La guerre est un caméléon : le nouveau visage des conflits<!-- --> | Atlantico.fr
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La guerre est aussi vieille que l'humanité mais ses visages sont multiples.
La guerre est aussi vieille que l'humanité mais ses visages sont multiples.
©Reuters

Mille visages

La guerre au Mali s'enlise, les djihadistes ne démordent pas mais les armées françaises et tchadiennes avancent. La guerre est aussi vieille que l'humanité mais ses visages sont multiples.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Atlantico : Comme sur d’autres zones de guerre précédemment, le Mali est actuellement le théâtre d’une guerre d’escarmouche entre des groupes armés non nationaux. Cette forme de guerre est-elle vraiment nouvelle ? Quelles en sont les caractéristiques ?

François Géré : De  manière générale, chaque guerre est originale et pour reprendre la métaphore de Clausewitz : la guerre est un caméléon. C’est toujours un acte de violence organisé. Mais elle change de forme en fonction des circonstances, des acteurs et de leurs buts. De plus, une fois la guerre engagée, les buts initiaux peuvent changer selon l’évolution positive ou négative des opérations. Le succès peut devenir un piège qui conduit à aller au-delà des objectifs initiaux. Le jeu se brouille et dans cette nouvelle partie on peut perdre le gain initial.

La guerre évolue en fonction des mobiles, des moyens disponibles et des technologies utilisables. Récemment, nous avons assisté au phénomène dit des guerres asymétriques.

Il est clair que les organisations terroristes, les groupes de guérilla, les petites armées d’Etats pauvres ne peuvent disposer de moyens capables de faire jeu égal ou de contrer les Etats modernes, en dépit de leurs propres contraintes. Toutefois les Etats-Unis et l’OTAN ont été mis en échec par les Talibans en Afghanistan, précisément parce que la supériorité technologique ne résout pas les problèmes politiques.

Parler de guerre entre des armées étrangères au théâtre d’opération et un groupe armé religieux témoigne-t-il d’une nouvelle vision de la guerre ?

La guerre ne s’est jamais limitée à un duel entre deux entités étatiques ou non. Les guerres dites de coalition ont rassemblé plusieurs pays dont les institutions étaient différentes qui ont opéré ensemble contre un ennemi principal. Les guerres civiles, parfois dites « de religion », particulièrement atroces, ont leur propre logique. Nous assistons au Mali à une variante de plus qui n’est originale que par la complexité des contradictions des intérêts locaux et des nombreux voisinages.

L’équilibre mondial a-t-il atteint un équilibre qui conditionne la guerre à cette forme ? Les guerres dites « globales » du XXème sont-elle définitivement derrières nous ?

Les grandes guerres de dimension mondiale sont très probablement derrière nous dans une histoire révolue. Cela pour deux raisons absolument fondamentales qui coïncident étrangement  dans le présent mais sans faire bon ménage dans le futur. D’une part, l’irruption de l’arme nucléaire qui rend impossible non pas les guerres locales très meurtrières mais leur escalade vers une dimension mondiale. Aucun Etat, aussi bizarre soit-il – même la Corée du Nord- n’envisage de provoquer son propre suicide.

D’autre part, en raison de l’avènement de l’âge de l’information, les guerres de l’âge industriel sont en voie de disparition même si localement elles peuvent encore avoir un avenir dévastateur.

Par ailleurs, il serait illusoire de penser que les mobiles de recours à la guerre soient en voie de disparition. La planète est devenue fragile, les ressources sont perçues comme limitées. La population augmente et, avec elle, le besoin de ces ressources, y compris l’exigence d’une plus juste redistribution. Gardons-nous donc si possible de généraliser des perceptions momentanées dans les sociétés européennes où la guerre semble devenue obsolète comme instrument efficace de la politique et d’imaginer que les autres sociétés dans le monde vont suivre notre “bon exemple” en vérité bien tardif.

En Asie et au Moyen Orient, nous assistons à une course aux armements conventionnels très sophistiqués - notamment les défenses antimissiles - sans précédent. L’âge de l’information créé de nouveaux enjeux, de nouveaux espaces d’affrontement  que l’on affuble un peu vite du terme cyber guerre. Mais il est clair qu’un nouveau mode se développe. Gestation que nous comprenons mal. Aussi sommes-nous incapables d’en mesurer les limites. Cette nouvelle forme de guerre peut-elle, sortant du virtuel, nous ramener vers des formes dures et supposées obsolètes de guerre ?

L’amélioration permanente des technologies militaires déshumanise-t-elle complètement la guerre ou la surhumanise-t-elle en oubliant que nos soldats peuvent mourir ? 

Revenons à un principe simple. Les hommes font les guerres et non le contraire. Tout au plus la guerre modifie-t-elle l’humanité dans sa culture et encore de manière très sélective. La guerre ne change pas l’homme. L’homme change les moyens de la guerre. Ni plus ni moins. Ainsi voit-on naître et dépérir des mythes tels que la “guerre  zéro morts”.  Il est devenu difficile d’accepter des pertes en Occident en raison sans doute du déclin démographique mais pas seulement car, quelle que soit l’importance des machines, la sophistication des instruments, il y a toujours un homme dans la boucle avec ses vulnérabilités psychologiques qui prennent le pas sur les défaillances purement physiques.

Tout combat est un stress parce qu’il est par essence tragique.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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