La pandémie aura-t-elle vraiment autant accéléré l’automatisation de l’économie qu’on le croit ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un robot monte un pare-brise sur une Mercedes Benz Classe A sur la chaîne de montage de l'usine Daimler AG à Rastatt, dans le sud-ouest de l'Allemagne, le 4 février 2019.
Un robot monte un pare-brise sur une Mercedes Benz Classe A sur la chaîne de montage de l'usine Daimler AG à Rastatt, dans le sud-ouest de l'Allemagne, le 4 février 2019.
©THOMAS KIENZLE / AFP

Conséquences sur l'emploi

Les phases de crise sont souvent associées à une automatisation des emplois et des entreprises. La crise du Covid-19 a-t-elle réellement contribué à ce phénomène ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : On associe souvent les phases de crise avec une automatisation des entreprises. Des choix durables motivés par une situation conjoncturelle. La crise Covid semblait présenter tous les éléments nécessaires à ce que ce phénomène ait lieu. Dans quelle mesure cela a été ou non le cas ?

Michel Ruimy : Les innovations ont toujours été stimulé pendant les périodes de forte récession. Aussi, il y a de fortes chances que cette pandémie risque d’impacter, dans une certaine mesure et à terme, certains secteurs vulnérables à l’automatisation du travail humain.

Tout d’abord, pour une raison économique liée à la récession : la compression des coûts de tâches répétitives et fastidieuses. Ensuite, certains métiers, du fait de nouvelles aspirations des consommateurs voire managériales, vont pousser au déploiement d’une intelligence artificielle qui pourrait être un outil indispensable à la refonte d’un nouveau modèle économique vers plus de développement durable. Comme dans toutes les grandes crises du capitalisme, les remises en question sont telles que la quête de sens prend le dessus et tend à accélérer ce qui est considéré comme utile pour l’organisation. Par ailleurs, la crise sanitaire a accéléré la digitalisation des processus et des organisations… en raison de la distanciation sociale. Ainsi, le travail à distance s’étant imposé du jour au lendemain, de nombreux outils technologiques (visioconférence, tableau de bord partagé, badge à distance, signature électronique…) ont été mis en place pour faire perdurer le lien avec l’entreprise et améliorer la performance des organisations. Tous ces outils devraient être améliorés pour permettre aux salariés de travailler durablement dans les meilleures conditions. Enfin, l’automatisation qui menace l’emploi nécessite une refonte du mode de rémunération et/ou un virage professionnel. Avec le confinement et la distanciation sociale, on a constaté, certes, une transformation voire une création de nouveaux métiers mais aussi qu’il existait des métiers cognitifs et peu routiniers qui, grâce à l’utilisation de technologies, pourront continuer d’exercer normalement voire de s’enrichir considérablement à la différence d’autres, manuels et peu cognitifs, qui ne pourront pas continuer comme avant.

Ainsi, l’automatisation et une nouvelle répartition du travail entre les humains et les machines perturberont, à court terme et au niveau mondial, un grand nombre d’emplois dans les moyennes et grandes entreprises. Un phénomène particulièrement visible dans les secteurs administratifs, de la comptabilité, de la saisie de données...

En soi, rien de nouveau mais la nouveauté réside dans l’impact de ce phénomène. Ceci risque d’aggraver les inégalités existantes sur les marchés du travail et annulé les progrès en matière d’emploi, réalisés depuis la crise financière mondiale de 2007-2008. Les besoins de reconversion liés aux compétences de base seront plus importants. Les entreprises, les gouvernements et les partenaires sociaux doivent donc prévoir de travailler ensemble, de toute urgence, pour implémenter une nouvelle vision de la main-d’œuvre car, à l’avenir, les entreprises les plus compétitives seront celles qui auront investi massivement dans leur capital humain (qualifications et compétences de leurs employés).

Ces observations doivent-elles nous faire remettre en question la corrélation établie ou bien la crise Covid a-t-elle des caractéristiques particulièrement pouvant expliquer ce phénomène ?

Le fameux « monde d’après » est étrangement marqué du sceau des manques en tout genre : composants, matières premières, et désormais main-d’œuvre. En effet, avec cette pandémie, les débats relatifs aux pénuries de main-d’œuvre se sont concentrés sur la politique de protection sociale et sur les perturbations économiques.

Or, le phénomène a une signification plus profonde. Il nous renseigne sur les mythes de l’automatisation. En d’autres termes, une automatisation, non maîtrisée, induite par la pandémie peut-elle creuser des inégalités en matière d’emploi et créer un surplus de travailleurs alors que les chefs d’entreprise se plaignent d’un manque alors que l’économie rouvre progressivement ? En Amérique, le nombre d’offres d’emploi non pourvues (près de 10 millions) n’a jamais été aussi élevé. Au Canada, les offres d’emploi sont 20% supérieures au niveau qui prévalait avant la pandémie ! Même en Europe, qui sort à peine de l’ornière, un nombre croissant d’employeurs se plaignent de la difficulté de trouver du personnel.

En fait, la crise sanitaire a altéré toute une partie du mécanisme normal du renouvellement de la main d’œuvre. La question est maintenant de savoir en combien de temps cette situation va-t-elle se résorber car il ne faut pas oublier que le marché du travail est un marché de compétences et que les emplois ne sont pas interchangeables.

Cela signifie-t-il que l’on n’a pas su tirer les bonnes réponses de la crise sanitaire ou bien que l’économie a mieux résisté qu’espéré ?

L’économie française a connu un choc tout à fait inédit, avec une mise en hibernation d’un certain nombre de secteurs d’activité et la « mise sous cloche » de la production et de la consommation. Mais si l’exécutif est sur tous les fronts pour éviter une nouvelle flambée de l’épidémie et pour accompagner la relance de l’activité, l’un des points critiques reste le chômage.

Or, il semble qu’il y ait une certaine spécificité française dans ce domaine car, avant même la crise sanitaire, les chefs d’entreprise affirmaient déjà qu’ils avaient des difficultés de recrutement. Un chômage structurel français relativement important, qu’il convient absolument de résoudre.

Souvent, il s’agit d’une inadéquation entre l’offre et la demande. Les besoins des entreprises ne correspondent pas toujours aux compétences ou envie des individus à la recherche d’un emploi. Dans certains cas, certains métiers ne séduisent plus du fait d’horaires décalés, d’une pénibilité, d’un bas salaire…. Les plateformes d’emploi ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour toucher le public-cible (principalement des jeunes) en investissant les réseaux sociaux. Dans d’autres, la formation des salariés ne correspond pas aux demandes des recruteurs.

Dans ce contexte, le gouvernement désire réduire les aides au chômage au motif que le système, assez protecteur, n’incite pas toujours à rechercher un emploi. Un point de vue contesté par les syndicats au cœur de la réforme de l’assurance-chômage. 

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