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Le chemin de croix des musulmans convertis au christianisme
©RONALDO SCHEMIDT / AFP

Bonnes feuilles

Jean-François Chemain publie "Ils ont choisi le Christ : Ces convertis de l'Islam dont on ne parle pas" aux éditions Artège. L'évangélisation des musulmans, est-ce du prosélytisme, un tabou ou un commandement évangélique ? Les témoignages réunis dans ce livre ouvrent les yeux. Extrait 2/2.

Jean-François Chemain

Jean-François Chemain

Diplômé de l'IEP de Paris, agrégé d'Histoire, docteur en Droit et docteur en Histoire, JFC, après avoir été consultant dans des cabinets anglo-saxons, puis cadre dirigeant dans un grand groupe industriel, a choisi il y a près de 10 ans de devenir enseignant dans un collège de Zone d'Education Prioritaire. Il est l'auteur de plusieurs livres, tous publiés chez Via Romana : La Vocation chrétienne de la France (2010), Kiffe la France (2011), Une autre Histoire de la Laïcité (2013) et L'Argent des Autres (2015).

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« La Bible enseigne clairement que la persécution est inhérente à la décision de devenir un disciple de Jésus Christ ». Les violences contre des convertis ne sont le propre d’aucune époque, d’une civilisation, d’une région, d’une religion. « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera » (Mt 10, 38). 

Mais si la conversion au Christ montre à chacun un chemin difficile, c’est particulièrement vrai pour les musulmans. Mohamed Abd-el-Jalil, intellectuel marocain baptisé en 1928, et devenu prêtre en 1935, fait ainsi part de ses appréhensions à son ami Mehmet Mulla-Zadé, qui l’a précédé de quelques années : « Que de fois j’ai eu la tentation, parfois très forte, de me dérober au courant d’amour qui m’entraîne vers le Christ Jésus et son Église. […] Pense aux malheurs que tu vas causer ; pense à tes parents ; pense à tous ton avenir, à tout ce qui t’attend. » « Tout ce qui t’attend »… cela dépasse hélas le bien prévisible rejet communautaire.

Le rejet communautaire

Certains légistes musulmans classiques considèrent qu’un homme apostat doit être mis à mort. Ils se fondent sur un hadith recueilli par El-Boukhari (6411), auteur de l’un des deux principaux recueils, mais qui ne figure pas dans le second, celui de Muslim. Il est donc possible, sinon probable, qu’un débat existe à ce sujet au sein de l’islam, mais dans les faits les pays musulmans réservent toujours un sort peu enviable aux apostats. Cette sanction s’applique parfois en France, dans le cadre familial, on en a vu un tragique exemple dès l’introduction de ce livre. 

Car dans une société très communautariste, où le regard de tous pèse en permanence sur chacun, une conversion est une honte qui rejaillit sur la famille tout entière. Une tache qu’il faut prévenir à tout prix, ou nettoyer. Ce à quoi toute la communauté s’emploie activement.

La famille

Tous les convertis que nous avons rencontrés n’ont pas été violemment rejetés par leur entourage. D’abord parce que beaucoup règlent la question par la plus grande discrétion. Wahiba, rencontrée à l’occasion d’un forum, habite encore chez ses parents à 28 ans, et se dit certaine d’être défenestrée du huitième étage si son père vient à apprendre qu’elle n’est plus musulmane ; elle ne semble pas l’affirmer de façon hyperbolique, mais cela n’a pas effectivement eu lieu, et peut-être se fait-elle des idées. En tout cas, prudente, elle remet son voile quand elle arrive dans son quartier. Boubacar, l’ancien militaire, n’a rien révélé à sa famille, quittant sa banlieue pour le centre de Paris afin de mener sa nouvelle vie loin des questions indiscrètes. Précaution suggérée par la réflexion d’un « ami d’ami » : « ça ne tiendrait qu’à moi, tu serais déjà mort!» 

Certains ont avoué leur conversion à peu de frais. Les parents de Bilal, dont nous ferons bientôt la connaissance, une mère élevée chez les sœurs et un père par des communistes, se sont montrés compréhensifs. La mère de Fouzia l’a même serrée dans ses bras, lui demandant simplement pourquoi elle ne l’avait pas fait plus tôt, tandis que son frère, pourtant haut placé dans la hiérarchie locale de l’islam, en profitait pour lui avouer que lui-même avait perdu la foi. Mais il vaut mieux que son ex-mari ne le sache pas, il lui arracherait leur fils. Yassine s’est confié à sa mère, mais à aucun de ses frères et sœurs, et il a par précaution préféré mettre 500 kilomètres entre eux et lui. Quand ses collègues de travail le harcèlent pour qu’il fasse le Ramadan – et ne parle plus aux Français – il reste très évasif. Le frère aîné de Lounès – que nous présenterons plus loin – a accepté le fait, à condition qu’on n’en parle jamais. 

Le « dialogue » entre Noor, la possédée, et son imam de père, mérite d’être rappelé : « Papa, je sais que, en tant que responsable de l’éducation religieuse de tes enfants, tu serais en droit de m’égorger à cause du choix que je désire faire. Mais je tiens à te le dire dès maintenant, je te le pardonne par avance ». 

Mais le happy end familial et communautaire n’est pas général. Souvent cela se passe beaucoup plus mal. Et en France, pays de la liberté religieuse et des Droits de l’Homme, pas au Pakistan ou au Yémen. Le hadith appelant à la mise à mort des apostats est alors pris au pied de la lettre. 

On se souvient du cas dramatique de meurtre conjugal évoqué en introduction. J’ai personnellement eu connaissance d’un autre : la sœur d’une convertie, elle aussi convertie, a été étranglée par son mari, après avoir été condamnée par un tribunal familial. Rubrique « drame conjugal », dans la presse locale. J’ai également rencontré une jeune femme qui vit sous un nom d’emprunt, son père, un homme important dans la communauté, ayant prononcé une fatwa contre elle (il est heureusement emprisonné pour trafic de stupéfiants). Elle a témoigné de son expérience dans un livre bouleversant. Un autre converti pris en charge par l’association Eleutheros, Ridouane, a été maudit par sa mère, et chassé par son frère, chez qui il vivait : depuis, ce dernier, cadre supérieur dans une grande entreprise française, le recherche inlassablement, et il a dû se cacher dans des monastères pendant plusieurs mois. Abdallah a été rejeté par le cousin qui l’avait « accueilli » à son arrivée en France (en fait bien exploité dans son commerce), et il ne peut plus rentrer en Égypte, ayant été menacé de mort par sa famille : « J’ai reçu des menaces, de mon oncle notamment. Mes parents ont coupé avec moi. Pour eux, j’ai trahi mon peuple, ma religion. Je suis sale. » Voilà pour des personnes que j’ai moi-même interrogées, elles ou – pour les morts ! – des gens de leur entourage. 

La littérature donne bien d’autres témoignages poignants. Nadia Piccard a ainsi fait l’objet d’une tentative d’empoisonnement par sa mère, avec l’aide d’un marabout. Ceux de Nahed Mahmoud Metwalli et Joseph Fadelle sont les plus connus. 

Une fois sa conversion rendue publique par l’indiscrétion d’un moine, Nahed voit l’enfer se déchaîner contre elle. Elle affirme sans ambages que se convertir, c’est accepter de « souffrir pour le Christ », de « porter la Croix ». La liste des étapes de son calvaire est impressionnante : elle doit quitter son travail, son logement, ses amis chrétiens sont arrêtés et torturés, elle-même entre dans la clandestinité, étant recherchée par la Sécurité d’État ; ses frères et sœurs menacent de la faire enfermer dans un asile psychiatrique, ou disparaître sans laisser de traces ; ses propres enfants l’attirent dans un guet-apens pour la livrer à la Police. Avec l’aide de chrétiens, elle parvient à quitter l’Égypte (avec les pires difficultés, tant elle est recherchée comme une criminelle) sous une fausse identité, pour les Pays-Bas. Là-bas, ses avanies s’estompent sans disparaître, son fils tentant de la faire enlever. 

Quant à Joseph Fadelle, une fois sa conversion découverte, il est roué de coups par ses frères, ses oncles, ses cousins, tandis que sa mère hurle de le tuer et de jeter son cadavre à l’égout, condamné par une fatwa, enfermé seize mois, sur ordre de son influent père, dans une geôle politique de Saddam Hussein où on le torture quotidiennement, enfin fusillé et laissé pour mort par sa famille, venue le débusquer au fin fond de la Jordanie où il s’était réfugié… « Le poids de la société islamique est un frein puissant à la conversion », constate-t-il sous forme d’euphémisme. » « Dans cette société, je mesure aujourd’hui pour moi-même combien l’affection des siens compte peu quand l’honneur de la famille est en jeu. » Car il s’agit bien souvent d’honneur, de « qu’en dira-t-on ? », de regard des autres que les proches ne peuvent risquer d’affronter. 

À un degré moins extrême, un médecin tunisien a lui aussi porté sa croix : « Ma femme a demandé le divorce le jour où elle a découvert la Bible que je dissimulais sous le matelas. La nouvelle de ma conversion s’est répandue comme une traînée de poudre. La plus jeune de mes filles en a beaucoup souffert psychologiquement car à l’école elle était régulièrement la cible de railleries. Dans les jours qui ont suivi, j’ai perdu toute ma famille, dont douloureusement l’affection de ma mère. […] Ma famille et mon pays m’ayant lâché, j’ai alors entrepris l’exil vers la France. »

Extrait du livre de Jean-François Chemain, "Ils ont choisi le Christ : Ces convertis de l'islam dont on ne parle pas", publié aux éditions Artège. 

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