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Le Medef, vraiment libéral ?
Le Medef, vraiment libéral ?
©Reuters

Dialogue social

L’échec de la négociation sur la modernisation du dialogue social a une fois de plus démontré qu’entre l’Etat et la libre entreprise, les organisations patronales représentatives préfèrent toujours le premier par peur de la seconde !

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Moderniser le dialogue social: une idée libérale qui n’a pas plu au patronat

Rappelons d’abord le véritable enjeu de la négociation sur la modernisation du dialogue social – enjeu que les organisations patronales n’ont jamais dévoilé par peur de devoir l’assumer: il s’agissait de créer le cadre juridique permettant aux entreprises de négocier des accords dérogeant au Code du Travail. Pour y parvenir (à cette fameuse inversion de la hiérarchie des normes, comme disent les juristes!), il fallait doter l’entreprise, quelle que soit sa taille, d’instances légitimes (c’est-à-dire de préférence élues) capables de négocier des accords sur la durée du travail ou sur la rémunération moins favorables que la loi ou la convention collective de branche. En un mot, l’enjeu de la négociation était de responsabiliser les chefs d’entreprise et de leur donner le droit d’être au moins aussi forts que leurs députés !

Voilà une idée très libérale qui permettait au gouvernement, de façon assez vertueuse, de satisfaire aux demandes européennes sur la flexibilité du marché du travail sans légiférer sous sa propre responsabilité. Au fond, il s’agissait de demander aux partenaires sociaux de prendre leur destin en main et de négocier une déflation législative et réglementaire salvatrice.

De façon tout à fait révélatrice, la CGPME a d’emblée opposé un tir de barrage à l’économie même de l’accord : pas possible d’envisager un troc entre un affaiblissement du Code du Travail et une amélioration de la représentation des salariés là où elle est la plus défaillante: dans les PME et les TPE.

Le nouveau président de la CGPME, François Asselin, n’a pas dit autre chose dans l’une de ses premières déclarations après sa prise de fonction :

« Nous aurions aimé, dès le départ, que nos amis du Medef comprennent quelle était la position des petites et moyennes entreprises », a déclaré M. Asselin sur Radio Classique.

Dès le départ, un accord était impossible!

Le patronat dans l’injonction paradoxale face à l’Etat

L’échec de la négociation manifeste bien cette injonction paradoxale qui caractérise le patronat français.

D’un côté, il ne se passe pas une semaine sans qu’un responsable patronal ne pleurniche sur l’excès d’Etat, sous toutes ses formes: trop de taxes, trop de charges sur le travail, trop de règles, trop de contraintes, trop d’obligations, trop de pages dans le Code du Travail – bref, l’Etat et ses différents bras armés (dont la Sécurité Sociale) coûte toujours trop cher.

D’un autre côté, le mouvement patronal a une peur bleue d’assumer ses responsabilités et ne veut surtout pas entrer dans un monde où la réglementation tant critiquée cèderait la place à un univers de négociations et de compromis. Il est beaucoup plus agréable de critiquer les équipes qui jouent que de s’inscrire dans le club pour monter soi-même sur le terrain !

En réalité, le patronat français déteste par-dessus tout la liberté qu’il revendique. Sa grande angoisse est de basculer dans un monde libéralisé où les rentes qu’il a construites années après années seraient soudain désertées par un papa Etat devenu absent. Les lecteurs de ce blog savent que j’incrimine régulièrement l’Etat pour l’injection de subventions de tous ordres qu’il pratique auprès des entreprises afin de les maintenir sous domination. Mais le patronat français a démontré au fond qu’il aime cette servitude et que rien ne lui ferait plus horreur que de devoir se sevrer de son addiction à l’étatisme.

La CGPME et ses petites cachoteries

Les défenseurs de la liberté d’entreprendre auraient tout intérêt à se poser quelques questions de fond sur le rôle que la CGPME joue dans le retard français en matière d’innovation, et dans sa capacité à s’adapter à un monde de plus en plus concurrentiel.

Dans le cas de la modernisation du dialogue social, la CGPME, on l’a vu, a mené un tir de barrage contre le principe même de l’accord, sous le faux prétexte du : « On nous demande de répondre à une question qui ne se pose pas. Dans une petite entreprise, le dialogue est quotidien », a affirmé M. Asselin, estimant que cette proposition revenait à « sanctionner, en alourdissant les contraintes sur les plus petites entreprises ».

La CGPME a fait semblant de confondre le dialogue propre à une gestion bien comprise des ressources humaines, et la négociation collective dont l’enjeu est tout autre, à savoir définir des clauses substantielles du contrat de travail. Ce n’est pas par un dialogue quotidien qu’on définit la durée du travail dans l’entreprise, mais par une délibération en bonne et due forme avec ses règles formelles qui garantissent la libre expression de chacun.

Il ne s’est malheureusement trouvé personne au MEDEF pour dire clairement que l’enjeu du dialogue social n’est pas d’instaurer un dialogue quotidien dans l’entreprise, mais bien de formaliser des règles du jeu pour desserrer l’étau imposé par l’Etat. Ce silence montre que, au MEDEF, il n’existait manifestement personne pour porter une vision à long terme de l’assouplissement de notre marché du travail.

Gattaz en voie de lepaonisation

François Asselin s’est fait un plaisir d’ajouter une petite phrase perfide : « le Medef a eu beaucoup de mal à convaincre, au sein même de ses propres adhérents »

Il faisait évidemment allusion à la Fédération du Bâtiment (FFB), qui est restée debout sur le frein pendant plusieurs semaines sur le sujet, par crainte de faire voler en éclat le modèle qui lui tient à coeur: pas de représentation des salariés dans les PME et les TPE, le moins de dialogue social possible, et un grand montage paritaire qui permet de canaliser les syndicats et de mutualiser les risques entre tous les acteurs de la branche. Cette vision à l’ancienne, très éloignée du monde concurrentiel dominant dans la nouvelle économie, est au fond celle qui a fini par s’imposer la semaine dernière..

François Asselin a oublié de préciser que la FFB est aussi adhérente de la CGPME, où elle tient les manettes, et Asselin n’a pas ajouté que la principale raison d’être de la CGPME est de porter les discours de la FFB et de l’UIMM (aussi adhérente de la CGPME) lorsque le MEDEF ne veut pas les endosser. Dans ce petit monde où tout le monde se tient par la barbichette, le gouvernement doit se mordre les doigts d’avoir naïvement (et sans raison objective) concédé à la CGPME 40% des ressources paritaires levées par le fonds mis en place au 1er janvier 2015.

De façon plus inquiétante, on notera que Gattaz compte de moins en moins d’alliés au MEDEF

Dans le cas de la modernisation du dialogue social, la FFB a gagné son bras-de-fer. Mais les experts du jeu social auront noté que la FFB a noué une alliance de circonstance avec le deuxième contributeur du MEDEF… la Fédération Bancaire Française (FBF) pour lutter contre la pénibilité. Jusqu’il y a quelques semaines, Pierre Gattaz s’interrogeait sur la loyauté ou le soutien de certains de ses adhérents. Il a désormais la réponse à ses questions.

Au-delà de l’anecdote, cette division profonde du MEDEF illustre les dégâts causés par une crise économique disruptive. On se demande combien de temps le MEDEF pourra durer dans ses conditions. Son destin risque bien d’être celui de la CGT, tiraillé entre modernistes et réactionnaires, avec un président mal préparé à cet affrontement.

Des dégâts majeurs pour l’économie française

Dans tous les cas, on regrettera le nouveau retard que la France vient de prendre dans l’adaptation de ses règles au monde contemporain.

Naïvement, certains pensent qu’un combat se livrent entre patrons et prolétaires. Mais on vient bien que, dans les deux bords, il existe une force de traction qui pousse à l’adaptation, et une force de résistance qui se bat pour maintenir coûte-que-coûte un cadre juridique et social obsolète.

Il est temps que les partisans de la modernité se rassemblent pour relancer l’économie française.

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