Le contrôle des loyers à Berlin se révèle un désastre. Mais ça n’empêche ni Paris, ni Lille de se désoler de ne pas en faire assez <!-- --> | Atlantico.fr
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Vue d'un projet immobilier à Berlin. La ville a expérimenté l'encadrement des loyers.
Vue d'un projet immobilier à Berlin. La ville a expérimenté l'encadrement des loyers.
©John MACDOUGALL / AFP

Logement

Une loi sur l’encadrement des loyers, entrée en vigueur en début d’année 2020, a permis de juguler les hausses à Berlin. Les résultats sont pourtant loin d'être concluants. Une hausse des loyers dans les autres grandes villes allemandes a notamment été constatée.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : Depuis environ un an, Berlin expérimente l’encadrement des loyers. Les résultats sont loin d’être concluants, comment l’expliquer ?

Pierre Bentata : Ça ne marche pas très bien, c’est sûr. Que ça soit à Berlin ou ailleurs le problème est toujours le même. A partir du moment où vous êtes dans une économie de marché, mettre des prix plafonds crée de la pénurie. Si vous essayez de contrôler des prix sur un marché tendu - et Berlin l’est bien moins que certaines villes de France et notamment Paris - l’offre et la demande vont s’équilibrer et il va y avoir davantage de files d’attente parce que beaucoup plus de personnes sont prêtes à s’installer au même endroit. Et de nombreuses personnes ne trouvent pas de logement. C’est ce qu’on apprend en première année de micro-économie. Il y a aussi une désincitation à fournir des bien immobiliers car puisque les prix sont bloqués, la location est moins rentable.

L’encadrement des loyers à Berlin s’est traduit par une hausse des loyers dans les autres grandes villes allemandes, est-ce une conséquence systématique ?

Ce n’est pas nécessairement le cas. Ici cela peut être dû à deux phénomènes. Si le marché est investi par de gros promoteurs, ils vont essayer de se rattraper ailleurs en augmentant les prix là où ils le peuvent pour lisser leurs revenus. L’autre explication peut être que si la pénurie est trop importante et que la mobilité est facile, des gens vont changer de région et faire augmenter la demande ailleurs. Dans les deux cas, cela traduit une distorsion dans les stratégies des promoteurs ce qui crée de la pénurie et des excès. Les signaux du marché immobilier sont brouillés. Le deuxième effet est un fort mécontentement. En faisant croire que vous avez des biens qui sont beaucoup plus accessibles que ce qu’ils devraient être, vous créez une distorsion qui semble indiquer une défaillance complète du marché. Avoir un encadrement avec des fourchettes maximales et minimales crée des effets moins violent qu’un simple plafonnement. Le problème quand on joue sur les prix c’est cet effet de plafonnement qui déstabilise le marché et crée de la désincitation à produire davantage.

Pourquoi la volonté de règlement persiste en France malgré les nombreux contre-exemples ?

 C’est un vieux serpent de mer. Et il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, d’un point de vue culturel et idéologique on considère que le propriétaire qui loue ou qui vend récupère une rente qui est indue. Et les Français détestent la rente. Cela est d’ailleurs paradoxal car la pierre est très valorisée. On a un vrai refus de la vertu de faire des plus-values en investissant dans l’immobilier. Deuxièmement, on a une complexité administrative très importante. Ce qui fait que les règles qui régissent l’offre et la demande dans l’immobilier sont éparpillées dans plein de réglementations et codes différents : plan de réglementation des sols, PLU, quotas HLM… Donc il y a un vrai fardeau administratif. De plus, l’Etat, endetté, se dit qu’il faut taxer le patrimoine. Et tout ça concourt à maintenir le statu quo plutôt que de tenter de résoudre le problème. Enfin, plus cyniquement, cela donne aussi une légitimité aux décideurs politiques, il est plus facile d’intervenir régulièrement sur un problème que de laisser faire le marché. C’est le cas typique où l’on crée un problème pour proposer des solutions. 

Une étude du CLCV dit qu’à Paris, 40 % des annonces de location ne respecteraient pas l’encadrement des loyers. La mesure est-elle inappliquée ?

C’est possible. Le logement est un bien inférieur que vous êtes obligés de consommer. Or quand vous essayez de réglementer un marché et que cela suscite une pénurie, il se crée un marché noir ou gris. A Paris, la densité de population, la demande, le bassin d’emplois fait que les locataires finissent par accepter des offres même si le prix ou la qualité ne sont pas dans la norme. On crée les mêmes situations que dans certains marchés criminels, comme la drogue. La règlementation, mal pensée, avec une forme de quotas, crée une rareté et force les gens à payer plus cher des produits de moindre qualité.

Quelles alternatives pourraient-on concevoir à l’encadrement des loyers ?

D’un point de vue juridique il est très difficile de transformer des bureaux en logement. Pourtant, c’est le moment de faire ça, particulièrement maintenant. Avec le Covid et le télétravail qui se développe à marche forcé et des gens qui s’éloignent de plus en plus de leurs lieux de travail, on va avoir de plus en plus de logements de bureaux inoccupés. Mais c’est impossible à transformer. Il faudrait réussir à adapter de manière structurelle ce marché.  Si on réussit à faciliter cette transition on va se retrouver avec énormément de logements disponibles grâce à un appel d’air, il suffit de voir La Défense. Ensuite il faut revoir la fiscalité sur les ventes et sur la protection des locataires. Quand il y a la trêve hivernale plus l’encadrement des loyers, on réduit vraiment l’incitation des individus à louer. C’est vrai qu’il y a des logements vacants, mais la vraie question est de savoir comment est-ce que des gens qui pourraient se faire de l’argent en louant préfèrent les laisser vacants. La réponse c’est que l’incitation est très faible. Faire ça réduirait la pression sur l’offre et changerait la culture. L’immobilier est typiquement un secteur ou il faut dérèglementer. Mais ça demande un peu de courage politique.

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