Les élites, plus corrompues que « le peuple » ? Une étude sociologique allemande a des réponses intéressantes<!-- --> | Atlantico.fr
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L’eurodéputée et ancienne vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili reste en détention, après avoir été inculpée dans une enquête pour corruption liée au Qatar.
L’eurodéputée et ancienne vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili reste en détention, après avoir été inculpée dans une enquête pour corruption liée au Qatar.
©ERIC VIDAL / AFP

Perception

Les actions qui révèlent un comportement contraire à l'éthique de la part de membres de l'élite économique et politique reçoivent souvent une attention particulière dans les médias et auprès de l’opinion. Une étude de l’Université de Heidelberg en Allemagne apporte une nouvelle perspective sur ces enjeux.

Stefan Trautmann

Stefan Trautmann

Le professeur Stefan Trautmann occupe la Chaire de finance comportementale de l’Institut Alfred-Weber d'économie au sein de l’Université de Heidelberg en Allemagne. Stefan Trautmann a obtenu son doctorat en économie à l'Université Erasmus de Rotterdam en 2009. Il a été post-doctorant au sein du Département de psychologie sociale de l'Université de Tilburg pendant deux ans, puis est devenu professeur assistant puis professeur associé titulaire au Département d'économie au sein de l'Université de Tilbourg. En 2014, il a été nommé professeur de finance comportementale à l'Université de Heidelberg. Stefan Trautmann est rédacteur en chef adjoint de diverses revues, dont Management Science, Journal of Economic Psychology et PLOS ONE. Ses intérêts de recherche portent sur la prise de décision financière dans l'incertitude, les préférences sociales et l'éthique, et la psychologie de la prise de décision économique.

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Atlantico : On considère souvent que les élites ont un sens moral plus faible que les gens ordinaires. En un sens, qu'elles sont plus corrompues. Vous avez décidé de mesurer cela dans votre étude. Comment avez-vous procédé ? Quels sont vos résultats?

Stefan Trautmann : Il est difficile de comparer les comportements naturels entre des personnes de statuts socio-économiques différents, car elles diffèrent fortement dans leurs possibilités de commettre divers comportements non éthiques. Un bénéficiaire de l'aide sociale peut ne pas déclarer des revenus annexes de quelques centaines d'euros ; un individu fortuné peut ne pas déclarer des milliers d'euros d'impôts. Comment comparer ces comportements non éthiques ? Aucun des deux ne serait même en mesure de commettre le comportement de l'autre, alors comment savoir s'ils y seraient enclins ?

Dans une étude récente, nous avons demandé à des personnes appartenant à différents groupes socio-économiques de participer à une enquête, puis nous leur proposons un petit jeu dans lequel elles peuvent obtenir une certaine gratification pour leur participation. Il est important de noter qu'ils peuvent tricher un peu dans le jeu sans risque que cela soit détecté. En d'autres termes, nous ne pouvons pas détecter si un individu a triché dans le jeu. Cependant, statistiquement, nous pouvons déterminer sur des groupes plus importants s'il y a eu tricherie. 

Nous modifions aussi artificiellement la perception que les gens ont de leur propre statut. Si un statut élevé, ou le sentiment d'avoir un statut élevé, rend les gens moins éthiques, nous nous attendrions à observer qu'ils trichent davantage. Or, ce n'est pas le cas. La meilleure description de nos résultats globaux est que tous les groupes trichent un peu, et qu'il y a peu de différence entre les groupes.

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Pourtant, la perception des élites reste plus négative que celle du reste de la population. Comment cela peut-il s'expliquer ? Est-ce seulement parce que nous avons des attentes plus élevées à leur égard ?

Les écarts de conduite des élites sont très saillants. Il suffit de penser à l'actuel scandale de corruption concernant des membres influents du Parlement européen. Les médias en font leurs choux gras : photos de liasses de billets, photos des suspects. Si un fonctionnaire de bas niveau, par exemple dans une autorité de construction, est pris pour corruption, cela ne sera qu'une nouvelle locale, si tant est que les médias en parlent. 

Outre les différences de saillance, les exigences éthiques plus élevées ont certainement de l'importance. Pour de bonnes raisons. Reprenons l'exemple ci-dessus. Le comportement du fonctionnaire local peut avoir un impact négatif sur le bien-être des habitants de la municipalité, peut-être quelques centaines de milliers. En revanche, la corruption des membres du Parlement européen peut littéralement affecter la vie de centaines de millions de personnes par le biais de la législation européenne.

S'il n'y a pas de différence en termes d'éthique réelle, mais en termes d'éthique perçue, que faut-il faire face à ce phénomène ?

Les personnes jouissant d'un statut élevé, c'est-à-dire les "élites", devraient être conscientes que ce statut élevé s'accompagne d'exigences élevées en matière de comportement. Ou, comme Spiderman l'apprend à ses dépens, "un grand pouvoir s'accompagne d'une grande responsabilité". Il sera particulièrement important que les établissements d'enseignement formant les futures élites transmettent ce message à leurs étudiants. Le problème est peut-être que la plupart des gens ne se considèrent pas comme privilégiés, riches ou influents (même s'ils le sont) ; ils se comparent à des personnes encore plus riches et encore plus influentes. Ils peuvent alors ne pas comprendre la grande responsabilité que l'on attend d'eux.      

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N'y a-t-il pas, malgré tout, une différence dans les conséquences d'un manque d'éthique de la part des membres de l'élite par rapport aux gens ordinaires ? L'impact n'est-il pas potentiellement plus important dans le premier cas ?

Oui, comme mentionné ci-dessus, l'impact d'un mauvais comportement d'un membre de l'élite est beaucoup plus important que pour les individus de statut inférieur. Ceux-ci ont plus de possibilités d'exercer des activités très influentes. Il a également été démontré qu'un comportement contraire à l'éthique de la part d'individus de statut élevé peut également être contagieux, dans le sens où il peut être copié par des individus de classe inférieure. L'exigence plus élevée envers leur éthique est une conséquence naturelle. Noblesse oblige.

Pour retrouver l'étude de Stefan Trautmann, cliquez ICI

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