Mais pourquoi la police n’intervient-elle pas quand les dispositifs de traçage permettent pourtant de retrouver les biens volés… et les voleurs ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Justice
En France, on déplore environ 320 000 vols de vélos par an, un chiffre stable depuis 2014, selon le ministère de l’Intérieur.
En France, on déplore environ 320 000 vols de vélos par an, un chiffre stable depuis 2014, selon le ministère de l’Intérieur.
©JOHN MACDOUGALL / AFP

Délinquance vs technologie

Vol de portefeuille, de téléphone, de vélo ... À l'heure ou les dispositifs de suivi se multiplient, les forces de l'ordre semblent souvent réticentes à l'idée de poursuivre les auteurs de vols.

Philippe Vénère

Philippe Vénère

Philippe Vénère a été policier pendant 40 ans. Ce grand spécialiste français du doit des automobilistes a été notamment commissaire divisionnaire et officier du ministère public du tribunal de police de Paris de 1992 à 1996. Il a également enseigné à Paris 8 où il a effectué plusieurs travaux de recherche sur la délinquance des mineurs.

Il a publié Manuel de résistance contre l'impôt policier (J'ai lu / mars 2011) et Les flics sont-ils devenus incompétents ? (Max Milo / septembre 2011)

Voir la bio »

Atlantico : Plusieurs internautes ont récemment réagi au récit étonnant du vol d’un portefeuille tracé grâce à un airtag (un accessoire permettant de localiser un objet). La police, quoique sachant où retrouver le voleur, aurait préféré ne pas intervenir. Comment expliquer, à l’heure où les dispositifs de suivi se multiplient, que les forces de l’ordre ne prennent pas mieux en charge ce genre de cas ?

Philippe Vénère : La technologie ne fait pas tout. En effet, les effectifs de police judiciaire sont confrontés à de nombreuses obligations et il est assez difficile d’intervenir en tous lieux et à tous moment pour des effectifs restreints. Lancer une équipe d’enquêteurs sur les traces d’un voleur – ou d’un receleur – de portefeuille, c’est aussi mettre un groupe hors service pour d’autres interventions urgentes.

D’une part, il y a un manque récurrent d’effectifs tant en police judiciaire qu’en gendarmerie et ce depuis de très nombreuses années, d’autre part, il y a une évaluation entre la gravité de l’infraction et son résultat judiciaire. En l’occurrence, il s’agit de mettre de moyens conséquents sur le terrain pour une réponse quasiment nulle de la justice. Sans souscrire aucunement à ce choix, je le comprends et le déplore.

Certains internautes soulignent un problème récurrent. Par le passé, les affaires de vol et de cambriolages étaient-elles à ce point mal traitées ? Pour les mêmes raisons ? Dans quelle mesure était-ce peut-être plus acceptable à l’époque ; quand on sait désormais la technologie dont pourraient disposer les forces de l’ordre ?

Par le passé, lorsque des vols ou des cambriolages étaient signalés et nous permettaient de recueillir des éléments ils étaient exploités. Mais je dois dire qu’une grande partie de ces infractions, fautes d’indices exploitables, ne faisaient l’objet d’aucune enquête. A l’heure de la technologie que peuvent utiliser les effectifs de police judiciaire, il est vrai que cela devient plus critiquable. Concernant un cambriolage, l’exploitation d’éléments est de mise car cela peut déboucher sur des affaires importantes et des malfaiteurs d’envergure. Il devrait en être de même pour les vols, mais je suis bien plus réservé sur ce point.

A quel point est-ce un problème de moyens ? Non seulement de la police mais aussi de la justice ?    

Il y a un besoin évident de personnels d’enquête. Auxquelles s’ajoutent des missions de plus en plus nombreuses pour un même nombre d’effectifs dans une unité. Ceci dit, il s’agit aussi pour un chef de service de donner la dynamique nécessaire à ses collaborateurs pour répondre au mieux à la résolution d’infractions. 

Mais l’autre obstacle, et de taille, reste celui de la justice. Les parquets (chargés des poursuites judiciaires) classent environ 60 % des affaires qui leurs sont soumises, alors qu’une grande partie est exploitable. La raison ? Des tribunaux surchargés parce qu’il y a un déficit de magistrats, mais aussi de greffiers (rouages indispensables au fonctionnement d’un tribunal) et que les prisons sont saturées. De là, outre les classements sans suite,  les rappels à la loi, les compositions pénales ou les peines avec sursis qui sont en fait des pansements sur des jambes de bois.

Dans quelle mesure les juges n’ont plus la possibilité de prendre en compte certains cas, en raison de l’état de la justice. Avec quelles conséquences sur le comportement de la police ?

Il est bien évident que l’abandon des poursuites judiciaires par les magistrats pour les raisons principales que je viens d’évoquer a un effet très négatif sur la police et la gendarmerie. En effet, ces personnels savent pratiquement avant d’agir que certaines de leurs enquêtes (les plus nombreuses) seront classées sans suite. Il y a donc une démotivation grandissante dans les services pour ce qui concerne la petite délinquance, voire la moyenne, alors que cela constitue la majorité du  mal-vivre des citoyens.

Dans quels cas de figure les policiers se déplacent-ils toujours ? Quels sont les crimes qui justifient automatiquement (ou presque) une intervention, quelle que soit la réalité effective des conditions de travail de la police ?

Il y a des obligations incontournables : la totalité de ce que code pénal qualifie de crime fait l’objet d’une intervention que ce soient des homicides, des violences graves, atteintes sexuelles, des viols, blessures volontaires, usage d’armes à feu, etc.

A cela il faut ajouter toutes affaires importantes qui nécessitent des investigations dans le temps, impliquant des surveillances, des recherches, des écoutes, des filatures et qui concernent la plupart du temps des affaires de trafics nationaux ou internationaux.

Or, ne pas répondre  à ces infractions serait immanquablement considéré comme une faute professionnelle sanctionnable, ce qui arrive parfois.  

Quelle est, selon vous, la politique qu’il conviendrait de mettre en place pour permettre une meilleure prise en charge de ce type d’infractions ?

Il faut redéfinir les missions de police et supprimer toutes les charges indues. Cela permettrait, avec les effectifs actuels de bien mieux répondre aux besoins que nous le faisons actuellement. Bien évidemment, un renforcement de ces effectifs est souhaitable.

Il faut aussi revoir la simplification des procédures judiciaires  dont tous les gouvernements nous ont rabattu les oreilles, avec pour seul résultat concret un alourdissement réel de ces mêmes règles de procédure. A trop vouloir bien faire, on aboutit à un résultat inverse.

Et puis, il y a l’absence de réponse pénale et c’est là le nœud essentiel du problème. Si une infraction est constatée, traitée par les effectifs de police et classée par la justice, c’est un échec total. Je me permettrais une comparaison : si un médecin identifie une pathologie, il rédige une ordonnance prescrivant un traitement, sauf qu’en l’absence de médicaments, la pathologie demeure, voire s’aggrave.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !