La France macroniste, terre dépolitisée (en échange d’une vague promesse de stabilité économique et sociale…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, lors d'une visioconférence depuis l'Elysée.
Emmanuel Macron, lors d'une visioconférence depuis l'Elysée.
©IAN LANGSDON / PISCINE / AFP

Nouveau contrat (de dupes) social

La succession de la pandémie et de la guerre en Ukraine conjuguée aux désillusions des électeurs français comme à la promesse du renouveau que serait sensé générer le « en même temps de droite et de gauche » ont généré un environnement politique qui… ne l’est plus vraiment.

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico : Plusieurs analystes politique à l’instar d’Arnaud Benedetti, voient en ce début de décennie une mort du politique suite à un dépérissement de l'Occident politique et une dépolitisation du corps social. Alors que les racines de cette situation sont évidemment multiples, quelles sont les plus prégnantes ?

Frédéric Mas : Il y a d’abord, pour le meilleur et le pire, la montée de l’individualisme. Le triomphe de la société de consommation et l’accélération de la transformation du pays en société de service a rendu caduque et lissé les vieux clivages sociaux sur lequel reposait les grandes lignes de fractures politiques et idéologiques. Dans un pays où la classe ouvrière a pratiquement disparu, il n’y a plus de marxisme possible. Dans un pays qui après avoir été traditionnellement un pays de paysans, l’agriculture a énormément reculé en deux décennies, comme le remarquaient Fourquet et Caselly dans leur livre, il n’y a plus de droite conservatrice possible. Le retrait sur la sphère privée, la jouissance des droits privées au détriment de la participation aux activités civiques collectives ont, comme l’a très bien vu Tocqueville, conduit à un éloignement des citoyens de l’activité politique. C’est le triomphe de la société civile sur la société politique.

A côté de la montée en puissance de l’individualisme, s’est développé, particulièrement en France, une défiance profonde à l’endroit d’une classe politique qui peine à se renouveler et dont l’encastrement dans la structure technocratique propre à la cinquième république a conduit à un éloignement profond entre les élites politiques et le reste de la population. En confiant les manettes à une classe politique largement endogame et à l’énarchie, on encourage aussi la population à la passivité.

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Le covid a eu un effet d’accélérateur d’un phénomène déjà en germe avec l’élection d’Emmanuel Macron : la reprise en main du pouvoir par la fraction technocratique de la classe politique, énarque, spécialistes, etc. qui est aussi une manière non seulement de surfer sur la dépolitisation française, et de l’instrumentaliser pour imposer un agenda qui lui est vraiment politique, celui du centrisme autoritaire.

C’est une forme de réponse à la difficulté de trouver un terrain d’entente entre les Français. il y a un fractionnement social très profond et l’outil technocratique permet un fonctionnement commun qu’on ne trouve plus dans la politique technocratique ordinaire. Il s’agit de retrouver du consensus dans un pays archipellisé.

La dépolitisation française n'est pas neuve, mais depuis le quinquennat d'Emmanuel Macron a vu cette tendance particulièrement s’enraciner dans la société. Comment sa rhétorique, et notamment le ni droite ni gauche, s'appuie-t-elle sur cette dépolitisation ?

La dépolitisation est un instrument pour Macron. Il se pose comme champion de la rationalité pour discréditer les adversaires et se poser comme la meilleure alternative possible. Emmanuel Macron reprend un peu la même rhétorique de la classe bureaucratique dont parlaient Aron et Schumpeter dans les années 50 : nous vivons la fin des idéologies, des grands récits, et les bureaucraties publiques et privées convergent désormais vers le même type de gouvernance avec le même type de personnel spécialisé. A l’ère des idéologies politiques et des clivages sociaux succède celle des experts et du rationalisme de leur planification. Non seulement la posture de l’expertise postule la dépolitisation de la société pour exister, mais elle l’entretien pour imposer son propre agenda qu’elle présente, faussement, comme au-delà de la politique politicienne. Emmanuel Macron s’est à la fois fait élire comme le « leader naturel » du bloc élitaire, mais en s’arrangeant aussi, par son programme piochant à droite et à gauche, pour désamorcer le clivage droite gauche et conserver le pouvoir.

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Pour Emmanuel Macron, cette dépolitisation n’a-t-elle pas tendance à se faire en échange d’une vague promesse de stabilité économique et sociale et que « tout ira bien » grâce, justement au recours à des experts ?

C’est un des travers du technocatisme, le solutionisme. En politique, certains sujets nécessitent discussions et compromis car il n’y a pas de solution, mais l’expert prétend résoudre les problèmes seul. Il ne fait pas de compromis car il a la solution, ce qui lui permet de clore tout débat démocratique.

Malgré tout, cette formule du « en-même temps » lui réussit politiquement. Est-ce parce qu'il a mieux saisi que les autres la dépolitisation du pays et la manière de l'exploiter ?

Oui, Macron a sans doute été, au moins au moment de son élection de 2017, une meilleure analyse de la politique française qu’une partie de ses concurrents : il a compris que la rhétorique technicienne lui permettait de passer au-delà des clivages et des fractures d’une société devenue une recollection d’archipels, pour reprendre l’expression de J Fourquet. Il continue de renvoyer ses adversaires à la marge.

Seulement c’est un peu une victoire à la Pyrrhus : si la dépolitisation fonctionne, c’est que le pays va politiquement assez mal. Le taux d’abstention est élevé, le taux de défiance l’est aussi, ce qui permet à Emmanuel Macron de s’imposer. Les gens n’ont plus confiance dans un personnel politique démonétisé, et que les électeurs sont suffisamment peu nombreux pour désigner des élus qui ne représentent que des franges marginales de la population. Il faut garder à l’esprit qu’il est tête dans les sondages en surfant sur cette dépolitisation, mais a été incapable de voir l’émergence des gilets jaunes qui était une forme de démocratie sauvage. Nous ne sommes pas à l’abri de l’émergence de nouveaux mouvements comme celui-ci, hors du parcours balisé, qui montrent que la situation politique est très fragile.

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Lorsque l'on regarde la volonté d'Eric Zemmour de fonder un nouveau parti, une nouvelle force politique, on pourrait y voir une volonté de repolitiser le débat français en ravivant le débat. Pourtant, après une percée fulgurante dans les sondages, son score se tasse considérablement dans les derniers sondages. Au-delà de cet exemple, pourquoi la repolitisation tentée par certains ne fonctionne pas ?

Il y a chez Eric Zemmour, mais aussi à la gauche de la gauche, notamment chez Mélenchon, la persistance d’un modèle mental commun dépassé : on raisonne avec la grille d’analyse sociale des années 1960 pour comprendre les années 2020. A droite comme à gauche, certains fantasment une France rurale, ouvrière, traditionnel ou fractionnée comme à la grande époque du gaullisme social ou du PCF avec des bases sociales fortes et des clivages tranchés. La nostalgie des clivages idéologiques anciens peu susciter la nostalgie de ceux qui ont connu l’époque comme des nouveaux électeurs attirés par le côté « vintage » de ces offres politiques. Les politiques identitaires sont des politiques post-matérialistes, qui vendent d’abord de l’identité et du récit politique plutôt que des avantages matériels sur le marché politique. Dans ce récit le retour du clivage droite/gauche à l’ancienne tient une place prépondérante. On rejoue la partition du gaullisme, on ressort Péguy et Jeanne d’Arc pour imaginer que la France est la France éternelle. Cette politique de la nostalgie est rêvée, ce qui la rend en total divorce avec la France d’aujourd’hui. La plupart des électeurs ne se contentent pas de storytelling sur la France d’avant, mais veulent aussi en avoir pour leur argent en votant. Pour Éric Zemmour, cela a marché un temps car son talent d’orateur et d’essayiste lui a permis de séduire. Il me semble néanmoins que le base sociale de son programme n’existe plus depuis les années 1960. Plus largement, la repolitisation ne fonctionne pas car l’individualisme est fort, les formations politiques sont dépassées par la réalité sociale d’aujourd’hui : une France post-rurale, post-industrielle qui ne correspond plus aux grandes lignes de fractures idéologiques qui animaient le débat jusqu’à présent.

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