Les Allemands voudraient que l’Europe subventionne la production de véhicules électriques, voilà pourquoi ça n’est pas forcément une bonne idée<!-- --> | Atlantico.fr
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Des employés travaillent sur la chaîne de montage de la voiture électrique Volkswagen ID 4, sur le site de production d'Emden, dans le nord de l'Allemagne, le 20 mai 2022.
Des employés travaillent sur la chaîne de montage de la voiture électrique Volkswagen ID 4, sur le site de production d'Emden, dans le nord de l'Allemagne, le 20 mai 2022.
©DAVID HECKER / AFP

Industrie automobile

L'Allemagne souhaite que les subventions pour la production de voitures électriques augmentent. Ces subventions sont-elles devenues des marqueurs électoraux plutôt que des outils de rationalité économique ?

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : L’industrie automobile allemande plaide pour une augmentation des subventions à la production de voitures électriques. Dans quelle mesure ces subventions favorisent avant tout l’enrichissement de l’industrie automobile au détriment de la recherche ?

Jean-Pierre Corniou : Les subventions publiques sont, avec la commande publique, un moyen, classique et historique, de soutenir une activité naissante. Dans le domaine des transports, où l’action publique a toujours été très active compte tenu des enjeux nationaux en termes d’emploi et de souveraineté technologique, les subventions sont un outil courant. Ainsi l’aéronautique dont les frontières entre activité militaire et activité civile ont toujours été perméables, les Etats-Unis et la France ont connu une longue dispute dans leurs stratégies de financement des avionneurs Boeing et Airbus.

L’industrie automobile est confrontée, sans l’avoir décidé, à une mutation sans précédent de son écosystème. Elle doit partout dans le monde, faire face à des défis considérables qui remettent en cause son modèle d’affaires séculaire, la vente de véhicules en pleine propriété, et ses choix techniques, l’utilisation du moteur à combustion interne. L’industrie européenne a réussi à s’imposer par son expertise dans les motorisations thermiques, essence et diesel. Elle doit désormais s’affranchir de ce savoir-faire exceptionnel pour intégrer dans les véhicules des composants électroniques, des batteries et des moteurs électriques, et des logiciels qui ne font pas partie de son socle technique et culturel. Ceci implique des reconversions douloureuses des sous-traitants et des personnels internes experts dans la chaine de conception, de production et de maintenance du groupe motopropulseur thermique. Cette reconversion technique et organisationnelle a des conséquences majeures qui poussent les constructeurs, après avoir esquissé une vaine révolte contre ce tsunami électrique, à demander aux pouvoir publics des plans d’aide pour faire face aux surcoûts imposés par cette mutation. De fait depuis la crise de 2008, les États ont consenti aux constructeurs des moyens publics importants pour sortir de la crise conjoncturelle et construire la révolution technique de l’électrification.C’est le sens du plan européen pour la production de batteries. C’est aussi la politique française de soutien à l’industrie par le truchement de la Plateforme de la Filière Automobile et Mobilités (PFA) qui regroupe les 4 000 entreprises de l’industrie automobile.

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N’y a-t-il pas d’autres moyens d’aider ce secteur sans augmenter toujours plus les subventions publiques ?

Les États ne peuvent être indifférents à une activité qui occupe, en Europe, directement dans la production de véhicules 2,5 millions de salariés, soit 8,4% de la population active de l’industrie et au total 13 millions de personnes, soit 7% de l’emploi total. Aux Etats-Unis c’est un secteur symbolique de la puissance et de l’indépendance nationale qui se bat pour conserver des emplois après avoir subi une mutation majeure. Dans chacun de ces territoires, la migration de l’industrie automobile du thermique vers l’électrique compromet les positions acquises depuis plus d’un siècle en mettant leur industrie, déjà par deux fois violemment ébranlée par les offensives nippones et coréennes, à portée des ambitions chinoises. La Chine a fait depuis 15 ans du véhicule électrique sa priorité absolue et en maitrise l’ensemble des composants, des terres rares nécessaires aux moteurs électriques à aimant permanent aux batteries et aux innovations technologiques de pointe, tant sur le véhicule que sur l’électronique et les logiciels. 20% des véhicules neufs vendus en Chine sont électriques à batteries et surtout constituent une offre large de véhicules de tous formats qui ne se limite pas au créneau du haut-de-gamme. Les ventes de VE ont progressé en 2022, sur trois trimestres, de 89% en Chine, 25% en Europe et 68% aux Etats-Unis où le parc est beaucoup moins important.

C’est pourquoi les Etats-Unis n’ont pas hésité dans l’Inflation Reduction Act (IRA) à adopter une mesure massive de subvention à l’achat de véhicules électriques de 7500 $ pour un véhicule neuf et 4000 $ pour un véhicule d’occasion. C’est aussi une mesure protectionniste car 50% des composants de la batterie doivent provenir des Etats-Unis, du Canada ou du Mexique avec comme objectif 100% en 2030. Malgré ces montants massifs, l’évaluation faite par le Bureau du Budget du Congrès conduit à des montants de 1,8 milliard $ par an pour 237 000 véhicules électriques, sur un total annuel moyen de 15 millions de véhicules vendus. Le chemin a parcourir pour convaincre l’automobiliste américain est encore plus long que pour les Européens.

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Naturellement, le succès du véhicule électrique ne peut provenir que des seules subventions à l’achat, qui coûtent de plus en plus cher… aux contribuables qui ne roulent pas à l’électrique ! C’est pourquoi les dispositions prises en France en 2023 sont plus restrictives et s’inscrivent dans un mouvement général de réduction des aides individuelles à l’achat. Le bonus passe ainsi de 6 000 à 5 000 €, sauf pour les manges les moins aisés (moins de 14 089 € de revenu fiscal) qui bénéficient de 2 000 € d’aides supplémentaires et concernent les véhicules de moins de 2,4 tonnes et moins de 47 000 €.Simultanément, on constate que le maillage des bornes de recharge est encore très insuffisant, 50% des bornes installées et Europe se situant dans deux pays représentant 10% de la surface du continent, l’Allemagne et les Pays-Bas. Il faut 6,8 millions de bornes en Europe d’ici 2030 pour atteindre les objectifs du plan européen de réduction de 55% des émissions Fit-for-55

Une étude de la Banque mondiale suggère que 10 000 dollars sont nécessaires pour encourager l'achat d'un véhicule électrique. Le même résultat pourrait être obtenu en dépensant un peu moins de 1 600 dollars pour l'infrastructure de recharge. Quelles conclusions doit-on en tirer ?

Il faut en effet convaincre le consommateur qu’adopter un véhicule électrique n’est pas pour lui un risque technologique et économique dont il fera les frais. Dans les conditions actuelles, une étude de la Federal Reserve conclut que le coût de possession au mile parcouru d’un véhicule électrique est de $214 contre $ 104 pour un véhicule thermique. Comme toute plongée dans l’inconnu, le consommateur est rétif et souhaite des garanties. Prudent, il réclame d’abord une aide immédiate sans préjuger de qui se passera sur le plan de l’évolution de la valeur de son véhicule dans quelques années compte tenu de la mutation technique rapide.

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Néanmoins, contrairement aux Etats-Unis qui doivent faire face au scepticisme d’une population acquise aux imposants véhicules thermiques – le pick-up Ford 150 est le véhicule le plus vendu aux Etats-Unis -, la plupart des autres pays industriels considèrent que le véhicule électrique doit désormais s’imposer sans subvention à l’achat et ont amorcé la décrue des aides à l’achat. C’est le cas des pays qui ont réussi le décollage de l’électrification de leur parc, comme la Norvège, dont le pourcentage des véhicules électriques représente 80% des ventes en 2022. Dans ce pays l’essence ne représente plus de 3,5% des ventes au premier semestre et le diesel 3,4%. Il faut dire que la Norvège a adopté une politique agressive pour convaincre les automobilistes de changer de comportements en détaxant massivement les véhicules électriques, devenus moins coûteux à l’achat que leurs homologues thermiques, et en leur octroyant de multiples avantages dans l’usage quotidien, comme le parking et les ferries gratuit. Mais avant tout autre avantage, c’est bien la parité de prix électrique vs thermique qui convainc les acheteurs.

Non producteur de voitures, la Norvège a ouvert le champ à une concurrence internationale intense dont bénéficient Tesla avec ses Model 3 puis Y, les marques du groupe Volkswagen, Hyundai avec la Ioniq 5 et mêmes les véhicules chinois du groupe FAW, tel la Hongqui E-HS9, et la BYD Tang. La Norvège constitue sans nul doute un laboratoire d’une stratégie volontariste qui a bousculé en dix ans le marché et fait céder le moteur thermique. Il faut toutefois mentionner que la Norvège est un pays dont l’électricité est 100% hydraulique et où le véhicule électrique, importé, ne présente que des avantages environnementaux. Car les critiques qui peuvent être faites au véhicule électrique sur son impact environnemental se concentrent dans la phase amont de la production, notamment pour les batteries.

Les subventions aux véhicules électriques sont-elles aujourd’hui devenues des marqueurs électoraux plutôt que des outils de rationalité économique ?

Il serait audacieux de considérer que la migration à marche forcée vers le véhicule électrique représente un engouement tel des consommateurs que les citoyens, qu’ils sont aussi, en fassent porter le bénéfice à leurs élus. Aujourd’hui, en France, l’électrification du parc est accueillie avec plus de scepticisme que de ferveur car elle implique un changement de modèle qui inquiète les consommateurs. Les principaux arguments opposés au véhicule électrique sont son coût d’achat, l’incertitude sur son innocuité environnementale réelle et les contraintes imposées aux véhicules thermiques, comme les zones à faible émission (ZFE) qui sont perçues comme des brimades pour les citoyens qui n’ont pas les moyens financiers ou techniques, comme la disponibilité d’une borne de recharge, pour faire ce saut. N’oublions pas que les principaux mouvements sociaux spontanés de la décennie ont trouvé leur origine dans les menaces perçues contre la liberté de mobilité individuelle par les Bonnets rouges et les Gilets jaunes. La mobilité automobile est perçue comme une liberté acquise et tout ce qui la contrarie comme une menace.

C’est dire que pour les gouvernants la voie est étroite.Entre la certitude d’une évolution rapide de l’emploi automobile, aussi bien dans les usines des constructeurs et des sous-traitants que dans le commerce automobile, et les contraintes d’usage, l’électrification du parc imposée par les programmes de réduction massive des émissions de CO2 dont les transports représentent 25% des émissions, dont 60% pour le transport des personnes, les gouvernants doivent se frayer un chemin entre des écueils redoutables.

La seule réponse pertinente sera la capacité de l’industrie à proposer des solutions de véhicules électriques, fiables et économiques, qui rassurent le client et suscitent une adhésion naturelle à la logique d’une solution qui est intrinsèquement attrayante. Car si les avantages de l’électricité se sont imposés dans la plupart des usages industriels et domestiques, la mobilité individuelle lui avait échappé. Batteries et piles à combustible offrent les solutions nécessaires. Il faut en dix ans rattraper un siècle de retard et trouver les solutions pertinentes. Toute l’industrie y travaille d’arrache-pied car c’est pour le berceau de l’histoire automobile qu’est la France une condition de la survie de son industrie automobile.

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