Le Stade de France en 6 questions essentielles qui devraient être au cœur des législatives (mais qu’Emmanuel Macron fera tout pour éviter) <!-- --> | Atlantico.fr
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La police patrouille lors du match de football de la finale de l'UEFA Champions League entre Liverpool et le Real Madrid au Stade de France à Saint-Denis, le 28 mai 2022.
La police patrouille lors du match de football de la finale de l'UEFA Champions League entre Liverpool et le Real Madrid au Stade de France à Saint-Denis, le 28 mai 2022.
©THOMAS COEX / AFP

Orientation politique

Est-il sain dans une démocratie de choisir une majorité parlementaire en n’ayant que des indications très floues sur l’orientation politique choisie sur des questions aussi essentielles que l’ordre public, l’immigration ou la culture d’irresponsabilité publique ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Atlantico : Alors que les élections législatives doivent se tenir dans un peu plus d’une semaine, aucun programme ou vision politique assumés ne semble transparaître de la majorité. Comment l’expliquer ? Quelles sont les conséquences d’une élection menée sans programme et sans vision ?

Christophe Bouillaud : Tout d’abord, cette campagne législative atone tient au fait que la campagne présidentielle elle-même a été perturbée par l’agression russe contre l’Ukraine. Emmanuel Macron a présenté son programme présidentiel très tard, et l’a finalement peu détaillé faute de temps. Il aurait pu saisir l’occasion de la campagne des législatives pour l’expliciter, le préciser. En réalité, on constate jusqu’à ce jour le processus inverse. Au-delà de quelques mots clés, comme la planification écologique, et la réorganisation des ministères qui a été effectuée dans le gouvernement Borne pour afficher cette priorité, aucune précision n’a été apportée. C’est pour l’instant juste une expression, tout comme la priorité pour la santé, l’éducation ou les droits des femmes.

Probablement, Emmanuel Macron a jugé que sortir de l’ambiguïté se ferait à son détriment. Je pense en particulier au report de l’âge légal de la retraite à 65 ans. Ses proches savent lire les sondages, et ils voient bien que les actifs n’y sont pas favorables, seuls les actuels retraités se prononcent majoritairement pour priver les plus jeunes de leur droit à une retraite dans des délais raisonnables. De même préciser ce qu’Emmanuel Macron entend par les 15 heures d’activité pour les bénéficiaires du RSA est épineux : fait-on du social, ce qui, pour le coup, coûterait vraiment un bras aux départements, ou vise-t-on à créer de la main d’œuvre disponible en dessous du coût du SMIC pour tout employeur intéressé, ce qui risque de braquer encore plus les syndicats ? De même, on annonce bien qu’on va indexer de nouveau les retraites sur l’inflation dès cet été, mais on se garde bien de préciser exactement ce qu’on va faire exactement, ne serait-ce que parce que les retraites complémentaires ARRCO-ARGIC sont gérées en principe par les partenaires sociaux. On sent bien que le but est de ne pas trop décevoir les attentes des uns (retraités par exemple)  et de ne pas exciter les peurs des autres (salariés, bénéficiaires du RSA, enseignants, etc.).

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Le problème de cette stratégie attentiste est bien sûr, que, même si elle réussit au final grâce au fait que seuls les électeurs âgés se seront déplacés aux deux tours des élections législatives, elle affaiblira la légitimité des décisions prises ensuite. Il y aura en effet de ce fait des réformes dont la plupart des citoyens n’auront même pas entendu vaguement parler avant qu’elles ne s’appliquent. Il ne faudra pas s’étonner ensuite que les réactions de la part des personnes concernées soient un peu vives.   

Les événements du Stade de France, loin d’être un événement anecdotique, révèlent des problèmes fondamentaux de la société française. Dans quelle mesure cela pose-t-il des questions qui mériteraient d’être posées dans le cadre des législatives sur :

- LA SECURITE ET L'INSECURITE PUBLIQUE

Christophe Bouillaud : Sauf à traiter les supporters britanniques de menteurs, il faut bien admettre que certains d’entre eux ont été agressés et volés aux abords du Stade de France. C’est d’autant plus significatif d’une incapacité de l’Etat à assurer la sécurité publique que cela était complètement prévisible. Les supporters britanniques ne sont après tout que des touristes étrangers, et l’on sait bien que les touristes étrangers, en particulier en région parisienne, constituent des objectifs faciles pour les délinquants.

Au-delà de cette considération générale, on peut aussi y voir l’incapacité de la police nationale à faire du renseignement dans ce domaine. Il ne devait pourtant pas être très difficile de prévoir que des resquilleurs venus des alentours du Stade de France, situé sauf erreur de ma part au milieu du département métropolitain le plus pauvre de France,  seraient présents vu le prestige de ce match auprès d’une partie de la jeunesse pour laquelle le foot est vraiment, pour le coup, un opium.

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Sur le plan de la discussion publique lors de ces législatives, on aurait aussi pu s’attendre à ce qu’un parti d’opposition s’interroge sur le fait que l’on ne dispose pas actuellement d’une enquête de victimation, sous prétexte de révision de la méthodologie et de changement d’organisme public porteur. On ne dispose du coup que des chiffres issus de la police et de la gendarmerie elles-mêmes, qui correspondent simplement à leur activité administrative. Ill aurait été intéressant de savoir lors d’un sondage de victimation fait dans l’année précédant la présidentielle où en est le niveau déclaré par la population française des délits et de crimes à son encontre. En effet, comme actuellement, dans une ville comme celle où j’habite, à savoir Lyon, le dépôt d’une plainte est devenu très compliqué, y compris aux dires des policiers eux-mêmes quand ils parlent librement, pour des raisons d’effectifs et de chaos informatique,  il est bien possible que les victimes renoncent à porter plainte, et que la statistique administrative issue de la police et de la gendarmerie fausse beaucoup la perception du niveau réel de la délinquance par les autorités.

- L’ENCADREMENT DE LA GESTION DES FOULES 

Christophe Bouillaud : Mon collègue Sébastien Roché et quelques autres spécialistes du sujet ne cessent de faire remarquer que la doctrine française en la matière est allée, contrairement à celle des autres pays européens comparables, vers la montée aux extrêmes. Toute foule est vue désormais comme une foule ennemie qu’il faut mater par un grand déploiement de force policière, un peu comme au XIXème siècle. Le préfet de police actuel est l’un des grands acteurs de cette évolution. Cela a certes permis de mater tous les mouvements sociaux depuis 2017 à grand renfort de gaz lacrymogènes et de coups de matraques, mais cela peut déraper à tout moment. Il semble que le ministre de l’Intérieur ait fini par s’excuser du traitement musclé des supporters britanniques par les forces de police présentes sur place. Il était difficile de faire autrement vu les images disponibles où les supporters britanniques font preuve d’un flegme étonnant face à ce qui leur arrive de la part de notre police républicaine. Cela n’a jamais été fait pour toutes les autres personnes ayant été soumises depuis 2017 à cette manière de faire de notre police et de notre gendarmerie. Sans doute, rétrospectivement, notre Ministre a dû se dire qu’il l’avait vraiment échappé belle : un ou des supporters anglais éborgnés, amputés, ou tués, et s’en était fini de sa belle carrière. Plus sérieusement, la France a tout de même de la chance que ce genre d’échec arrive deux ans avant les Jeux Olympiques de Paris. Cela laisse tout le temps pour tout revoir.

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Sur le plan de la vie démocratique, il n’est en tout cas guère acceptable que toute manifestation contre  le pouvoir en place tourne mal presque systématiquement. Nous sommes là face à une vraie question qui pourrait être discutée lors de législatives : la manifestation de rue est-celle encore admise comme un mode normal d’expression du mécontentement par nos gouvernants ? En parole, oui, en actes et en pratique, non. J’ajoute que la référence pour justifier cette dureté du maintien de l’ordre à la présence de « blacks blocs » ou autres « cortèges de tête » ne peut pas tout excuser. Là encore, on pourrait aussi bien dire que c’est le renseignement policier qui est déficient, et, là encore, il y aurait matière à discussion. 

- LA REPONSE PENALE ET JUDICIAIRE 

Christophe Bouillaud : Sur le plan de la réponse pénale et judiciaire, il n’est pas difficile de rappeler que la France manque désespérément de magistrats, et que cela mériterait bien sûr discussion lors de législatives. La comparaison avec le nombre de magistrats par habitants en Allemagne est désormais faite de manière routinière à droite comme à gauche pour dénoncer cette carence. Comment fait-on pour avoir plus de magistrats dans des délais raisonnables ? Pas dans cinq ans, dix ans, vingt ans, dans l’année qui vient. La stratégie du gouvernement est d’essayer de désengorger la chaine pénale en utilisant la contravention pour les petits délits. Cela marche au final très mal, car il demeure que le budget de la justice, le nombre de magistrats et de tous ceux qui concourent à leur action (greffiers par exemple), sont bien trop faibles, sans compter les effets tragiques d’un sous-équipement matériel. Ce manque de magistrats explique aussi sans doute en partie la surpopulation de nos prisons : comment faire du suivi de peines alternatives à la prison si on n’a pas de juges en nombre suffisant pour le faire ? Dans ce domaine, ce ne sont pas tant les lois pénales qui sont à critiquer que l’absence de moyens humains et matériels pour bien faire le travail de la justice.

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- L'INTEGRATION ET LE CONTROLE DES FLUX MIGRATOIRES 

Christophe Bouillaud : Bien sûr, ces événements du Stade de France peuvent être vus par certains comme liés à l’immigration, et présentés comme un défaut d’intégration. On pourrait à l’inverse se dire que tous ces jeunes habitants de Seine-Saint-Denis qui auraient voulu voir ce match historique et qui ont fait le siège du Stade de France sont peut-être plus intégrés que certains ne le pensent. Simplement, ils sont pauvres et ils n’ont pas les moyens de se payer un billet pour cet événement. Certains ont dit que c’est le joueur Benzema qui les avait attirés par sa seule présence dans l’une des équipes. Je ne sais pas si cette explication vaut, mais, si tel était le cas, cela serait plutôt un signe d’intégration, intégration malheureuse car privée des moyens économiques de sa réalisation en pratique.

Du coup, la question que ces évènements devraient poser est celle du rôle du foot comme mirage d’ascension sociale. Tous ces jeunes,  pour une part issus de l’immigration, ont des rêves de consommation, dont le spectacle sportif fait partie,  mais, pour eux, l’intendance ne suit décidément pas. C’est la désormais vieille question de l’ascenseur social qui se pose là.

Par ailleurs, s’il est vrai que de mineurs étrangers isolés auraient été présents parmi les agresseurs des supporters britanniques ou espagnols, c’est là un autre problème à ne pas confondre avec le précédent. C’est moins là un problème d’intégration économique et sociale de jeunes nés en France que de relations internationales. Comme je le vois aussi dans mon quartier lyonnais, ces mineurs étrangers isolés trainent leur misère et leur agressivité. Il faudrait pouvoir discuter clairement de leur sort avec les pays dont ils sont ressortissants. Il est vrai que ces pays ne savent pas quoi faire de leur sous-prolétariat. Est-ce la responsabilité de la France de leur donner un destin ? Sur le papier, selon les conventions internationales que  la France a signé, elle doit s’occuper d’eux une fois qu’ils sont arrivés sur notre sol, mais, en pratique, sait-on faire ? Peut-on même faire vu les faiblesses de notre système de formation professionnelle ?

- LA CAPACITE A GRER DES GRANDS EVENEMENTS

Christophe Bouillaud : Sur ce point, c’est pour le coup un aspect qui ne mérite guère une grande discussion lors de législatives. En effet, ces grands événements sont certes des éléments de prestige national, mais je doute qu’ils ajoutent quoi que ce soit aux fondamentaux de l’économie française. Je rappelle que tous les Jeux Olympiques depuis ceux de Montréal en 1976 ont été des catastrophes économiques pour les villes organisatrices, ce qui explique d’ailleurs le nombre de plus en plus réduit de villes candidates à l’organisation de ces grands événements sportifs.  La plus grande chance pour la France serait de devoir annuler « Paris 2024 » suite à ces événements du Stade de France, mais il ne faut pas rêver, nos dirigeants sont trop étroits d’esprit pour saisir cette chance qui leur est ainsi offerte d’en finir avec cette erreur. La vraie question serait plutôt de réfléchir à un tourisme plus durable pour la première destination touristique mondiale qu’était encore la France avant la pandémie de Covid-19. Comment gère-t-on la probable disparition des touristes chinois et russes sur notre sol pour les prochaines années ?

- LA RESPONSABILITE, LES MENSONGES PUBLICS ET LA TRANSPARENCE DEMOCRATIQUE

Christophe Bouillaud : Là c’est un festival. On a eu droit en effet à deux beaux mensonges. D’une part, la galéjade sur le nombre de supporters britanniques sans billets valables. D’autre part, la minimisation complète des agressions commises à l’encontre de ces mêmes supporters par quelques « sauvageons » comme disait jadis un actuel soutien de la majorité.

Heureusement, comme l’affaire a concerné des supporters britanniques et que la presse britannique était présente sur les lieux, une avalanche de faits a contredit la version des autorités françaises qui ont dû piteusement admettre quelques manquements.

En bonne gestion démocratique, les mensonges, ou, pour être plus poli, les approximations du Ministre de l’intérieur, s’ajoutant au chaos sur le moment, auraient dû le conduire à démissionner, tout comme son principal subordonné concerné, le Préfet de police de Paris. Pour l’instant, les deux responsables restent en place et conservent la confiance du chef de l’Etat.

Cela mérite bien sûr discussion lors de législatives. Quel degré de cohérence avec les faits est-on en droit d’exiger de la part d’un Ministre de la République ? Qu’est-ce que la responsabilité proprement politique d’un Ministre ? Les oppositions sont là en droit d’insister, c’est presque pour le coup leur devoir de ne pas lâcher l’affaire. Si plus personne n’est responsable et ne doit, au moins symboliquement,  subir des désagréments en cas de manquements, cela ne peut que très mal finir. On n’a pas inventé le concept de responsabilité ministérielle pour rien. C’est un ingrédient essentiel de l’efficacité d’un Etat moderne.

Dans quelle mesure Emmanuel Macron va-t-il tout faire pour éviter d’avoir à rendre des comptes sur ces enjeux ou d’affirmer une vision claire sur l’éducation ou sur la santé (pourtant évoqués lors de ces déplacements à Cherbourg et Marseille) ?

Jean-Sébastien Ferjou : Emmanuel Macron fuit le sujet du Stade de France en considérant qu’il n’a pas vocation à commenter l’actualité, comme s’il s’agissait juste d’un événement relevant de la rubrique chiens écrasés et faits divers et pas d'une question concentrant les enjeux fondamentaux de la société française.

Idem sur les sujets clés comme la santé, l'éducation, l'économie, l'environnement. On entend des prises de position qui relèvent essentiellement de l’agitation de hashtags ou de symboles (un Pap NDiaye conçu comme un produit d’appel à un électorat de professeurs et de cadres sup’ urbains qu’Ensemble cherche à détourner de la Nupes) mais sans la définition d’une vision politique de santé claire. Qui a retenu/compris l’orientation réelle qu’Emmanuel Macron souhaite donner à la réforme de l’hôpital ou à sa politique de santé après son déplacement à l’hôpital de Cherbourg par exemple ? Quelle est la vision réelle de la laïcité et de l’universalisme français défendue par le président comme par son ministre de l’Education ?

Christophe Bouillaud : Sauf changement radical de stratégie de la part d’Emmanuel Macron d’ici le premier tour des élections législatives, l’électeur moyen n’en saura pas plus que ce qu’il sait déjà à travers la campagne des présidentielles et l’action d’Emmanuel Macron depuis 2017 sur les orientations du nouveau quinquennat.

Pour Macron, les opinions sont faites. 28% des électeurs ont voté pour le Président sortant au premier tour de la présidentielle, il ne faut rien faire pour les détourner d’un vote pour la majorité présidentielle dans quelques jours.

Si cette stratégie du flou réussit, on s’oriente donc probablement vers une majorité législative macroniste appuyée sur une minorité des électeurs inscrits, car elle compte sur la démobilisation de l’électorat pour l’emporter. C’est bien là le problème du macronisme. Au-delà de slogans attrape-tout et vagues, il doit gérer la contradiction entre son soutien par une minorité d’électeurs plutôt aisés et âgés, qui peuvent le porter jusqu’à la victoire dans le cadre d’une forte abstention, et les demandes  pressantes et les craintes du reste de la société, qu’il ne faut pas sortir de leur torpeur. Pour prendre un exemple, et pour revenir sur l’état de la justice, comment embaucher deux fois plus de juges et de greffiers, les payer correctement, leur donner du matériel moderne et des locaux fonctionnels, sans relever les impôts sur ceux qui ont les moyens d’en payer plus ? Mission impossible. Il vaut donc mieux se taire et ne point trop en dire. 

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