La grande démission post Covid, c’est terminé… ou pas <!-- --> | Atlantico.fr
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Des salariés dans un open space.
Des salariés dans un open space.
©PATRICIA DE MELO MOREIRA / AFP

Absentéisme

Le taux moyen d'absentéisme en France - parmi les salariés en CDI - est de 6,7 % en 2022, un chiffre en hausse de 8 % par rapport à 2021. Ce taux atteint quasiment les niveaux enregistrés pendant la pandémie, selon les chiffres du baromètre annuel réalisé par Ayming et AG2R la mondiale.

Caroline Diard

Caroline Diard

Caroline Diard est professeur associé au département Droit des Affaires et Ressources Humaines à la Toulouse Business School.

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Atlantico : Selon un article de CNBC, la grande démission post COVID serait terminée aux Etats-Unis. Quand on regarde les chiffres, observe-t-on la même tendance en France?

Caroline Diard : Les chiffres de la DARES sont éloquents. C'est-à-dire qu'à partir du 3e trimestre 2022, on constate une baisse du nombre de démissions, même si elle reste malgré tout au même niveau que T4 2021 malgré tout. On assiste à un infléchissement (il y a 1,1% de baisse). A l'inverse, lors du dernier trimestre 2022 on remarque une reprise des ruptures conventionnelles. Cela signifie que l'on constate moins de démissions mais plus de ruptures à l'amiable qui ouvrent droit au chômage.

Au premier trimestre 2022, on a enregistré 121 828 ruptures conventionnelles. Et au dernier trimestre 2022, donc T4, on en compte 129 643, soit une augmentation de presque 6,5 %, ce qui est significatif. Lors du dernier trimestre comparable, fin 2019, on recensait 113 000 ruptures conventionnelles. Il y a donc une augmentation des départs négociés.

Source : DARES

D'ailleurs, la "grande démission", tout le monde a commencé à l'évoquer après le confinement mais si l'on regarde les chiffres, on constate que cette tendance avait déjà commencé. En réalité, les chiffres étaient déjà élevés en 2018. Pendant le confinement, on observe une baisse significative, probablement en raison du calme imposé aux personnes et du contexte anxiogène, la peur de ne pas retrouver d'emploi. On remarque ensuite une reprise au premier trimestre 2021, avec une augmentation fulgurante. Cela atteint son apogée au deuxième trimestre 2022. Ensuite, les chiffres descendent, c'est-à-dire que lors du troisième et du quatrième trimestre 2022, ils diminuent. Au deuxième trimestre, on compte 545 000 démissions, et au quatrième trimestre, on en dénombre 521 000. C’est toujours un phénomène massif de démission mais on a un infléchissement de tendance au profit des ruptures conventionnelles.

Comment l’analyser ?

Prenons du recul par rapport à ces chiffres de la DARES et mettons nous dans la peau du salarié qui souhaite partir.

Il s'agit d'évaluer la situation avec son employeur et l'on se dit qu'il serait préférable d'avoir une forme de parachute au cas où les choses ne se passeraient pas bien. C'est en quelque sorte le principe de la rupture conventionnelle qui permet au salarié qui quitte une entreprise de percevoir une allocation chômage.

Ce qui est surprenant, c’est que les employeurs acceptent les ruptures conventionnelles quand bien même ils ont du mal à trouver du personnel.

Il pourrait y avoir une explication : les employeurs laissent partir les personnes car il y a une sorte de quiet quiting où les gens restent mais ne font pas grand-chose soudainement, ils font simplement le minimum. Donc en fin de compte, il vaut mieux trouver un accord mutuellement bénéfique avant que la situation ne se transforme en conflit. Ainsi, la rupture conventionnelle permet de mettre fin à la relation de travail de manière apaisée. Le salarié partira avec éventuellement des droits au chômage et si les choses ne se passent pas bien pour lui dans son nouvel emploi, il n'aura pas tout perdu. Cependant, cela représente un coût pour l'employeur, ce qui signifie que s'il est prêt à payer. L'employeur préfère se séparer du salarié plutôt que de subir une forme de démission silencieuse. Ce la se traduit par une diminution des démissions effectives et une augmentation des ruptures conventionnelles. C'est une hypothèse.

Est-ce que cela veut dire que ce qu'on a appelé la grande démission n’est pas complètement terminée ?

Cela est en cours d’inflexion, donc il faudra encore attendre un an pour en être certain. Les chiffres actuels montrent une augmentation des ruptures conventionnelles au deuxième et quatrième trimestre, mais pas au troisième trimestre. Il est donc nécessaire de confirmer ces tendances. De même pour les démissions, en 2022, nous avons constaté une diminution au deuxième trimestre, donc il faudrait maintenant attendre d'avoir les chiffres de début 2023.

Est-ce que l'état d'esprit des salariés a changé ?

Les priorités se sont recentrées, notamment en ce qui concerne l'organisation du temps dans la vie des individus. L'hybridation du travail a libéré du temps pour d'autres activités. Certaines entreprises ont même adopté la semaine de 4 jours. Je ne suis pas favorable à la semaine de 4 jours qui peut générer des risques pour la santé des salariés. Cependant, il y a des entreprises qui ont mis en place cette mesure de manière apparemment bénéfique. Cela signifie que les réflexions se sont recentrées sur l'aménagement du temps de travail. Nous revenons ainsi sur des débats que nous avions dans les années 90 concernant la frontière entre vie privée et vie professionnelle, les loisirs et les temps sociaux, et ainsi de suite. C'est normal, car nous avons été confinés pendant environ 2 ans. Il faut le reconnaître, nous avons été confinés à plusieurs reprises et même lorsque nous étions déconfinés, nous étions souvent à la maison en télétravail. En effet, le télétravail obligatoire a pris fin le 3 février 2022 et le premier confinement a débuté le 17 mars 2020. Cela fait près de 2 ans de réflexion et d'introspection de la part des salariés et des employeurs, qui se sont demandés quelles étaient leurs priorités. De plus, il y a autre chose qui est apparu : au niveau des processus, il y a des échelons hiérarchiques ou des métiers qui ont été conduits à se réinventer. Il y a une nécessité de réorganiser les structures, peut-être en repensant ou supprimant les échelons intermédiaires. L’IA peut avoir joué un rôle mais elle est surtout aujourd’hui une sorte de collègue à qui l'on pourrait déléguer les tâches que l'on n'a pas envie de faire. Cela entre dans la réflexion que nous avons eue pendant le confinement, où les gens se sont dit qu'il y avait des choses qu'ils faisaient et qui n'étaient pas vraiment utiles. On a beaucoup évoqué la quête de sens. Les managers ont vu la nécessité de reconfigurer les missions.

Au regard de l'activité économique et la situation du marché du travail en France, les salariés sont-ils dans une situation de force ou de faiblesse actuellement ?

Actuellement, le taux de chômage est historiquement bas.Au 1ᵉʳ trimestre 2023, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) est de 7,1 %. 

Nous sommes revenus à des niveaux similaires à ceux de 1980. Sur un marché de l'emploi où le chômage est faible, cela signifie que nous sommes déjà depuis longtemps dans une inversion de tendance, c'est-à-dire que les personnes rencontrent moins de difficultés à rebondir ou à changer d'entreprise. Cela a également facilité les démissions. Comme on peut le constater dans les statistiques, pendant le confinement, personne ne bougeait car tout le monde avait peur et ils étaient plutôt réticents à prendre des risques. Bien sûr, dans une situation de contexte défavorable, comme cela était le cas pour des raisons sanitaires, les gens ne se sont pas déplacés. Finalement, les salariés ont réalisé qu'avec la reprise générale de l'activité, ils allaient pouvoir changer d'employeur après le confinement. Les individus peuvent être davantage mobiles car il y a de l'emploi, de la création d'emplois.

Après l'épisode de la "grande démission" et l'apparition des difficultés de recrutement, on va peut être entrer dans un cercle vicieux. Au niveau local, déjà dans les commerces de proximité, les restaurants, les bars, on observe des fermeture ou réduction d' horaires faute de personnel.

Cela pourrait mettre un  frein à la tendance actuelle voire l’inverser. Le contexte international, l’inflation, peuvent aussi jouer en défaveur de l’emploi.

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