Le gâchis de l'aide à la personne, ce gisement de croissance dont les pouvoirs publics se fichent<!-- --> | Atlantico.fr
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Les associations d'aide à la personne sont les premières à se mobiliser pour assister les personnes âgées en difficulté.
Les associations d'aide à la personne sont les premières à se mobiliser pour assister les personnes âgées en difficulté.
©Reuters

Sacrifice

Plusieurs acteurs se partagent le secteur des services à la personne, parmi lesquels les associations. Également touchées par les dernières mesures gouvernementales, leur situation est notamment préoccupante dans les Bouches-du-Rhône, révélatrice par ailleurs de ce qui se passe à l'échelle nationale.

Hagay Sobol

Hagay Sobol

Hagay Sobol, Professeur de Médecine est également spécialiste du Moyen-Orient et des questions de terrorisme. A ce titre, il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les individus et les filières djihadistes. Ancien élu PS et secrétaire fédéral chargé des coopérations en Méditerranée, il est vice-président du Think tank Le Mouvement. Président d’honneur du Centre Culturel Edmond Fleg de Marseille, il milite pour le dialogue interculturel depuis de nombreuses années à travers le collectif « Tous Enfants d'Abraham ».

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Le secteur non marchand du service d’aide à la personne, représentant 80% de l’activité nationale, est aujourd’hui en très grande difficulté, et plus particulièrement le réseau associatif. C’est le résultat de la crise économique amplifiée par les mesures envisagées sous la présidence de Nicolas Sarkozy qui avaient pour but de dynamiser les entreprises privées pour les rendre plus compétitives, mais qui dans le même temps lèsent le secteur non lucratif. Les associations œuvrant dans le domaine de l’économie sociale et solidaire attendent aujourd’hui d’un gouvernement socialiste une meilleure compréhension de leur besoins, car selon leurs responsables si aucune solution n’était trouvée, cela menacerait ainsi tout un pan de l’économie et des dizaines de milliers d’emplois.

Le monde associatif en première ligne

Le poids conjugué de la crise économique et de mesures gouvernementales a entrainé une forte décroissance de l’activité, de près de 8% dans le secteur des services à la personne. Les Bouches-du-Rhône sont tout à fait emblématiques de la situation qui prévaut au niveau national. Ainsi, La Fédération CQFD (Coordination Qualité Fiabilité Domicile), assurant à elle seule près de 60% des besoins de l’aide à la personne du département, et employant plus 5000 salariés, est en première ligne pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur les conséquences dramatiques, en termes d’emplois et de services qu’engendreraient les dispositifs législatifs actuels si rien n’était fait pour améliorer la situation. Après la Député UMP, Valérie Boyer, c’était au tour de Patrick Mennucci, Député Maire du 1er et 7e arrondissements de s’entretenir avec les dirigeants de ces structures pour tenter de dégager des solutions.

L’aide à la personne : quelle réalité ?

Tout d’abord, les responsables associatifs se sont adressés à Patrick Mennucci en tant que député et lui ont brossé un tableau synthétique du domaine médico-social que représente l’aide à la personne. Il s’agit d’un secteur très hétérogène allant du soin, de l’aide à domicile, le portage de repas, la garde d’enfants, le ménage, jusqu’au jardinage et qui se déploie selon des modalités d’intervention variées : emplois directs, prestataires ou mandataires. Le marché lui-même se partage non seulement entre les associations et les établissements publics qui en occupent la plus grande part, mais également entre des entreprises privées. Cette grande diversité en période de crise économique, du fait des règlementations en vigueur, au lieu d’être une force, est au contraire à l’origine de fortes tensions et cela à tous les niveaux et vont se répercuter immanquablement sur les usagers eux-mêmes.

Quels dispositifs législatifs pour quels impacts ?

Les échanges se sont très rapidement focalisés sur le CICE ou « Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi » mis en place le 1er janvier 2013 et qui s’adresse à toutes les entreprises redevables de l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu quel que soit le domaine. Parti d’une très bonne intention d’alléger le coût du travail des entreprises, il ne s’applique qu’au seul secteur marchand et de fait induit un manque d’équité entre les différents intervenants du domaine.

Aussi, en réponse au CICE, a été accordée aux organismes gestionnaires à but non lucratif une mesure compensatoire, il s’agit d’une réduction de taxe sur les salaires. Cependant, d’après les représentants de CQFD, cette mesure est très largement insuffisante, comparée au secteur commercial, car elle ne produit son effet que sur la masse salariale des 20 premiers employés quel que soit l’effectif de l’association. Hervé Sitbon, le président de la fédération CQFD illustre cette situation par un exemple précis : « pour deux structures réalisant 100 000 heures par an, par l’intermédiaire de ces dispositifs, l’entreprise bénéficiera de 132 000 €, alors que l’association ne dégagera que 14 000 €, soit 118 000 € en moins. Ce différentiel entraine ainsi un écart de compétitivité de 1,16 € par heure de travail en faveur de l’entreprise ». Hervé Sitbon qui occupe également des fonctions nationales auprès de la Fédération UNA (1er réseau National de l'Aide, des Soins et des Services aux domiciles) précise en outre que « non seulement cette mesure compensatoire ne permet pas de réduire les écarts avec le secteur marchand, mais elle freine considérablement la mutualisation des moyens ou le regroupement des associations, voire va favoriser le fractionnement des effectifs en plusieurs associations pour bénéficier autant de fois de l’abattement. Ce qui va à l’encontre des directives préconisées par le gouvernement ».

Le rôle des élus : plus de dialogue et des solutions innovantes ?

Les professionnels du secteur ont demandé au député qu’il se fasse le porteur de leurs revendications, c’est-à-dire que l’abattement de la taxe sur les salaires plafonné à 20 000 € soit calculé en fonction d’un pourcentage de la masse salariale sans limitation, comme c’est le cas pour le CICE. Patrick Mennucci, bien que sensible à ces inégalités a cependant fait remarquer que Benoît Hamon, ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire, et le député Jérôme Guedj en charge du dossier étaient parfaitement informés de ces déséquilibres et qu’ils y travaillaient, mais que l’on se confrontait à la limite du système. Il a poursuivi en insistant sur le fait qu’Il fallait « être prudent car on risquait vite d’être amené à des dépenses incompatibles avec la situation économique actuelle, si l’on considère que le CICE représente 20 milliards € par an et la taxe sur le salaire 12 milliards €. Il est donc impératif de trouver des solutions innovantes et ne pas rester exclusivement sur les mêmes schémas ». Le député de la 4e circonscription a promis par contre d’envoyer une question écrite à Benoît Hamon, et au ministre délégué au Budget, Bernard Cazeneuve, ainsi que d’organiser le plus rapidement une réunion à Marseille avec Jérôme Guedj, la mission locale et le Pôle emploi afin de travailler concrètement sur les solutions qu’il est possible de mettre en œuvre, en particulier, en perspective de la loi de dépendance qui n’a pas encore été votée.

« Alors si l’action du député est limitée, que peut faire le maire, vous qui vous portez candidat à la Mairie de Marseille ? » a lancé un des intervenants. Ce à quoi le candidat PS a répondu : « dans mon programme, "un nouveau cap pour Marseille" il y a plusieurs éléments en lien avec l’économie sociale et solidaire tels que la proposition 87 pour la création de centres municipaux aux solidarités dans chaque secteur, afin de permettre l’accueil, l’information et l’orientation des personnes en demande de soutien face à une situation de dépendance, ainsi que l’offre d’un soutien logistique ». Puis Patrick Mennucci a fait une proposition en tant que Maire du 1er secteur. « Je ne veux pas que vous repartiez en pensant que ce sont encore des promesses électorales. Nous avons parlé tout à l’heure de solutions innovantes, j’ai sous ma responsabilité directe une école maternelle qui est inoccupée dans le 7e arrondissement. Nous pouvons ensemble penser un projet de crèche dont les habitants ont grand besoin. Ce peut-être le point de départ d’une action à plus large échelle ».

Sacrifier les associations sur l’autel de la compétitivité ?

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, suite à la loi Borloo, il était de bon ton de prôner la substitution des activités développées en milieu associatif par les entreprises. Ce serait croire en la suprématie du premier sur le second, et plus particulièrement du secteur lucratif dans le domaine médico-social sur le non marchand. Cela reviendrait à dire qu’un modèle est plus efficient que l’autre et que les « cibles commerciales » seraient identiques. En vérité c’est un faux débat car les deux secteurs ne sont pas interchangeables et ne couvrent pas les mêmes besoins.

Ainsi, prenons l’exemple de personnes dépendantes en milieu rural. Les associations n’hésitent pas à mobiliser du personnel à plusieurs dizaines de kilomètres pour prendre en charge des personnes isolées. Le besoin est réel mais le public dispersé géographiquement nécessitant une logistique adaptée et individuelle. Il en est de même de toutes les populations à besoin spécifique qui ne représentent pas un marché général mais des activités de niche difficilement rentable. On est plus dans une logique du cas par cas, un rôle qui est bien dans la vocation du milieu associatif et de l’économie sociale et solidaire. A l’inverse, une entreprise dont le fonctionnement est basé sur le profit, valorisera en tout premier lieu l’économie d’échelle avec des marges bénéficiaires réduites et n’aura de compte à rendre qu’à ses actionnaires. Ce n’est donc pas que l’un des modèles est supérieur à l’autre, mais ils s’adressent à des publics différents avec des logiques organisationnelles elles-mêmes différentes. Ne pas le considérer induirait une perte d’équité entre les usagers en fonction de leur situation, ce qui va à l’encontre des principes républicains.

Dans ce débat, un point essentiel semble ne pas avoir suffisamment retenu l’attention des décideurs. Les associations sont un outil efficace d’intégration qui assure le lien social, en particulier pour les populations défavorisées. Ainsi, là où l’État ne peut agir de manière générique par des programmes à large échelle, les associations peuvent prendre le relais en fournissant une multitude de solutions innovantes, adaptées à des besoins spécifiques qui peuvent si nécessaire être généralisés. A ce stade, il n’est pas inutile de rappeler qu’aujourd’hui en France 17% des jeunes, et plus de 25% à Marseille, sortent du système scolaire sans diplôme. Les associations représentent un débouché professionnel pour ces personnes non qualifiées qui par la suite pourront bénéficier de formations diplômantes, ce qui leur ouvrira un avenir professionnel dont ils n’auraient pu bénéficier autrement. On le voit bien, la substitution pure et simple du réseau associatif par des entreprise n’est pas possible, hormis dans un contexte idéologique où les arguments n’ont plus cours.

Combattre les idées reçues

Dans les arbitrages nécessaires que devra opérer le gouvernement, il ne s’agit pas, au nom d’une hiérarchie supposée des performances ou des valeurs, de choisir entre associations et entreprises, mais de trouver des ajustements qui permettent aux deux systèmes de perdurer. Malheureusement, en politique, on est souvent tenté de prioriser l’immédiat. Il importe pourtant, de bien mesurer les impacts à court et à long terme des choix envisagés. Il serait regrettable de négliger dans le dossier du service d’aide à la personne, le monde associatif. Si l’on ne trouve pas de mesure compensatoire plus équitable par rapport au CICE accordé aux entreprises, il risque d’en payer le prix fort. Et pour attirer l’attention des pouvoirs publics, il n’est pas impossible que l’on assiste à une rentrée mouvementée.

En définitive, les associations, pivots de l’économie sociale et solidaire, formulent des demandes modestes, au regard du type de service rendu qui a peu de chance d’être pris en charge par le secteur marchand, et à leur indispensable rôle de ferment social. Aussi l’on serait tenté de citer François Proust : « Sans solidarité performances ni durables ni honorables ». 

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