La grande amitié de Marc Francelet avec Jean-Paul Belmondo<!-- --> | Atlantico.fr
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Les acteurs français Jean-Paul Belmondo, Alain Delon et Jean Gabin.
Les acteurs français Jean-Paul Belmondo, Alain Delon et Jean Gabin.
©AFP

Bonnes feuilles

Marc Francelet a publié « L’Aventurier » aux éditions Le Cherche Midi. La vie de Marc Francelet est d'une intensité romanesque qui devrait rendre jaloux tous les auteurs du genre. Son destin bascule en 1963 grâce à un scoop époustouflant sur le général De Gaulle. De la Madrague de Bardot aux palais de Saddam, l'auteur nous entraîne derrière les figures françaises des cinquante dernières années ainsi que dans les coulisses ambiguës de la Ve République. Extrait 1/2.

Marc Francelet

Marc Francelet

Journaliste, auteur de scoops sensationnels, homme d'affaires au quatre coins du globe, ami des Johnny, Belmondo, Sagan... Marc Francelet a eu une vie absolument romanesque.

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Un beau matin de 1976, quand Myriam, ma femme, a entendu à la radio qu’un chauffard avait été interpellé à 310 kilomètres-heure au volant d’une Ferrari rouge, elle s’est assise en s’écriant : « À tous les coups, c’est Marc ! » Ma femme me connaît. C’était bien moi. J’aime Ferrari. Quand on amorce la trentaine, on en a encore sous le pied, la vitesse m’a toujours paru moins redoutable que le point mort, et quand un jeune type a passé dix-huit mois au trou, il peut se sentir pressé. Durant les trente, quarante ans qui suivront, ralentir ne m’a pas effleuré. Plus tu fonces, moins tu risques de chuter, c’est vrai en affaires aussi. Quand j’évoque dix-huit mois, je calcule en gros. Dans sa mansuétude, le juge Cabié avait facilité ma conditionnelle à mi-peine. Et le greffe a suivi, sans vérifier, se trompant dans les calculs. Lorsque les flics ont arrêté ma Ferrari rouge, ils ont interrogé les Sommiers au sujet du conducteur pour s’apercevoir que Marc Francelet se trouvait recherché afin d’achever une condamnation dont il lui restait trois mois à purger. Je les ai donc faits. 310 kilomètres-heure n’incite pas un JAP – juge d’application des peines – à passer l’éponge. Le compte est bon, retour en taule. Une formalité de quelques semaines pour redevenir tout à fait blanc. Le principe même de la justice correctionnelle est de laver les fautes. Au fond, un homme qui sort de prison est plus vierge que la plupart de ses concitoyens. Je ne me suis jamais retrouvé devant un jury d’assises. Commettre des délits ne m’empêche pas de mépriser le crime. Je rappelle qu’aujourd’hui mon casier judiciaire est aussi blanc qu’un flocon de neige.

Bienheureux sans doute celui qui échappe à l’obsession de l’argent – ce n’était pas mon cas. À trente ans, j’étais plus que jamais convaincu que l’argent constitue la principale valeur universelle, rien d’autre n’est si puissant. Si tu as de l’argent, tu es quelqu’un, si tu en as beaucoup, tu es envié. L’argent force le respect bien davantage que le talent, la beauté ou le mérite, avouez-le avant de me jeter la pierre. Je le sais parce que j’ai vécu et vis encore ce que la fortune provoque dans le regard d’autrui, d’intérêt, de fantasme ou de jalousie.

Mon passage à Fleury avait exacerbé mon sens maniaque du confort, mon goût de la vitesse, du mouvement, des plaisirs qu’offre le luxe. Quand tu peux faire un saut à Saint-Trop en quarante minutes à bord d’un jet privé, cuir pleine fleur fauve avec une hôtesse pour égayer un vol radieux au-dessus des nuages – Scotch avec un ou deux glaçons, monsieur? –, il est normal de considérer la SNCF comme une bétaillère qui se traîne, même en wagon de première. C’est moche? Je le conçois mais c’est comme ça, je mentirais en prétendant autre chose, à l’âge que j’ai, je le pense toujours. À mon avis, le pouvoir de l’argent me paraît même encore plus violent que voilà vingt ou trente ans. Tel est le monde des hommes de ma génération. Les aspirations des jeunes d’aujourd’hui, je ne les connais pas très bien, je n’en fréquente plus beaucoup. Dans les années soixante-dix, si un gus au pied du jet avait reproché aux passagers de bousiller la couche d’ozone et notre belle planète bleue, ce fada les aurait fait se gondoler de rire.

Qui n’a jamais eu l’opportunité de faire ou de jouir du fric ne sait pas ce que c’est. Moi, je parle de ceux qui en ont, de leurs tentations, de leurs réflexes.

Les affaires, dans la majorité des cas, sont foncièrement malhonnêtes, comme la politique. À quoi bon s’en indigner sans fin? Un cercle d’individus obsédés par la volonté de s’imposer, gagner plus, maîtriser, dominer, ne se laisser emmerder par rien ni personne, suivre leur but contre vents et marées, mordre la ligne jaune pour aller plus vite, plus fort… Voilà ce qu’est la famille des hommes d’affaires. Trouver le filon juteux, s’en foutre plein les fouilles, se lancer à nouveau… Ensuite, certes, il n’est pas interdit d’être généreux, d’aspirer à faire le bien, à sa guise. Je ne décris pas l’enfer, juste les réalités que j’ai traversées. Je sais ce qui se passe, en loucedé, j’en ai assez vu et j’ai joué ce jeu comme les autres joueurs autour de la table à millions. Sans jamais avoir été une crapule, un salaud, pas même un voyou, je le jure, monsieur le juge.

Au milieu des années soixante-dix, je suis donc remonté dans ma Ferrari sans respecter les limitations de vitesse. Je suis retourné à Paris Match, un des havres les plus solides de mon existence. Personne ne m’a reproché mes écarts de conduite ou alors on ne me l’a pas dit. Sur le parking, ma voiture prouvait que je restais du bon côté du manche, accroché à ma vocation perdue d’aligner des coups, des sujets décoiffants en pleine page, quasi bénévole au regard d’autres sources de revenus. Le journal n’était plus aussi flamboyant, ses reporters-photographes moins héroïques qu’au cours des années soixante. Peu importe, cette presse-là demeurait ma maison.

Pour le reste, j’étais ouvert à tout, investissements, commerces, import-export, commission ou lobbying, divers postes directoriaux, partout où je pouvais servir à une entreprise lucrative. Chevronné, j’ai rejoint à certaines époques l’état-major de titres de presse, sans cesser l’affairisme. Avec une limite stricte, la prostitution, la drogue, la violence, les braquages m’étaient aussi étrangers qu’infréquentables. Paradoxalement, si j’aimais les armes, je ne désirais pas m’en servir. De même que je collectionnais déjà les montres de prix sans me soucier du temps qui passait. Le sang m’écœure, je ne conçois pas la souffrance. J’ai toujours été plutôt un homme heureux, convivial. Mystérieusement, mes parents m’ont sans doute légué cette aptitude au bonheur qui découle du goût de vivre. Je suis un meneur, un stimulant, toujours partant. La pression m’entretient. Mais fondamentalement, j’aime veiller sur qui m’est proche. Arranger des contrats autant que des rencontres. J’aime l’agitation, l’actu, la folie du moment, les défis, gérer au mieux les coups du sort. Prendre la vague, un paquet de mer ou de merde quelquefois, pas grave, c’est toujours la vie, ta vie, alors c’est bon. L’angoisse m’est venue seulement avec le temps, comme une maladie de l’âge, une parmi d’autres. Il ne faut pas s’écouter. Je suis un beau parleur, ce qui permet de ne rien dire de soi. Si j’aime être vu, je ne me regarde pas, parce que je ne m’intéresse absolument pas. Voilà sans doute une des clefs du bonheur.

J’ai protégé ma vie de famille par un pacte aussi quotidien que sacré. Avec ma femme, mon devoir a été limpide, à l’ancienne : lui offrir ce que l’on appelle une vie de rêve. Tout le meilleur auquel puisse aspirer une femme, je le lui ai donné. Maintenant, certains jours, elle aussi pouvait essuyer la vague, connaître la porte des maisons d’arrêt, les parloirs, déposer du linge propre pour un numéro d’écrou, récupérer la Ferrari à la fourrière… Veiller sur les enfants, surtout. Myriam a accepté le pacte, elle et moi sommes toujours mari et femme. Madame Francelet a eu de beaux bijoux, et si elle a dû quelquefois en vendre certains précipitamment, il lui en reste encore quelques-uns.

J’ai repris mes bons déjeuners à six, huit, dix couverts, avec ma bande, pour se parler, se tenir au courant de tout. En 1976, on pouvait encore finir un repas sur la fumée d’un havane autour d’une table de restaurant. Fumer en avion. Aujourd’hui, même en jet privé, tu ne peux pas, c’est interdit. De toute façon, je ne fume plus. Avec le temps, j’ai pris conscience de mes bronches et mes artères.

Enfin, je suis allé remercier Jean-Paul, qui m’a accueilli avec son sourire éclatant, la main sur mon épaule.

– Maintenant, tu vas arrêter tes conneries!

Je ne suis pas certain que Jean-Paul le pensait vraiment. Mes frasques l’amusaient, l’intriguaient. Lui volait trop haut au-dessus de la vie pour en connaître les aléas. En 1976, il trônait au sommet de sa gloire. Après Borsalino au côté d’Alain Delon – je reviendrai sur leur dispute lorsqu’un film les réunira à nouveau, Une chance sur deux, de Patrice Leconte, en 1998 –, Belmondo avait décidé de maîtriser entièrement le processus cinématographique en devenant, comme Delon, son propre producteur, via Cerito Films (du nom de sa grand-mère sicilienne). Il régnait sur le box-office avec divers metteurs en scène, de De Broca à Verneuil ou Giovanni. Jean-Paul Belmondo était devenu Bebel, surnom qui lui a toujours déplu sans qu’il n’en dise rien. Le Magnifique avait consacré son triomphe d’acteur-cascadeur-producteur, en 1972.

Depuis, il enchaînait les alias de lui-même sur grand écran : L’Incorrigible, L’Alpagueur, bientôt, en 1980, ce serait Le Guignolo, avec Georges Lautner. René Château, qui nous avait présentés, veillait sur ses affaires. Ex-graphiste chez Filipacchi, René avait même créé ces lettres noires majuscules, BELMONDO, qui tel un logo barraient le sommet des affiches. Belmondo tournait au rythme d’une machine bien huilée. Soucieux de conquérir également la critique, la vedette avait pourtant essuyé un échec cuisant avec Stavisky, d’Alain Resnais, grand rôle sinon grand film selon les cinéphiles, qui fut sifflé, hué au festival de Cannes 1974 sans rencontrer non plus le grand public dont Belmondo était familier. Sa première et dernière production.

Muet, écœuré, blessé, Jean-Paul avait complètement tourné le dos au cinéma d’auteur. Derrière son sourire, sa décontraction apparente, il haïssait critiques et cinéphiles, vomissait les intellos, le tout-Paris culturel qui l’avait rejeté, replié sur un pur cinéma de divertissement maison. Jamais honoré, en 1976, il était pourtant devenu une star internationale sans pratiquement quitter l’Hexagone, une légende vivante à la fois incontournable et discrète. Sans conteste le plus célèbre des acteurs français, devant Delon. Si le public, français, russe ou japonais, admirait Delon, il adorait Bebel. Mais, quand nous nous sommes mieux connus, j’ai réalisé que, sur son Olympe maîtrisé de A à Z, Jean-Paul éprouvait pourtant un certain isolement.

En quelques semaines, notre camaraderie est passée à une intense amitié. Moi aussi, je l’adorais, car Jean-Paul est irrésistible. Si l’envie le prend, il pourrait séduire n’importe qui, n’importe quoi, un banc de sardines. Parce que, avant d’être un séducteur, il est de la classe des charmeurs surdoués. Avec presque rien, un sourire, un mot, en un clin d’œil, il vous conquiert. Malgré sa réserve – Jean-Paul est d’un caractère réfléchi, distant, presque froid  –, il dégage quelque chose d’avenant, de fiable, sympathique et chaleureux. Si dans ma vie j’ai vu un être rayonner en se contentant d’entrer dans un restaurant ou de traverser un trottoir, c’est lui. Sans cliché, on peut parler de magie. Je l’ai connu éclatant. Malgré son AVC ou son âge, son aura perdure aujourd’hui, à ce que l’on m’en dit. Belmondo, ce soleil, m’a immédiatement et durablement ébloui. Tout en adoptant son naturel, je le regardais en clignant des yeux. J’aime admirer. Rien n’est plus doux que l’admiration.

Malgré quelques messages d’encouragement via mes avocats, l’amitié de Johnny ne m’avait guère soutenu en prison, ce n’est pas lui qui s’était porté garant devant mes juges, mais Jean-Paul, qu’en vérité je connaissais moins bien. Ma reconnaissance était fondée, je restais bouleversé par son geste. Certes, Johnny était happé par le tourbillon de sa carrière, de son caractère tempétueux, à écumer les salles de concert en tournées continuelles. Jean-Paul, assez casanier, s’avérait plus disponible, moins exposé. Un matin, il m’a appelé.

– Marc, qu’est-ce que tu fais ce midi?

J’aurais eu rendez-vous avec le pape que j’aurais répondu être libre comme l’air.

– Viens bouffer avec moi, on se retrouve au Stresa, ça te va ?

Si ça m’allait!…

Mon téléphone s’est mis à sonner régulièrement, Jean-Paul et moi avons pris l’habitude de nous voir deux-trois fois par semaine. Le planning de mon futur s’est organisé selon deux pôles : chaque matin, je restais sur le qui-vive, soit Johnny, soit Jean-Paul m’appelait pour déjeuner. Ravi, j’alternais entre deux étoiles, en un mot j’étais un homme comblé.

Extrait du livre de Marc Francelet, « L’Aventurier », publié aux éditions Le Cherche Midi

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