La synchronisation mentale entre parents et enfants est très bénéfique… jusqu’à un certain point et voilà lequel<!-- --> | Atlantico.fr
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Une nouvelle étude publiée dans Developmental Science suggère qu'une trop grande synchronisation parent/enfant peut parfois être le signe de difficultés relationnelles
Une nouvelle étude publiée dans Developmental Science suggère qu'une trop grande synchronisation parent/enfant peut parfois être le signe de difficultés relationnelles
©Karolina Grabowska / Pexels

Liens d'attachement

La synchronisation mentale entre parent et enfant peut être utile pour l'attachement des enfants et a tendance à augmenter lorsqu'un parent et un enfant jouent, parlent ou résolvent des problèmes ensemble. Pourtant, une nouvelle étude publiée dans Developmental Science suggère qu'une plus grande synchronisation peut parfois être le signe de difficultés relationnelles.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Pour le développement sain de l'enfant, dans quelle mesure est-il crucial que celui-ci puisse nouer des liens d'attachement et d’interactions sûrs avec ses parents ?

Jean-Paul Mialet : Qu'entend-t-on par attachement ? Revenons aux sources. Dans les années 50, un primatologue, Harlow, observe que l’agrippement du petit singe à la fourrure de sa mère pendant les quatre premiers mois de sa vie est vital. Faute de ce contact, il peut périr ou développer de graves défauts d'adaptation sociale. Ce phénomène révèle un besoin instinctif qu'il qualifie d'attachement et qui a une fonction de survie pour l'espèce : cet instinct fixe le petit à la mère et le protège contre sa perte lors des déplacements. Dans les mêmes années, le psychiatre Bowlby s'intéresse aux troubles provoqués par la disparition de la mère chez de tous jeunes enfants abandonnés ou orphelin ; il constate des dépressions graves qui, peuvent mener à la mort. Il étend à l'humain la notion de période cruciale d'attachement. Mary Ainsworth poursuivra ses travaux en observant qu'à côté d'enfants développant un attachement rassurant, d'autres restent dans l'insécurité et développent lorsqu'on les sépare de leur mère des comportements différents des autres. Ils auront par la suite des désordres comportementaux variés. Deux types d'attachement sont ainsi distingués : l'attachement organisé et rassurant, et l'attachement désorganisé non sécurisant, marqué par des comportements anxieux et évitant.

Les liens précoces mère-enfant font dès lors l'objet d'explorations multiples. Pour mieux comprendre le phénomène et interpréter ses avatars, les chercheurs se concentrent sur l'intimité de la relation de la mère à son bébé dans les premiers mois et analysent des vidéos des interactions mère-enfants. Certaines de ces analyses peuvent porter sur des comportements aussi subtils que les échanges de regards au sein de la dyade mère /enfant. Il en ressort que les attachements désorganisés semblent liés à un défaut de communication dans la dyade tel que l'enfant ne se sent pas réconforté dans ses moments de détresse émotionnelle, en raison d'une implication émotionnelle confuse et évitante de la mère qui peut elle-même être affectée d'un attachement insécurisé.

Des travaux de recherche ont identifié un élément clé du processus : la coordination du cerveau et du comportement des parents et des enfants lors des interactions sociales. En quoi cette synchronisation neuro-parentale joue-t-elle un rôle clé dans les relations et la bonne entente entre les parents et les enfants ?

Depuis une dizaine d'années, ces recherches cliniques sur l'attachement ont basculé vers les neurosciences pour des raisons techniques, théoriques et idéologiques. Techniquement, on dispose aujourd'hui de moyens d'enregistrer commodément l'activité cérébrale grâce à des capteurs infrarouges. Théoriquement, la découverte de neurones miroirs qui s'activent dans le cerveau d'un observateur à la simple vision d'un mouvement a renouvelé les interprétations des interactions interindividuelles en termes de synchronies cérébrales. Idéologiquement, car cette approche objective, neuroscientifique de l'attachement permet de renvoyer au second plan la question sensible de l'implication prioritairement maternelle dans l'attachement, tel que l'envisageait Bowlby. On explique aujourd'hui qu'un attachement organisé se construit grâce aux comportements adéquats que manifeste envers bébé ceux qui l'entourent lorsqu'il s'approche d'eux. Il y trouve l'assurance qu'il pourra compter sur leur support en cas de détresse et de débordement émotionnel. Cette heureuse harmonie pourrait être liée au partage d'un état mental comparable par synchronisation des neurones entre parents et enfant. Des recherches ont montré que lorsqu'un enfant et ses parents se confrontent à une tâche commune comme la résolution d'un puzzle, leurs neurones se synchronisent. Cette synchronisation remarquable est-elle l'élément clé de l'attachement ? Ou bien un simple corrélat neurophysiologique qui ouvre une porte complémentaire sur l'union profonde de la dyade, union qui s'avère cérébrale et pas uniquement comportementale ? La retrouve-t-on avec d’autres proches que les parents ?


Quels sont les principaux enseignements des travaux des chercheurs sur la synchronisation neuro-parentale entre les parents et les enfants ? Est-ce utile pour l'attachement des enfants et est-ce que cela a tendance à augmenter lorsqu'un parent et un enfant jouent, parlent ou résolvent des problèmes ensemble ?

Il est encore trop tôt pour faire un bilan précis de ces recherches très pointues et encore limitées. On peut toutefois noter que quand il s'agit de résolution de problèmes, la synchronisation mère/enfant semble différente de celle de père/enfant. Il est également intéressant de constater que la synchronie interneuronale s'établit à droite, dans l'hémisphère des émotions et de l'intuition sensible dans une dyade avec attachement sécurisant alors qu'on l'observe plutôt à dans le lobe préfrontal gauche –une région du cerveau impliquée dans l’analyse et la planification stratégique - chez les mères avec attachement désorganisé. On peut donc parier que ces recherches vont renouveler et raffiner les questions que pose le phénomène de l'attachement en évaluant les effets du genre et de l'héritage transgénérationnel. Mais la synchronisation neuronale est une observation de laboratoire ; elle ne peut devenir un objectif pratique.

Une plus grande synchronisation entre les parents et les enfants est-elle toujours préférable au regard des travaux des chercheurs ?  Cela peut-il être le signe de plus grandes difficultés relationnelles ? Cela peut-il accroître le stress dans la relation et augmenter le risque d’attachement insécurisant à l’enfant ?

De quoi parle-t-on ? La synchronisation neuronale, encore une fois, est un corrélat neurophysiologique de l'attachement que l'on peut observer dans certaines zones du cerveau grâce à des méthodes de neuroimagerie sophistiquées. Cela n'a rien à voir avec la synchronisation comportementale entre parents et enfant. Certes, participer à des tâches communes avec son enfant, prendre du temps avec lui, se montrer disponible et ouvert à ses efforts de communication dès son plus jeunes âge, ressentir ce qu'il tente d'exprimer, discerner les pleurs de colère, ou d'inconfort ou de douleur sont des éléments importants d'une relation au bébé réussie qui le sécurisera: mais il n'y a là que du bon sens. Ces nouveaux travaux pourraient d'ailleurs contribuer à relativiser et à démythifier l'attachement : on sait à présent qu'un attachement mal réussi ne laisse pas nécessairement des traces toute la vie. Et puisque vous parlez du stress qui altère la relation mère/enfant, ce stress est certainement aggravé chez les mères contemporaines par les vulgarisations dont on les abreuve sur les recettes à mettre en œuvre pour réussir – ou au moins ne pas rater – son enfant. Freud est bien loin, mais j'aimerais rappeler ici la réflexion qu'il avait faite à une jeune mère qui lui demandait le moyen de réussir l'éducation de son enfant : « De toutes façons, vous le raterez ». Évoquons aussi la célèbre remarque du pédiatre Winnicott : une bonne mère est une mère suffisamment bonne. Revenons sur les premiers résultats que nous venons de signaler : ils indiquent qu’une mère non perturbée s’abandonne à la relation sur des bases sensibles (cerveau moyen droit) alors qu’une mère perturbée semble remplacer cette spontanéité par des efforts intentionnels (cerveau antérieur gauche) : un attachement réussi repose sans doute sur un accordage émotionnel profond et non calculé avec le bébé. Le maternage n’est pas une performance comme une épreuve sportive ou académique, c’est une expérience de couple à part qui sera d’autant mieux réussie qu’on ne se crispe pas pour bien faire.

Il est souvent conseillé aux parents d’être constamment à l’écoute de leurs enfants et de répondre à tous leurs besoins. Mais est-ce toujours la bonne approche pour le développement de l’enfant ?

Ne conseillerait-on pas aux parents ce qu'ils ont envie d'entendre ? Les savants qui s'intéressent à la synchronisation neuronale constatent que trop de synchronisation nuit… Je n'en suis pas surpris. Le développement personnel de l'enfant exige des interstices dans lesquels il s'éprouve comme un individu autonome. Il exige aussi l'apprentissage de limites. Et l'apprivoisement des frustrations qui donnent naissance au désir et apprennent à le gérer : à en retarder l'accomplissement ou l'oublier. Comment le désir peut-il naître s’il est devancé par trop de sollicitude ? Il me semble qu'il ne s'agit là encore que de bon sens. Mais peut-être les parents d'aujourd'hui ont-ils du mal à imposer à leurs enfants ce dont ils rêvent pour eux-mêmes : un monde sans frustration qui comblerait tous leurs besoins ?  Peut-être aussi veulent-ils soulager un remord : par rapport à cet amour des enfants que notre époque valorise tant, comme un contre feu au culte de soi, en fait-on jamais assez ?

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