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La revanche des Remainers?
©NIKLAS HALLE'N / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Hughenden, 

Le 4 octobre 2020, 

Mon cher ami, 

Je ne reconnais plus le parti Tory

Cela fait plusieurs semaines que je ne suis pas allé à Londres sinon pour y prendre le train pour Bruxelles à la demande de David Frost, afin de l’aider dans la négociation du Brexit. Pour le reste, je fuis la capitale. Il y règne une atmosphère irrespirable. Je sais bien que notre ami Boris a eu le COVID 19 sous une forme sévère; mais cela justifie-t-il que le Premier ministre passe un tiers de ses interventions à recommander la « distanciation sociale » et que gouvernement soit à la pointe des décisions absurdes, comme la fermeture des bars et restaurants à partir de 22h et que l’on ait parlé durant quelques jours d’un nouveau confinement comme d’une hypothèse sérieuse? 

Où est passé le grand peuple britannique? Je m’attendais à une réaction, un sursaut, comme celui des Suédois. C’était d’ailleurs le réflexe de Boris au départ. Et puis, tout cela a sombré en même temps qu’il était hospitalisé. A partir de ce moment-là, il a été pris dans l’atmosphère ouatée des discussions interministérielles. Petit à petit, il a été décidé de jouer la sécurité à tout prix, le confinement généralisé. J’entends bien que notre pays possède un des pires bilans en termes de victimes du COVID. Mais ceci n’est-il pas expliqué par cela? C’est dans nos revues médicales (Lancet, British Medical Journal) qu’on a fait de la place à l’un des pires lobbyings de l’industrie pharmaceutique de l’histoire: celui qui a consisté à publier des études truquées sur la thérapie efficace qu’a mise au point le Professeur Raoult, le virologue jusque-là le plus cité au monde dans les revues médicales. Notre gouvernement s’est honteusement laissé entraîner dans la promotion à l’avance d’un éventuel vaccin. 

La revanche des Remainers

A voir le triste état psychologique dans lequel se trouve notre beau parti conservateur, j’ai l’impression d’assister à une immense revanche des Remainers. Le Brexit a bien été voté. Il est bien en train d’être négocié. Cependant, l’état d’esprit qui prévaut actuellement fait plutôt penser à l’époque Theresa May, lorsque nous avions l’impression de ne pas pouvoir nous sortir d’une situation complexe - en fait complexifiée par notre gouvernement. La haute administration est restée la même. Pourquoi agirait-elle avec plus de courage face au COVID 19 qu’elle le fit naguère sur la mise en oeuvre l’article 50? Tout dépend en fait de la politique. Et sur ce sujet mon parti est défaillant. Il n’écoute pas la voix de la sagesse médicale qui, après avoir identifié la gravité très relative de l’épidémie, juge que la contamination large de la population est à la fois inévitable et une bonne chose, pour une immunisation collective. A Downing Street, on n’écoute pas suffisamment non plus la voix de la prudence économique. A quoi bon mettre en danger la viabilité économique du Brexit au moment même où l’on négocie une reprise d’indépendance qui allait donner un avantage compétitif considérable? On n’écoute pas, enfin, les électeurs qui vous ont porté au pouvoir, qui, d’une part, n’ont pas les craintes excessives de la classe des « gens équipés d’un ordinateur portable »; et qui, d’autre part, comptent sur une relance de l’économie britannique pour améliorer leur situation et assurer l’avenir de leurs enfants. 

Quand les héritiers de 1968 jouent à la « peste noire ». 

Comprenons-nous bien: je ne critique pas des décisions prises au printemps, à un moment où nous n’étions pas sûrs de la gravité réelle de l’épidémie. Cependant, à partir du moment où la cloche d’une épidémie virale était bien lisible dans les statistiques des contaminations, des hospitalisations et des décès, il fallait changer complètement la stratégie. Nous ne sommes pas les seuls concernés: je suis frappé, à chaque fois que je me rends à Bruxelles, de voir la panique collective. On m’y parle de vaccin, qui pourrait n’être disponible qu’à l’automne 2021, d’un maintien de confinement partiel ou d’autres mesures préventives, qui pourrait durer deux ans. Mais nos dirigeants se rendent-ils bien compte de la distorsion de réalité dont ils sont victimes? Que se passerait-il si nous avions affaire à une épidémie véritablement grave? 

Je pense que nous assistons à l’agonie d’un monde, celui qui a émergé en 1968. Les soixante-huitards étaient des enfants gâtés, qui bénéficiaient de la paix et de la prospérité d’après-guerre. Ils ont joué à la révolte. Ils ont joué à l’amour. Un peu plus tard, arrivés à l’âge professionnel, ils ont joué à l’économie grâce à un argent qui coulait à flots. Pour ceux qui sont arrivés au pouvoir dans les années 1990, ils ont joué à la guerre, par exemple au Kosovo. Aujourd’hui, vieillissants, ils jouent à la « peste noire ». Bien entendu, ils ont laissé la dévastation sur leur passage et entraîné bien des souffrances: des millions de chômeurs ou de victimes de guerres asymétriques sont là pour en témoigner. Et demain, ce sera la vague de faillites et de situations personnelles désespérées suite au COVID. Les actuels gouvernants sont les petits frères ou les enfants des soixante-huitards. mais ils ont apparemment du mal à s’en sortir.  

Bien fidèlement à vous 

Benjamin Disraëli 

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