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LR développe une nouvelle vision économique... avec un très très gros angle mort
©Yann Schreiber / AFP

Et l'Europe ?

La nouvelle vision économique des Républicains oublie un élément primordial pour sa réalisation.

Frédéric  Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Atlantico.fr : Dans un entretien accordé aux Échos, le numéro 2 de LR, Guillaume Peltier expose des mesures économiques qui selon eux permettraient d’entreprendre une « révolution du bon sens » . Que propose concrètement Les Républicains pour réconcilier les entrepreneurs et les travailleurs ?  Ces mesures sont elles effectivement de " bon sens" ?

Frédéric Farah : Disons le d’emblée, le programme que présentent les républicains puisent dans le même puits d’idées et de mesures qui s’égrènent dans les différents gouvernements depuis le consensus 83-92-2012. Qu’est ce que j’entends par ces dates successives ? Les trois moments forts d’un consensus qui traverse les élites politiques, administratives, mais aussi privées. 83, c’est le tournant de la rigueur, qui enchaine sur la désinflation compétitive et l’obsession du Franc Fort. De manière actualisée, cela signifie veiller à ce que la progression salariale soit contenue , que la compétitivité soit l’horizon indépassable, et ne plus manipuler la monnaie au service de la croissance et de l’emploi. 1992, c’est le temps de Maastricht, et l’acceptation des contraintes européennes qui même si elles ne sont pas respectées, sont l’aiguillon des politiques économiques dans le cadre d’une pleine liberté de circulation des capitaux. 2012, c’est le TSCG, le traité sur la coopération et la gouvernance en Europe qui amplifie la logique de règles avec la naissance du semestre européen. 

Ces trois moments forts dessinent un cadre économique contraint qui est le relais de la seconde mondialisation économique qui se déroule de la fin des années 1970, avec une accélération toute particulière de 1995 à 2008. 

En somme, c’est le temps du capitalisme a basse pression salariale, l’équilibre intérieure, croissance et plein emploi sont sacrifiés au profit de l’équilibre extérieur. La protection sociale est vécue comme une charge, et les travailleurs doivent être abonnés à une forme de précarité, matinée d’une vague flexsécurité qui est un marché de dupes. Les travailleurs payent l’addition en supportant les risques et particulièrement celui du chômage. 

Lorsqu’on a ce cadre en tête, on peut parler du programme Républicain car en rien il ne rompt avec cela mais se livre à des mesures cosmétiques et déjà vues. Et comme le Macronisme est une idéologie de droite , pour la droite et par la droite, il est difficile de se distinguer de l’équipe en place si ce n’est dans une surenchère aussi inutile que factice. 

Du côté des entrepreneurs, le traditionnel choc administratif est mis en avant simplification administrative que la France empêche la création d’entreprises. Une assertion qu’il convient de relativiser car en 2019, la France enregistre une création record d’entreprises plus de 815 000. A ce dernier, la promesse de réduction du poids du code du travail, la vieille antienne usée que la réduction des protections des travailleurs, la facilité d’embauche et de licenciement rendrait possible la création d’emplois. Aucune sérieuse ne montre une corrélation vérifiée entre moins de protection et plus d’emplois crées. Et c’est à force de dérogations multiples sur le travail du dimanche par exemple que le code du travail grossit. En un article , tient le fait qu’il n’est pas légal de travailler le dimanche, à force d’aménager ce jour férié, cela crée un entrelacs impossible. 

La vraie source de création d’emploi à temps de travail inchangé et avec une productivité ne progressant pas plus rapidement , c’est l’augmentation de la production. 

En mettant à égalité de traitement les salariés et les entreprises , le parti républicain raconte de jolies histoires. Depuis 1993, les entreprises ont bénéficié en continue des exonérations de cotisations sociales qui ont couté très cher à la collectivité pour une création d’emplois sur lesquels il peut y avoir débat, cout par emploi sauvé, type d’emplois etc . Par ailleurs , les effets à moyen terme de ce type de stratégie restent à vérifier comme le dit un rapport de France Stratégie de 2017 « Enfin, les conséquences à moyen et long termes des allégements de cotisations sociales patronales sur l’appareil productif sont largement inconnues. On ne dispose d’aucune étude sur leurs effets sur la formation (initiale et continue), les investissements (physiques et en recherche et développement), l’innovation, la montée en gamme de l’économie française et la croissance potentielle » 

Quant à l’augmentation des salaires par les manipulations fiscales ou la disparition de cotisations donneront l’occasion d’acrobaties ou d’usines à gaz fiscales. Au lieu de repenser une vraie politique de revenus, c’est l’arme fiscale qui reste la seule disponible. Les républicains utilisent la vieille antienne libérale que l’augmentation du pouvoir d’achat ne peut venir que de la réduction de la dépense publique, ou de manipulations fiscales et sociales. 

L’idée du bon sens près de chez vous comme aurait dit le vieux slogan d’une publicité de la caisse d’épargne ou du crédit agricole , je ne sais plus , à  dire vrai est encore à mettre au rang de la vacuité de notre époque. Le bon sens est devenu l’antienne de la droite européenne, on retrouve cela en Italie dans des parties de la droite et de l’extrême droite. C’est une manière de dire que les politiques restent proches du peuple, sont simples, une sorte de philosophie populaire. C’est un slogan un peu creux qui cache les idées reçues contemporaines pour ne pas dire recuites :  le public c’est inefficace, le privé oui, les chômeurs sont fainéants et profiteurs, les allocataires du RSA s’engraisseraient sur le dos des Smicards et j’en passe. Toutes les perles de ces 40 dernières années  en somme. 

Mais au sens de Descartes, le bon sens signifiait la raison, tout cela ne me paraît pas très raisonnable, tant la persistance de l’ancien se fait sentir sous le neuf. 

Atlantico.fr :  Les mesures proposées par les cadres de LR n'évoquent pas l'UE ou l'euro et semblent oublier que la France est dans un espace économique où les décisions se font en commun. Est-il possible de miser uniquement sur l'économie française sans se préoccuper des rapports de forces européens ?

Frédéric Farah : Vous appuyez sur là ou cela fait mal, ce programme est la suite du fake state que je dénonce. De ne pas évoquer les contraintes européennes, ignorer le poids d’une monnaie surévaluée et destructrice de notre économie, de refuser de voir que l’UE est la succursale la plus inquiétante de la mondialisation la plus folle : paradis fiscaux, concurrence fiscale et sociale déloyale, obsession maladive et délétère de la concurrence , c’est vraiment vivre dans un monde parallèle et mentir aussi bien aux salariés qu’aux entreprises. 

Le programme des Républicains ne cherche en rien à briser le carcan qui étouffe l’économie française depuis le choix du marché unique et de l’euro. L’Allemagne a su construire des règles et une organisation européenne qui lui est favorable. L’euro est un mark déguisé.  Nos élites hormis attendre de l’Allemagne un aménagement de sa politique en espérant qu’elle joue le rôle de locomotive de croissance, n’ont plus foi dans leur propre pays. 

Dans le cadre contraint européen, les salaries et les salaires seront les variables d’ajustement et tous les bricolages fiscaux ne changeront rien du tout. Les entreprises françaises et particulièrement les PME vont dans ce cadre se battre pour exister tant les conditions de la concurrence sont déloyales. 

Le programme des républicains n’est pas viable dans un cadre européen si contraint à savoir ne pas disposer de sa monnaie , de sa politique commerciale, de la détermination du taux de change, du taux d’intérêt, de sa politique industrielle et je pourrai allonger la liste. 

Atlantico.fr : Que signifie ce choix de LR de ne pas mentionner l'Union européenne et l'euro ?

Frédéric Farah : Ce choix est le signe d’une acceptation pour ne pas dire une soumission. J’ai peine à croire que les économistes et les experts qui travaillent pour ce parti ignorent toutes les contraintes que ces choix européens très largement partagés ont eu pour conséquence sur la société française. A peine le gouvernement accorde de modestes et insignifiantes augmentations de salaires pour nos soignants , que la Commission s’inquiète. Je pense que les Républicains vont agiter de possibles réformes européennes pour laisser accroire une modification de l’ordre des choses. Lorsqu’ils proclament qu’il faut produire avant de redistribuer, au dela de la banalité du propos, ils omettent de dire que produire dans pareil cadre macroéconomique , le doute ne peut que l’emporter. Impensé ou soumission je ne saurai le dire, peut être les deux. 

Atlantico.fr :  Jeudi la BCE doit annoncer de nouvelles mesures  pour pallier  la crise sanitaire et économique. L’institution va-t-elle donner des moyens suffisants aux États ? La France est-elle prête à un bras de fer avec l'Allemagne sur la politique monétaire ?

Frédéric Farah : Aujourd’hui la BCE en s’écartant de son mandat initial reste la garante de la stabilité financière de la zone euro, mais en rien la garante économique. La zone euro vit depuis tant d’années sur la base de déséquilibres économiques profonds : divergence de productivité, de dépenses en recherche développement, de taux d’activité, d’emploi qui en fait une des zones de croissance les moins dynamiques au monde. De pareilles divergences obligeraient à revenir sur les parités entre les monnaies irrévocablement fixés depuis le milieu des années 1990. Vous vous en souvenez 1 euro = 6, 55957 francs. L’euro et le marché unique surtout sont des fabricants de divergences économiques préoccupantes, la zone euro et l’Ue dessinent une Europe du centre et de la périphérie. La politique de la BCE, c’est l’expression de la conscience collective des intérêts établis. 

Elle doit assurer la survie de la zone pour assurer la sienne tout simplement. La monnaie unique est destructrice aussi bien politiquement qu’économiquement. C’est la monnaie inique comme j’aime à la nommer. Alors oui la BCE fera tout pour empêcher la naissance d’une nouvelle crise dites des dettes souveraines. 

Les Etats peuvent se financer pour bon marché, mais ils ne souhaitent pas lancer de véritables plan de relance massifs de leurs économies, le cas de la France est significatif. 

La France n’est prête à rien, tant le pouvoir n’a que l’adaptation à la bouche et veut continuer cette folle politique qui vise à réduire un peu plus sa souveraineté pour gagner en influence et convaincre l’Allemagne de prendre ses responsabilités pour redynamiser le continent. L’Allemagne a fait sa croissance sur le dos de ses voisins et a bénéficié de vrais soutiens économiques pour sa réunification, il est normal d’attendre de sa part un véritable retour. De sa politique néomercantile , non coopérative , elle a dégagé des excédents dont elle use aujourd’hui. 

L’Union européenne est un jeu à somme négative. 

Le fake state poursuit sa route et les Républicains sont prêts à l’occuper espérant que son double macronien ne survive pas à l’échec de sa politique depuis 2017, faisant probablement de ce quinquennat le plus désastreux de la Vème République. 

Les Républicains sont prisonniers des vieux schémas, nombre de ses cadres a rejoint le macronisme qui recycle les ténors ou non de la droite dont le spectre s’étend jusqu’au parti socialiste. Un parti qui bientôt ne se dira plus socialiste car il ne l’est plus depuis 37 ans maintenant.  

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