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Que peut-on attendre du projet de loi d’orientation et de programmation (LOPMI) du ministère de l’Intérieur ?
Que peut-on attendre du projet de loi d’orientation et de programmation (LOPMI) du ministère de l’Intérieur ?
©Valery HACHE / AFP

Budget

Alors que le gouvernement doit présenter le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur en conseil des ministres ce mercredi, petit tour d’horizon des besoins de la police pour retrouver une pleine efficacité. Mais aussi, dans le même esprit, des pistes de meilleure allocation des moyens et/ou d’économies possibles.

Adélaïde Motte

Adélaïde Motte

Adélaïde Motte est journaliste à l'IREF. 

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Matthieu Valet

Matthieu Valet

Matthieu Valet est commissaire de police et secrétaire national adjoint du Syndicat Indépendant Commissaires Police.

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Atlantico : Le gouvernement doit présenter le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur en conseil des ministres ce mercredi, quels sont les besoins principaux ?

Matthieu Valet : D’abord, ce projet de loi est inédit.  Il représente 15 milliards sur 5 ans pour les forces de sécurité intérieure. Demain il sera présenté en conseil des ministres et début octobre au parlement. Ce sera l’occasion, au vue de la composition de l’Assemblée, de voir le positionnement des différents partis sur le sujet de l’insécurité et du soutien aux forces de l’ordre. Nous allons voir qui sera dans les mots, et qui sera dans les actes.

Concernant votre question plus directement, il y a une partie structurelle qui concerne les outils numériques, les caméras piéton, la radio du futur, etc. La deuxième chose, ce sont des créations de compagnies de forces mobiles. On a vu dans les crises récentes, gilets jaunes, mobilisations sur les retraites, etc.  On s’est rendu compte que les unités mobiles sont, pour faire du maintien de l’ordre, de la sécurité d'événements, plus que jamais utiles. Un escadron ou une compagnie, c’est environ 140 fonctionnaires de la gendarmerie. Cela demande donc toute une logistique et un investissement très important. Elisabeth Borne a annoncé mardi qu’il y aurait 8500 policiers et gendarmes recrutés sur le quinquennat, il faudra voir comment cela se décline et où vont être créés les postes. Dans les commissariats de Seine Saint Denis, du Val de Marne ou encore des Hauts-de-Seine, il manque cruellement des effectifs. Paris et la petite couronne ont perdu beaucoup d’effectifs. Il va falloir présenter une vraie stratégie de ressources humaines. Troisièmement, il faut continuer de moderniser les commissariats et les brigades, trop sont encore vétustes. Et cela coûte beaucoup d’argent. C’est un gros chantier. Ensuite, vient la question de l’armement, l’équipement et les véhicules. Nous avons perdu beaucoup de temps sur le sujet. Notre pistolet devrait être changé cette année, mais on ne sait pas encore par quoi. Il y a aussi la création d’une agence de cybercriminalité, ce qui veut dire beaucoup de temps, de fonctionnaires et d’argent. 800 000 euros vont aussi permettre aux forces de l’ordre d’être mieux payés et mieux valorisés.

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La LOTMI ne va pas tout régler, le cadre d’usage des armes, la prévention de légitime défense, etc. tout cela ne sera pas dans le projet de loi. D’autant que le texte a été raboté pour être moins clivant. Pourtant ce sont des mesures fortes et qui ne coûtent pas d’argent.

Ces chantiers nécessitent un financement. Mais cela doit-il se traduire par des moyens supplémentaires ou une meilleure allocation des moyens existants ?

Matthieu Valet : Il va y avoir une grosse réflexion sur le temps de travail, on s’oriente a priori vers un système comme à l’hôpital avec un shift de 12h; ensuite il y a effectivement une question d’organisation. Actuellement, il y a un gros chantier sur les directions départementales de la police nationale. En l’état actuel des choses, cela ne nous convient pas. Nous avons des gros doutes sur le fonctionnement. L’autre point, c’est que des gardiens de la paix, formés pendant douze mois, coûtent en moyenne entre 2000 et 2400 € et qui sont affectés à des tâches périphériques : surveillance et garde de tribune judiciaire notamment. Nous mettons aussi beaucoup de monde pour garder les bâtiments et institutions publiques. Le troisième sujet, ce sont les centres de rétention administratifs. On forme des gens pendant 12 mois pour qu’ils soient garde-chiourme dans des CRA. Nous estimons, avec mon syndicats, qu’on pourrait récupérer 4000 postes en réorganisant et répartissant différemment les missions.

Peut-on parler de dérive des coûts au sein de la police et de la gendarmerie ?

Adélaïde Motte : Les policiers et les gendarmes travaillent dans des conditions difficiles, donc il n’est pas question de mésestimer le travail des forces de l’ordre. Lorsqu’on lit le rapport de la Cour des comptes de 2021, on s’aperçoit que les moyens alloués à la police se dirigent principalement vers la masse salariale (primes, heures supplémentaires). Mais il y a un manque d’investissement dans l’équipement : le parc automobile a un âge moyen de 7 ans en France, contre 3 ans en Allemagne. À côté de cela, on constate qu’on a lâché du lest sur le concours, en passant de 2% à 18% d’admissions. On a besoin de plus de policiers, mais cela ne doit pas se faire au détriment des compétences. Aujourd’hui, on se retrouve avec des promotions de 400 personnes, ce qui ne facilite pas la formation des agents. 

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Pourtant, les policiers et les gendarmes ne bénéficient pas de salaires mirobolants. Comment peut-on faire face à cette situation?

Adélaïde Motte : La Cour des comptes préconise de rendre le temps de travail plus adapté aux besoins de ce corps de métier. Actuellement, le temps de travail est très peu flexible (repos de onze heures, deux jours de repos hebdomadaire qui doivent être en week-end une semaine sur deux, etc.). Il y a donc trop d’équipes en roulement, sans compter les coûts importants consacrés aux heures supplémentaires. À titre d’exemple, il y a plus d’une soixantaine de primes dans la police. Est-ce nécessaire ?

Il y a quelques années le logiciel Scribe devait faciliter la rédaction des procédures judiciaires. Le logiciel n'a jamais vu le jour et 12 millions d’euros ont été perdus. Des projets qui ne vont pas à leur terme encouragent un gaspillage d’argent public. Est-ce fréquent dans la police ? Est-ce symptomatique d’une mauvaise gestion ?

Adélaïde Motte : L’argent est mal alloué, mais on a surtout un problème dans la prise de décisions. Celle-ci est trop centralisée et c’est pourquoi les décideurs manquent de clairvoyance dans les réels besoins financiers. D’où la nécessité de rendre plus flexible l’allocation des moyens. 

Matthieu Valet : Effectivement, il y a cette affaire. Un certain nombre de logiciels qui ont été mis en place ont coûté bien plus d’argent que prévu. Il va falloir qu’ils soient au rendez-vous/ Le projet de radio du futur est très coûteux mais très important pour nous car il permet de communiquer avec les patrouilles, les équipages, etc. Le ministère de l’Intérieur a un problème : pour acheter des tenues, des véhicules, des équipements, on a des services dédiés qui ne sont pas composés en totalité de policiers et de gendarmes. Cela pose des soucis. Il faut qu’il y ait une démarche d’association de l’utilisateur. Les acteurs du quotidien doivent expérimenter ce que l’Etat compte acheter. Jusqu’à présent, le ministère de l’Intérieur était relativement mauvais sur le choix des équipements. Cela ttend à changer. Et il y a des projets qui marchent, mais pour cela il faut du temps, de l’argent et des acteurs concernés. 

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Quelles sont les solutions pour débureaucratiser la police et la gendarmerie ?

Adélaïde Motte : Au-delà de la flexibilisation du temps de travail, il est nécessaire de revoir la distribution des grades dans la police. Les fonctionnaires sont payés en fonction de leur ancienneté et de leur poste, mais pas nécessairement en fonction des compétences. Dans la police, on se retrouve avec des policiers haut-gradés qui ne sont pas sur le terrain mais qui restent à la direction. On a ce problème dans toute l’administration, que ce soit à l’hôpital ou au sein de l’éducation, car nous sommes dans un système trop centralisé. 

Que peut-on attendre du projet de loi d’orientation et de programmation (LOPMI) du ministère de l’Intérieur sur ces questions-là ?

Adélaïde Motte : Il est difficile d’y voir clair pour le moment, mais il faut privilégier la concertation avec les policiers et les gendarmes. Il est nécessaire de revoir le temps de travail afin de réallouer les versements à destination des salaires, au détriment des primes et des heures supplémentaires, ce qui permettrait de mieux former les policiers et les gendarmes et d’investir dans les équipements.

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