Les constructeurs automobiles chinois entendent bien mettre à profit l’interdiction des moteurs thermiques en Europe pour conquérir le continent<!-- --> | Atlantico.fr
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Un employé sur une chaîne de montage dans une usine du constructeur automobile chinois NIO à Hefei, en Chine, le 10 mai 2023.
Un employé sur une chaîne de montage dans une usine du constructeur automobile chinois NIO à Hefei, en Chine, le 10 mai 2023.
©HECTOR RETAMAL / AFP

Aubaine pour Pékin

L'interdiction des moteurs thermiques d'ici à 2035 prise par l'Union européenne va déstabiliser l’ensemble de la filière automobile et fragiliser la souveraineté économique européenne au profit des nouveaux acteurs chinois.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : L'Union européenne a officiellement voté l'interdiction des moteurs thermiques d'ici à 2035. Comment les constructeurs automobiles chinois peuvent-ils profiter de la situation pour conquérir le continent ? 

Jean-Pierre Corniou : Prohiber la vente des voitures et camionnettes neuves à moteur thermique en Europe à partir de 2035 est effectivement un choix draconien que seule, pour le moment,  l’Union européenne a effectué. Proposée par la Commission en juin 2022,  votée par le Parlement, validé par le Conseil, c’est une décision désormais légale qui représente la volonté des peuples de l’Union européenne de contribuer à la diminution des émissions de CO2 pour respecter l’Accord de Paris de 2015 et contribuer à tenir la trajectoire des  émissions nécessaires au maintien d’une hausse acceptable des températures sur la planète, soit entre 1,5° C et 2°C. Le transport routier représente 20% des émissions de CO2 de l’Union. Un seuil intermédiaire a été également fixé pour 2030, soit une baisse de 55% des émissions de CO2 pour les voitures et 50% pour les camionnettes.  Ces choix résultent d’un processus de décision complexe qui intègre des données scientifiques, validées par le GIEC, et des analyses politiques, la poussée d’une fraction active des opinions publiques en faveur de mesures environnementales. Il ne s’agit pas, comme on a pu l’écrire, d’un « suicide de l’Europe » mais de choix mesurés et rationnels qui en effet perturbent profondément notre cadre de vie et l’industrie de la mobilité. 

Dire que cette décision a pu surprendre par sa radicalité et continue à inquiéter pour ses conséquences sur l’ensemble du secteur qui emploie 13 millions d’Européens serait un euphémisme. Beaucoup d’acteurs influents, dont une partie des constructeurs, ont tenté d’empêcher cette décision et l’opinion publique, plutôt hostile, n’a pas franchement réagi car c’est une décision dont l’impact est perçu comme lointain et encore flou dans l’esprit des consommateurs. Néanmoins, à l’échelle industrielle, 2035 c’est très proche, et plus encore 2030, et les constructeurs se sont rangés derrière cette décision, après une tentative d’opposition frontale, et une manœuvre de diversion marginale qui a conduit à un accord sur la possibilité d’utiliser dans des cas très limités un carburant de synthèse liquide, un e-carburant, totalement décarboné. Ce qui a choqué l’industrie est que le pouvoir politique se soit arrogé une prérogative technique qui jusqu’alors leur revenait, choisir la solution pour atteindre un objectif. Néanmoins on peut rétorquer que si le moteur thermique sera effectivement interdit en Europe pour toute voiture, neuve, il restera possible au-delà de 2035 de faire circuler les voitures thermiques actuelles et de continuer à les échanger sur le marché de l’occasion. Les solutions pour obtenir la décarbonation n’ont pas été fixées. Cela peut être en effet des véhicules électriques à batteries ou à pile à combustible. De plus le marché mondial ne sera pas converti à l’électrique dès 2035 et il sera possible de vendre dans de très nombreux pays des véhicules thermiques, même si on peut penser qu’ils devront respecter des normes de plus en plus contraignantes. Il appartient à l’industrie et aux gouvernements de saisir ce qui est aussi une opportunité industrielle majeure. 

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Car si cette décision a été prise malgré ces facteurs d’opposition, c’est qu’elle répond à un autre objectif que la protection du climat tempéré, qui a toujours été un atout de l’Europe et un facteur direct de sa domination industrielle depuis le XVIIIe siècle. Dans un monde en changement, il s’agit prosaïquement de se préparer à contrer les ambitions dans l’industrie automobile d’un nouvel acteur, la Chine.Comprendre l’évolution du marché mondial de l’automobile depuis le début du XXIe siècle est impossible si on n’intègre pas le rôle particulier de ce pays qui s’est hissé au premier rang mondial des ventes en 2007 en partant de rien en 1980. La Chine a produit 5 000 voitures individuelles en 1980, 600 000 en 2000 et 23,8 millions en 2022, 27 millions avec les véhicules commerciaux légers. Cette croissance est le fruit d’une stratégie de long terme pour constituer, avec l’aide technique de tous les constructeurs et équipementiers occidentaux et asiatiques, un écosystème industriel puissant, puis faire évoluer le système industriel vers l’électromobilité, défini dès 2015 comme étant la priorité du plan China 2025.

Quelle est la stratégie chinoise pour dominer le marché européen ? Surtout, comment expliquer que cette stratégie n’ait pas été détectée en amont par Bruxelles ?

Depuis peu, le passant curieux peut découvrir sur les voitures des logos nouveaux correspondant à des marques inconnues. D’où viennent ces MG, au nom européen, ces Lynx&Co, plus exotique, ces bus BYD, ces SUVAiways U5, BYD Atto 3, ces Polestar 3. De Chine !Où est produite la plus abordable des voitures électriques sur le marché français, Dacia Spring. En Chine ! En effet, l’industrie chinoise et le gouvernement ont décidé il y a plus d’une décennie de se fixer comme objectif un développement accéléré de toutes les solutions de mobilité décarbonée pour réduire drastiquement les émissions de CO2, et plus généralement les pollutions engendrées par l’augmentation considérable de la circulation automobile en Chine. C’est un choix raisonné de long terme qui s’est décliné dans toutes les filières de la mobilité des biens et des personnes, transports ferroviaires, métros, autobus, camions, véhicules industriels et de service, deux roues. Toute l’industrie a été embarquée dans ces choix et la Chine, parallèlement à sa maîtrise de la production des véhicules thermiques, a « inventé » de toutes pièces une industrie des véhicules électriques d’abord pour satisfaire sa demande interne, puis pour exporter massivement dans le monde. 

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Bien évidemment, ces intentions ne sont pas restées ignorées ni des pouvoirs publics, ni des constructeurs, tous étant présents sur le marché chinois à travers les joint-ventures.Mais la Chine n’a pas été immédiatement perçue comme un concurrent pour les véhicules européens, considérés comme en avance en matière technique, en design et en fiabilité. Le principal concurrent en matière de voiture électrique, Tesla, n’a d’ailleurs pas été pris au sérieux à ses débuts. De plus les industriels chinois ont privilégié le marché intérieur. Il a fallu attendre 2022 pour voir se concrétiser le potentiel concurrentiel chinois à l’exportation. Les exportations de véhicules chinois ont triplé en 2022 par rapport à 2021 et chacune des grandes marques chinoises, publiques et privées, dispose désormais d’un plan d’investissement commercial adapté aux caractéristiques de chaque pays visé.La Chine n’avait vendu en Europe que 9 000 voitures en 2018, puis 80 000 en 2021 et 202 000 en 2022. Il n’est plus possible de l’ignorer.Les industriels chinois ont abordé avec beaucoup de prudence les marchés occidentaux très compétitifs en dosant leur présence dans les salons automobiles, et dans les show-rooms, pour éviterd’affronter la concurrence sans armes compétitives. La Qoros thermique, pâle copie de BMW, présentée au Salon de Genève en 2014 a été un échec cuisant. En effet, les standards de qualité et de sécurité sont élevés en Europe et il fallait disposer d’une offre séduisante pour parvenir à être compétitifs, et le véhicule électrique établit de nouvelles bases. On peut considérer qu’en 2023 cette marche d’approche est achevée et que désormais l’industrie chinoise va déployer son offensive pour viser les volumes et atteindre une fraction significative du marché du véhicule électrique dans ce marché en expansion rapide ; 22% des voitures vendues en Europe en 2022 étaient électriques et hybrides rechargeables. En France, les représentent en 2023 24% du marché des véhicules neufs.

Pour faire face à cette offensive chinoise, l’Union Européenne sera-t-elle obligée de choisir entre protéger son industrie automobile et embrasser la concurrence et le choix des consommateurs ?

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Quelles pourraient être les conséquences de cette offensive chinoise pour l’économie et l’industrie automobile européenne ?

L’industrie européenne tant dans son territoire que sur le marché international est confrontée depuis cinquante ans à l’émergence d’acteurs nouveaux qui sont venus perturber le duopole historique constitué par l’industrie américaine et l’industrie européenne, et singulièrement allemande,sur le marché mondial de l’automobile. Le Japon, puis la Corée ont ouvert des brèches qui se sont révélées des boulevards pour la pénétration des produits proposés par ces pays et qui ont su par leurs qualités propres, notamment la fiabilité, séduire les consommateurs américains et européens, et s’implanter mondialement ; Les positions de Toyota, premier constructeur mondial, et de Hyundai/Kia, 3e constructeur,n’est pas usurpée et répond à une stratégie technique et commerciale qui a fait ses preuves, d’autant plus que ces constructeurs ont su habilement s’implanter industriellement dans les pays clients. L’exemple de l’usine de Toyota à Onnaing est remarquable.

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