Le dernier des Compagnons : l’hommage et les honneurs de la Nation envers Hubert Germain<!-- --> | Atlantico.fr
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Hubert Germain lors d'une cérémonie en l'honneur des Compagnons de la Libération.
Hubert Germain lors d'une cérémonie en l'honneur des Compagnons de la Libération.
©Michel Euler / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Guillemette de Sairigné publie « Le dernier des Compagnons: Hubert Germain » aux éditions Tallandier. Le 11 novembre 2021 ont eu lieu les funérailles d'Hubert Germain, l'ultime survivant des 1.038 membres de l'Ordre de la Libération, institué par le général de Gaulle pour distinguer les meilleurs de ses frères d'Armes. À 101 ans, il était le dernier des Compagnons. Hubert Germain n'a que 19 ans quand il s'engage, en juin 1940, dans le combat pour la libération de la France. Extrait 2/2.

Guillemette de Sairigné

Guillemette de Sairigné

Guillemette de Sairigné est journaliste et biographe, auteur de nombreux succès, dont Tous les dragons de notre vie (1993), Mon illustre inconnu (1998), La Circassienne (2011) et Pechkoff, le manchot magnifique (2019) pour lequel elle a obtenu le Prix de la biographie de l’Académie française.

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Hubert Germain l’affirme, il n’a jamais été trop sensible aux décorations. Se retrouver à vingt et un ans Compagnon de la Libération mais aussi titulaire d’une Croix de guerre et –  bientôt, à titre rétroactif  – chevalier de la Légion d’honneur pour sa belle conduite à Bir  Hakeim, est un efficace vaccin contre l’ambition. Ses chefs, s’il en était besoin, se seraient chargés de lui dire qu’il n’y avait pas de quoi en faire un plat. Que, de toute façon, une décoration n’était pas une consécration mais une invitation à aller de l’avant.

Au fil d’une carrière bien remplie, il a malgré tout forcément pris du galon. En novembre 2014, le colonel Fred Moore, chancelier de l’Ordre, lui remettait les insignes de grand officier de la Légion d’honneur tandis que Louis Cortot, alors à quatre-vingt-neuf ans le benjamin des Compagnons survivants, recevait la cravate de commandeur. Cortot, Hubert l’aimait bien. Lui, c’est non pas à dix-neuf ans mais à quinze qu’il avait rejoint la Résistance. Fils d’un artisan ferblantier de la Côte d’Or, antifasciste par éducation, il avait intégré l’Organisation spéciale du Parti communiste pour distribuer des tracts, récupérer des armes, couper des lignes téléphoniques. Devenu ajusteur, il confectionnait dans son usine les bombes qu’il utilisait lors de ses missions. En 1944, ayant gagné le maquis, il avait été grièvement blessé au visage dans les combats pour la libération de Paris. « Nous étions tous les deux sur l’estrade, moi avec mes mauvaises jambes, lui avec son œil crevé, et je me disais que toute la grandeur et la richesse de l’Ordre étaient là, dans cet improbable tandem, le Français libre et le Résistant de l’intérieur, le fils d’officier général et l’ouvrier, celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas. » Ce soir-là, le petit nombre des proches qui eurent le privilège d’entendre la réponse d’Hubert Germain à Fred Moore garderont toujours en mémoire le souffle puissant qui habitait l’hommage rendu à ceux qui l’avaient construit, qui avaient fait de lui l’homme que la République honorait en ce jour.

Les honneurs ne s’arrêteront pas là. Lors des commémorations des quatre-vingts ans de l’Appel du 18 juin, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, annonce la nomination comme membres honoraires de l’Ordre de l’Empire britannique des quatre Compagnons de la Libération encore en vie – ce sont alors, aux côtés d’Hubert, son ami Pierre Simonet, Edgard Tupët-Thomé, pensionnaire lui aussi des Invalides, et Daniel Cordier, l’ex-secrétaire de Jean Moulin. Le 2  juillet 2020, en l’absence des autres héros du jour, trop éloignés, trop malades, Hubert sera le seul à se voir remettre la décoration par l’ambassadeur du Royaume-Uni, Ed Llewellyn, dans un salon feutré des Invalides.

Mais c’est dans le cadre impressionnant de la Cour d’honneur que, le 11 juin 2017, Emmanuel Macron, élu un mois plus tôt président de la République, confère au lieutenant Germain la dignité de grand-croix, l’ultime degré dans l’ordre de la Légion d’honneur. Les rafales de vent et la pluie battante n’ont découragé personne : les proches d’Hubert sont là, nombre de familles de Compagnons, une pléiade de personnalités et de képis étoilés, cinq anciens chefs de corps de la 13… Avant la cérémonie, Hubert a demandé à se recueillir seul sous les hautes voûtes de la cathédrale Saint-Louis, le temple des gloires militaires, pour convoquer une fois encore autour de lui le long cortège de ses camarades disparus, mais aussi de tous ceux, la grand-mère Léocadie en tête, qui lui ont inculqué l’amour de la France. Puis l’heure venue, à l’appel des récipiendaires, il a gagné le centre de la cour. Ces derniers temps, il s’est résigné à se déplacer en fauteuil roulant auquel la classe naturelle et le profil de médaille de son occupant confèrent l’allure d’un trône impérial. Mais c’est debout, soutenu par un légionnaire, qu’il recevra des mains du président l’écharpe de grand-croix à laquelle s’accroche une lourde plaque de vermeil. Après quoi, les deux hommes partiront célébrer l’événement autour d’une coupe de – très – bon champagne. Et les rares témoins de la scène verront, médusés, le vieil homme, comme requinqué, passer près d’une heure à discuter avec le jeune Président.

Une croix pas comme les autres

S’il arborait sa Légion d’honneur, Hubert a longtemps laissé dans son écrin sa croix de la Libération. « À quoi bon, puisque la plupart des gens ignoraient ce que c’était. Autant les résistants, les déportés, ont pris pied dans la mémoire nationale, autant les Français connaissent mal les Compagnons de la Libération, c’est récemment que des livres, des articles, quelques émissions, ont un peu levé le voile. Le fait que l’ordre ait été clos après la guerre a contribué à cette méconnaissance. Impossible, et tant mieux, de rouvrir les placards. »

La véritable dimension de l’Ordre de la Libération, Hubert la découvrira au fil des années. La lecture de Montaigne, dont il absorbe régulièrement, émerveillé par son style, quelques pages des Essais, va l’y aider. Évoquant Jules César, Montaigne raconte que l’empereur avait formé un corps de mille Romains tous dévoués à lui-même pour assurer sa défense. Ils étaient prêts à réaliser ce que César leur demandait sur le plan militaire comme sur le plan politique. « César les appelait du nom de “Compagnons”, écrit Montaigne en prenant soin de mettre le terme entre guillemets pour lui donner toute sa force. Je me suis dit que, lesté de sa vaste culture, le Général avait bien pu s’inspirer  de cette histoire. »

« La Libération, insiste Hubert, ce n’était pas le champagne, le défilé sur les Champs-Élysées, le bal populaire, les petites filles aux bras chantant La  Marseillaise… Non, ce n’était pas cela. La Libération de la France, c’était bien sûr la victoire militaire mais c’était aussi le renouveau du monde politique. Cela m’a aidé à comprendre qu’en nous élisant au rang de ses Compagnons, de  Gaulle ne nous attendait pas seulement dans les combats mais dans la reconstruction de la France. Il n’aurait qu’à plonger la main dans ce vivier pour trouver ceux qui l’aideraient à aller de l’avant. » C’est pourquoi la Croix de la Libération n’est pas à ses yeux une décoration comme une autre « Ce n’est même pas une décoration. Plutôt une armure intérieure. Du jour où j’ai été fait Compagnon, j’ai ressenti ce titre comme une haute exigence. Non que je me sente astreint à un héroïsme au quotidien, on ne livre pas bataille tous les jours. Mais l’on se doit de marcher droit, de ne jamais accepter d’être atteint dans sa dignité, de tenir debout même lorsque les vents sont contraires. Cette exigence aura coloré toute ma vie. C’est là que j’ai puisé, surtout dans les moments de déprime, le sentiment de ma valeur en tant qu’être humain. »

Il arrive bien sûr à Hubert de penser à ce qu’il aurait fait si, à Bordeaux en juin 1940, il n’avait pas rendu copie blanche. Peut-être aurait-il été reçu à Navale. Peut-être en aurait-il démissionné en cours de route. Une chose est sûre : il serait de toute façon entré dans la résistance à l’occupant allemand. Mais il n’aurait pas eu cette expérience de la guerre qui a construit sa personnalité. « Étais-je un homme ou pas ? Je devais le savoir. Allais-je répondre aux attentes de mon père ? Ces combats auxquels j’ai participé, je les ai menés aussi contre moi. Chacun est capable, si les circonstances s’y prêtent, de se hisser au-dessus de lui-même. Une vie plus tard, regardant derrière moi, je peux dire qu’au-delà des épreuves, des échecs, ma vie a été bien remplie, qu’en gros j’ai honoré ma feuille de route. »

Lui revient un souvenir. C’était en novembre 1955 le premier voyage commémoratif organisé à Bir Hakeim par les anciens de la France libre. Les uns sont venus par bateau sur La Marseillaise, d’autres comme Hubert, ont atterri à El-Adem, le terrain d’aviation de Tobrouk. Parmi ceux qui ont participé aux combats, ils seront plusieurs à coucher sur place sous des tentes. L’aube n’est pas encore levée qu’Hubert retrouve le père Starcky, l’un des aumôniers de la 13, qui travaille à l’époque sur les manuscrits de la mer Morte découverts à Qumran. Il est assis sur un rocher à quelque distance du camp. « J’ai respecté son silence, me suis assis auprès de lui. Il n’y avait pas un bruit, pas un souffle d’air. Et soudain, le soleil a commencé à poindre. On avait l’impression que les collines, enfin les quelques mamelons qui parsemaient le paysage, prenaient vie l’un après l’autre. Le sable, les cailloux, du gris sont passés au rose. Le père a relevé la tête pour regarder ce spectacle magnifique, son visage émacié orné d’une petite barbe blanche en pointe, suintant de spiritualité, a laissé filtrer un sourire. Il a rompu le silence  : “Je crois, a-t-il dit, que nous avons brûlé notre meilleur charbon.” Le sens de cette phrase était clair. La grande aventure était passée, jamais rien n’égalerait ce que nous avions vécu ici. Il avait raison : jamais rien n’a égalé pour moi ces moments magiques passés à guerroyer en plein désert dans l’espoir fou de libérer la patrie asservie. La grande flamme qui nous animait ne pouvait bien sûr brûler éternellement. L’essentiel aujourd’hui était que ces braises ne s’éteignent pas, lorsque disparaîtrait le dernier Compagnon. »

Extrait du livre de Guillemette de Sairigné, « Le dernier des Compagnons : Hubert Germain », publié aux éditions Tallandier

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