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Les familles des mercenaires russes tués en Syrie (alors qu’ils ne sont pas censés s’y trouver) réclament des explications à Vladimir Poutine
©Odd ANDERSEN / AFP

Caillou dans la chaussure

Á Moscou, de plus en plus de familles de mercenaires se font entendre et demandent des comptes au Kremlin à la suite du décès de plusieurs d'entre eux notamment lors d'une frappe américaine (filmée) en Syrie il y a quelques jours.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Á Moscou, de plus en plus de familles de mercenaires se font entendre et demandent des comptes au Kremlin à la suite du décès de plusieurs d'entre eux notamment lors d'une frappe américaine (filmée) en Syrie il y a quelques jours. Quelle est la nature des liens de ces mercenaires avec le pouvoir central ?

Comme il est d’usage, les mercenaires employés directement ou indirectement par un État ne sont jamais reconnus par leur autorité de tutelle. Bob Denard a fait partie de ces « corsaires de la République » que Paris a employé un certain temps sur le continent africain. Cela dit, si ces mercenaires pudiquement renommés contractors auprès de "Sociétés militaires privées" (SMP) ne sont pas totalement contrôlables par les gouvernements qui commanditent leurs services. En effet, les SMP ont toutes une hiérarchie propre et souvent très décentralisée qui permet des initiatives individuelles qui peuvent s’avérer désastreuses. Les Américains l’on bien compris en Irak avec la célèbre firme Blackwater (rebaptisée Academi) fondée par Erik D. Prince qui s’est livrée à de nombreux excès (dont une partie a toutefois été condamnée en justice). D'autre part, une fuite malencontreuse a confirmé l’appartenance de Prince à la CIA, sans doute comme agent occasionnel. Pour résumer, tout le monde emploie aujourd'hui des SMP.

Il faut cependant se rappeler que, théoriquement, le mercenariat est interdit pas les Nations Unies et chaque aspirant à ce métier doit être conscient qu’il peut être poursuivi en justice à son retour au pays, même si la « cause » défendue est estimée comme « juste ». Des volontaires ayant combattu (un peu) aux côtés des Kurdes sont en train de le comprendre à leurs dépens, particulièrement en Grande Bretagne. Si la justice française applique les textes, il pourrait en être de même pour des volontaires français partis aider les Kurdes en Syrie et en Irak. Généralement, ces volontaires refusent la classification de "mercenaire" car ils disent agir par convictions (extrême-droite ou extrême gauche selon le théâtre d'opération) préférant celle de "combattant internationaliste". Aujourd'hui des Zadistes et des membres se revendiquant de la CGT se sont fait photographier les armes à la main aux côtés de combattants kurdes du PYD syrien. C'est une peu leur "Guerre d'Espagne" à eux !

En Russie, les responsables de la SMP Moran Security Group qui avait engagé plus de 200 volontaires pour se rendre en Syrie du côté gouvernemental en 2013 ont écopé de trois ans d’emprisonnement. D’un autre côté, aucun des volontaires embauchés n’a été traduit en justice.

Pour Moscou, les SMP battant pavillon russe sont interdites mais, qu’à cela ne tienne, elles sont enregistrées dans des pays étrangers. La compagnie Wagner qui défraie la chronique actuellement avec environ 7 000 personnels détachés en Syrie est enregistrée en Argentine. Le Corps slave qui a été engagé en 2013 sur le même théâtre a son siège à Hongkong. Il n’empêche que ces SMP entretiennent des bureaux (en particulier de recrutement) à Moscou. Les mauvaises langues prétendent que ces SMP peuvent s’entraîner dans des camps militaires russes, ce qui est loin d’être impossible. Quel pays n’a pas fait de même, certes souvent avec des combattants étrangers… La morale populaire n’a rien à voir avec la real politic pratiquée par presque tous les pays. Pour finir avec les fantasmes, les mercenaires sont généralement bien payés mais sans plus. Ce sont majoritairement des anciens militaires et la solde des spécialistes et des anciens officiers peut aller jusqu’à 4 000 dollars/mois. Un projet est à l'étude en Russie pour légaliser les SMP ce qui apporterait une protection sociale plus adaptée à leurs membres.

Quelle importance et rôle tiennent ces mercenaires dans leurs différentes actions en Syrie ?

Les missions premières des SMP en Syrie sont similaires à celles de leurs homologues occidentales sur d’autres théâtres comme en Afghanistan ou en Libye (généralement, ces pays demandent à ce que ces sociétés embauchent des personnels locaux). Il ne s’agit pas de missions offensives mais de protection de lieux sensibles (à noter que nombre de représentations diplomatiques et de firmes privées font appel à leurs services pour sécuriser leurs locaux), escorter des convois, former les armées et polices locales, etc. Sur le fond, il est plus "économique" pour un État d’employer des SMP pour des missions de courtes ou moyennes durées que des fonctionnaires (les militaires et les policiers restent des fonctionnaires) dont il faut ensuite financer le reste de la carrière et leurs retraites (ou des primes de départ). Ce sont les CDD (ou des intérimaires) de la guerre. La différence avec les militaires professionnels dont la majorité est aussi sous CDD, c'est que ces derniers sont embauchés pour un certain nombre d'années suivant le contrat qu'ils ont signé. Les mercenaires sont souvent embauchés pour la durée d'une mission.

Dans le cas de l’incident syrien du 7 février, il semble que des membres d’une SMP (sans doute appartenant à la compagnie Wagner) ont été priés d’accompagner des milices syriennes qui devaient s’emparer de champs pétroliers situés à l’est de l’Euphrate dans la région de Deir ez-Zor qui, après avoir été abandonnés par Daech, sont passés sous le contrôle des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), le bras armé des Américains en Syrie. L’objectif de Damas est effectivement de récupérer ces sources de devises et Washington qui continue à vouloir la chute du clan Assad veut empêcher cela à tous prix pour continuer à étrangler l’économie du pays. La soi-disant attaque d’un poste de commandement des FDS a été le prétexte idéal pour interdire l’accès à ces structures pétrochimiques. Sur le fond, la compagnie Wagner ne devait qu’ensuite assurer le contrôle des installations techniques. Elle s’est retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

Il faut reconnaître que Damas a pris un risque inconsidéré en empiétant sur l’est de l’Euphrate qui est de fait sous le contrôle des Américains. Washington tente d’y établir une zone "indépendante" afin d'affaiblir le régime et pour contrebalancer la présence russe et iranienne à l’ouest de l’Euphrate. Mais honnêtement, le Secrétaire à la Défense US Jim Mattis a démenti qu’il y ait eu des "collusion" du commandement russe avec cette tentative de coup de main. Il semble aussi qu’il y ait eu mauvaise communication entre les états-majors russes (qui semblaient ignorer ce sur se préparait sur le terrain) et américains (qui n’avaient pas repéré de ressortissants russes dans les forces attaquantes et qui, à leur habitude, ont tiré dans le tas avec tous les moyens disponibles.)

Même si l'attaque qui a tué une trentaine de mercenaires russes n'a touché qu'indirectement la Russie, faut-il s'attendre à ce que Moscou réponde au tir de missile américain ?

Les chiffres ne sont actuellement pas vérifiés (comme tous les autres dans ce conflit même par le fameux Observatoire syrien des Droits de l’Homme basé à Londres qui "entretient de nombreux informateurs en Syrie" et dont les chiffres sont systématiquement repris par les medias). Moscou par la voix de Maria Zakharova, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, reconnaît cinq ressortissants russes seraient décédés. Les plus pessimistes parlent de 200 à 600 tués, ce qui paraît être extravagant. Comme d’habitude, la vérité doit de trouver entre les deux et votre estimation d’"trentaine" de tués peut être assez proche de la réalité.

Mais cela ne prédit en rien un futur affrontement entre Russes et Américains puisqu’il s’agit de "privés" officiellement non commandités par Moscou.

Toutefois, il est vrai que les Russes sont très "fâchés" et, en rétorsion, ils demandent aux Américains d’évacuer la région d’al-Tanf qu’ils tiennent (avec des rebelles modérés) dans le sud-est de la Syrie sinon un "regrettable incident" pourrait survenir.

Le fait pour Moscou d’employer des SMP en Syrie est pratique car cela permet de ne pas les comptabiliser dans les pertes officielles (une quarantaine de morts dont deux officiers généraux depuis l’intervention russe fin septembre 2015). Depuis le début le début 2017, les SMP russes auraient ainsi perdu plus d’une centaine de volontaires. De plus, comme cela a été évoqué plus avant, elles assurent les missions que l’armée régulière n’effectue pas faute d’effectifs suffisants : gardes statiques, escortes de convois, protection de personnalités ou de lieux sensibles. Á noter qu’elles sont souvent payées par de riches magnats syriens pour défendre leurs intérêts et échappent alors à l'autorité directe de Moscou.

Ces pertes servent actuellement dans la campagne présidentielle russe pour interpeller le « candidat » Poutine en lui demandant de faire toute la lumière avant le 18 mars prochain sur ce qui se passe réellement en Syrie. Grigori Alekseïevitch Iavlinski qui se présente contre lui demande des explications sur l’aide apportée aux SMP et la raison des décorations remises à certains de ses membres. Il est aussi interrogé sur ses liens avec Dimitri Outkine, l’ancien officier des forces spéciales russe qui préside la Compagnie Wagner. C’est à se demander si les Américains n’interfèrent pas dans la campagne électorale russe (humour à prendre au second degré.)

Pour conclure, les mercenaires ont toujours existé (les plus connus sont les Suisses de la Garde Pontificale) et il devraient encore croître en nombre car on assiste à une sorte de privatisation de la guerre et de la sécurité. C'est économiquement plus rentable pour les gouvernements.

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