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Le plus beau pont du monde vient d’être reconstruit  et il se trouve à...
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THE DAILY BEAST

Ce pont en pierre qui défie les lois de la gravité unit les deux parties d'une ville dont l'histoire commence avec sa construction par un disciple du "Michel-Ange de l'architecture ottomane".

William O’Connor

William O’Connor

William O'Connor est journaliste éditorialiste pour The Daily Beast.

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Copiryght Daily Beast - William O’Connor

Trempé de sueur, accroché à un rocher alors que les tourbillons gelés bleu-vert de la Neretva passent dangereusement près, je fixe le pont pour assister au moment que j'ai attendu toute la journée : quelqu'un va sauter. La foule crie et, en l'espace de trois secondes, l'un des plongeurs disparaît dans la rivière, 24 mètres plus bas, avant de réapparaître sain et sauf.

Le pont n'est autre que le Stari Most, cet emblématique pont en pierre qui défie les lois de la gravité et dont l'existence témoigne de l'ingéniosité et du talent de la conception et de l'ingénierie ottomane. Sa destruction, en 1993, est devenue un symbole de l'horreur incompréhensible des guerres des Balkans. Achevée en 2004, sa reconstruction marque le début d'une nouvelle ère pour la région.

Vu depuis la rivière, ce pont offre un spectacle magnifique. Il s'étend sur près de 30 mètres d'un bout à l'autre, encadré de chaque côté par deux tours fortifiées, la plus marquante, à l'ouest, surplombant la rive en contrebas. De là, des personnes (surtout des hommes) de tout âge sautent de la berge, se laissant porter par l'eau glacée et agitée jusqu'à la plage, une dizaine de mètres en aval.

Par une chaude journée à 37 °C, la baignade vaut le coup. Mais la Neretva est source de dangers, et pas seulement pour ceux qui sautent du pont. La rivière possède plusieurs grottes sous-marines, et selon l'une des femmes qui gèrent le Muslibegović Hotel, un fabuleux hôtel-musée à quelques mètres de là, il y a des noyades presque tous les ans. L'année précédente, raconte-t-elle, un jeune garçon est tombé à l'eau alors qu'il jouait aux cartes sur la rive et son corps n'a jamais été retrouvé. Entre les tours, se dresse le pont à une seule arche de Stari Most. L'arche est surmontée d'un tablier glissant de 4 mètres de large, en angle obtus, ce qui donne au pont sa forme caractéristique.

La nuit est de loin le meilleur moment pour l'admirer, car des lumières l'éclairent par en-dessous, projetant un reflet parfait sur les eaux désormais obscures qu'il surplombe. Le Stari Most relie les deux rives de l'important carrefour que constitue Mostar, une ville dont l'histoire commence avec celle du pont. Le nom même de Mostar vient du mot slave mostari qui signifie gardiens de pont. Au Moyen-Âge, c'est un pont en bois soutenu par des chaînes qui permettait de traverser la rivière, explique András Riedlmayer, le directeur du Centre de documentation de l'architecture islamique de l'université d'Harvard. Mais il se balançait tellement, dit-on, que les passants avaient le mal de mer, ou qu'ils étaient souvent trop effrayés pour l'emprunter. C'était un passage obligé entre la côte adriatique et les routes commerciales intérieures des Balkans.

Mais vers la fin du XVe siècle, selon un recensement ottoman, la ville ne comptait que 30 foyers. En 1557, Soliman le Magnifique ordonna a Mimar Hajrudin de construire un pont en pierre à une seule arche. Ce dernier avait déjà à son actif d'ingénieur de nouvelles forteresses de Soliman. C'était un élève de Sinan, "le Michel-Ange de l'architecture ottomane" selon András Riedlmayer, interrogé par le Daily Beast. Sinan est l'auteur de l'incomparable complexe de la mosquée Süleymaniye à Istanbul ainsi que de la mosquée de Karađoz Bey à quelques rues du Stari Most, à Mostar. La construction du pont a duré neuf ans.

Étant donné la difficulté technique que représentait la construction d'un pont porté par une seule arche au-dessus d'une rivière déchaînée, selon la légende, le jour de la pose de la clef de voûte, Mimar Hajrudin se préparait à être condamné à mort et avait choisi son linceul. Au lieu de cela, le pont survécut à des tremblements de terre, à deux guerres mondiales, à l'empire austro-hongrois et à la Yougoslavie de Tito. Il fut le témoin de la croissance d'un bourg d'à peine 30 foyers en une ville polyglotte de Croates, de Serbes et de Bosniaques, constituée de trois anneaux concentriques, chacun ayant son style architectural. Au centre se trouve la ville ottomane au charme ancien (désormais classée au patrimoine mondial de l'UNESCO) avec son dédale de maisons en pierre aux toits de lauze. Autour, on retrouve l'architecture de la période autrichienne, avec ses boulevards arborés ordonnés aux immeubles baroques (encore nombreux à porter les stigmates des bombes), aux côtés des blocs de bâtiments en béton de l'époque communiste. Comme András Riedlmayer l'a expliqué au Daily Beast, dans les années cinquante, lors de la construction de la nouvelle ville communiste dans la partie occidentale de Mostar, la vieille ville délaissée s'est peu à peu délabrée.

Des travaux héroïques menés par des citoyens sous la houlette du Docteur Amir Pašić ont réussi à contrer la force destructrice de la bureaucratie communiste et à mettre en œuvre un sauvetage primé de la vieille ville et à la restaurer. Après les travaux d'Amir Pašić, la vieille ville, et le pont en particulier, sont devenus une source d'orgueil pour les citoyens. Mais lorsque la guerre civile qui a déchiré la Bosnie a touché Mostar, le pont est devenu une cible importante. "C'était un monument civique, raconte András Riedlmayer. Mais en temps de guerre, pour les nouveaux nationalistes, c'était un symbole de l'autorité ottomane, alors ils l'ont ciblé et détruit, pour démoraliser les résidents musulmans."

Le 9 novembre 1993, après des bombardements intenses de la part des forces croates, le pont s'est effondré. Mais les icônes telles que le Stari Most ne restent pas longtemps à terre et, là encore, le docteur Amir Pašić a réussi un nouvel exploit. En 2004, la reconstruction du pont était terminée. Et bien sûr, ceux qui recherchent quelques secondes d'émotion ont immédiatement repris l'un des principaux passe-temps de la ville : risquer sa vie et son intégrité physique pour plonger du haut de ce magnifique exemple historique d'architecture.

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