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Le principe de Peter ou la raison pour laquelle bien des gens rencontrent leur seuil d’incompétence après une promotion
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Monde du travail

Selon Laurence J.Peter, pédagogue canadien, "dans une hiérarchie, tout employé à tendance à s’élever à son niveau d'incompétence". Sommes-nous destinés à être encadrés ou à travailler avec des supérieurs ou des collègues incompétents ?

Olivier Meier

Olivier Meier

Olivier Meier est Professeur des Universités , Directeur de recherche au laboratoire interdisciplinaire d'étude du politique-Hannah Arendt. Il préside l'Observatoire ASAP - Action sociétale et Action Publique, en lien avec la Chaire ENA - ENSCI - Sciences Po. Membre du comité d'orientation de l'Ecole Internationale d'Etudes Politiques, il enseigne la stratégie internationale et le management à l'Université Paris Est, Paris Dauphine et Sciences Po Paris. Il est par ailleurs directeur de la Revue Management et Stratégie ( peer-reviewed Journal) et responsable de Collections aux Editions Management et Société (EMS).

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Atlantico.fr : Selon Laurence J.Peter, pédagogue canadien et Raymond Hull, conférencier anglais « dans une hiérarchie, tout employé à tendance à s’élever à son niveau d'incompétence », qu’est ce que cela signifie ? 

Olivier Meier : Le principe de Peter vise à souligner que dans toute organisation (hiérarchique), la promotion interne va se faire à partir des résultats obtenus par le candidat à son poste antérieur (performance) plutôt sur les compétences attendues pour réussir dans le nouveau poste. Par conséquent, tant que le candidat réussit à son poste actuel, il peut raisonnablement envisager d’être repéré par son supérieur et ainsi accéder à un niveau hiérarchique plus élevé. Laurence J. Peter parle ici de « principe », dans la mesure où le procédé peut se produire plusieurs fois jusqu’à ce que le salarié en question se révèle dans sa nouvelle fonction, incompétent. Dans cette situation, ne pouvant être déclassé (inertie organisationnelle) et ne faisant plus l’objet d’une attention remarquée au sein de sa hiérarchie pour cause d’incompétence, le salarié se voit dès lors condamné à rester durablement à son poste d’incompétence. Ceci permet d’affirmer que tout employé à tendance à s’élever à son niveau d'incompétence. Selon ce principe, à terme, tous les postes d’une organisation peuvent donc finir par être occupés par des salariés incompétents. Le Principe exposé par Laurence J. Peter est d’autant plus pertinent que refuser une promotion est généralement mal perçu par l’environnement. Il est donc difficile même pour une personne consciente de ses limites, de rester indéfiniment dans un poste qui répond à ses qualités personnelles et professionnelles. Les sollicitations incessantes de la hiérarchie conduiront au bout du compte à ce que la personne compétente accepte un autre poste qui révélera à terme ses insuffisances.

Notre carrière est-elle alors vouée à l'échec ? Sommes-nous destinés à être encadrés par un supérieur incompétent ? 

Si l’ouvrage de Laurence J. Peter a été traité sur un ton satirique, rappelons que ce mécanisme de promotion interne a fait l’objet d’observations sociologiques et de travaux universitaires. Ce principe a donc des fondements sérieux qu’il s’agit de prendre en compte, même si l’auteur s’inscrit dans des situations d’organisation hiérarchique et pyramidale. On peut raisonnablement penser que ce principe s’applique de manière assez différente, lorsque l’organisation repose sur une ligne hiérarchique plus souple fondée sur un collectif (modèle collaboratif et diversité des équipes). Néanmoins, on peut entendre l’idée selon laquelle des résultats performants amènent à élargir son périmètre d’influence (valorisation sociale, notoriété, réputation) et conduisent l’individu, face aux sollicitations de l’organisation, à accéder à des postes à plus forte responsabilité. La pression peut par conséquent prendre une forme un peu différente (influence sociale, pression collective) mais aura comme effet mécanique de s’élever à un niveau d’exigence supérieur, source potentiellement de désillusion, si la fonction envisagée ne correspond pas réellement à ses capacités personnelles et professionnelles. Il y a alors, en effet, un risque de voir une personne initialement compétente échouer professionnellement ou d’assister au syndrome de l’imposteur, qui par crainte d’être démasqué, va élaborer différents stratagèmes pour que cesse ce mécanisme de promotion dysfonctionnelle, en faisant acte de diversions (perfectionnisme social, auto-handicap, esquive, focalisation sur des tâches non risquées). Le promu incompétent a dès lors une alternative, soit s’auto-limiter dans des activités marginales en sortant progressivement du cœur de l’organisation (cas du chef absent ou décalé), soit espérer une nouvelle promotion socialement valorisante avec un titre et un statut importants, mais dans les faits moins engageante (cas du chef VIP ou relationnel). Un tel mécanisme peut sans doute expliquer que des dirigeants et managers talentueux changent à un moment donné d’organisation, étant plus ou moins conscients des dérives associées à tout système organisé. En retrouvant une forme de liberté (régénération), ils permettent d’éviter les effets pervers d’un sentier de dépendance organisationnelle, où un ensemble de décisions et actions passées vont influer sur la carrière du salarié, en lui faisant parfois perdre son identité et sa véritable valeur.

Peut-on, selon vous, contrer le principe de Peter ? Comment ? 

La meilleure façon me semble t-il d’échapper à cette « malédiction » est d’accepter que toute organisation, quelle que soit ses caractéristiques, entraine des logiques de fonctionnement qui se font à un moment donné, en dehors des qualités intrinsèques et des intérêts personnels de l’individu. La promotion dans une organisation ne vise pas, fondamentalement, à valoriser les qualités individuelles de la personne, mais à la placer dans un cadre préalablement défini qui correspond à l’intérêt de l’organisation (qui cherchera dès lors le meilleur profil disponible). Ainsi, si l’individu reçoit en retour un certain nombre d’avantages symboliques (titre, fonctions) et financiers, la promotion ne s’est pas faite à partir de son référentiel (mode de pensée, motivations, personnalité) mais en fonction de l’intérêt immédiat de l’organisation, pour répondre à ses objectifs économiques et commerciaux (expansion géographique, nouveau projet, restructuration des activités…). Il me semble important que l’individu ait une position active et n’hésite pas à développer ses capacités professionnelles en dehors du référentiel de l’organisation. L’individu doit ainsi chercher à capter en permanence les nouvelles attentes, les nouvelles demandes de l’environnement, en les mettant en relation avec ses aspirations et sa personnalité. Ainsi, pour contourner le principe de Peter, il peut être important que l’individu encore en situation de compétence avérée, définisse sa propre trajectoire professionnelle (mobilité professionnelle, mobilité transversale, mobilité géographique), en faisant valoir en interne les compétences sur lesquelles il souhaite être promu (et celles auxquelles il ne prétend pas), quitte à changer d’entreprise si ses axes de valorisation sont à rechercher dans une autre organisation.

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