne

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