La "fille bien" et la "putain"… Cette double exigence sociétale qui pousse les adolescentes à envoyer des selfies nues à leur copain <!-- --> | Atlantico.fr
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Envoyer un selfie dénudée est devenu une norme dans le processus de séduction des adolescents français.
Envoyer un selfie dénudée est devenu une norme dans le processus de séduction des adolescents français.
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(Dé) couvrez ce sein...

Juliette, 15 ans, s'est donné la mort après la publication de selfies dénudés sur les réseaux sociaux, qu'elle avait envoyés à un ex petit ami. Un sondage vient par ailleurs de révéler que 81% des filles de 15 à 19 ans se sentaient oppressées par le fait que leur copain leur demande avec insistance de leur envoyer des selfies nues ou en tenue très légère. Alexandre Ray, oncle et parrain de Juliette, en appelle à la ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem : "Je vous supplie de vous saisir de cette affaire. Que cette mort ne reste pas impunie, mais serve d'exemple sur les ravages des réseaux sociaux et du harcèlement moral."

Dan Véléa

Dan Véléa

Le Docteur Dan Véléa est psychiatre addictologue à Paris.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les addictions, dont Toxicomanie et conduites addictives (Heures-de-France). Avec Michel Hautefeuille, il a co-écrit Les addictions à Internet (Payot) et Les drogues de synthèse (PUF, Que sais-je ?, Paris, 2002).

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Pauline  Escande-Gauquié

Pauline Escande-Gauquié

Pauline Escande-Gauquié est sémiologue, auteur de "Tous Selfie!",  publié aux éditions François Bourin.

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Mathilde Debry : Un sondage (voir ici) vient de démontrer que 81% des filles de 15 à 19 ans se sentaient oppressées par le fait que leur petit ami leur demande avec insistance de leur envoyer des selfies nues ou en tenue très légère. Avez-vous déjà entendu des jeunes filles se plaindre de ce genre de problèmes lors de vos consultations ?

Dan Véléa : Oui, bien sûr, et ce de plus en plus. Je soigne régulièrement des adolescentes qui se font harceler sur les réseaux sociaux. Des selfies érotiques ou quasi-pornographiques rendus publics sur les réseaux sociaux par un ex petit copain qui n'a pas supporté de se faire larguer par exemple détruisent parfois complètement l'e-reputation et la personnalité de jeunes adolescentes, qui sont à un âge où elles sont par nature psychologiquement très fragiles.

Certaines font alors des dépressions sévères, qui peuvent dans certains cas aller jusqu'au suicide, même si je n'ai heureusement pas encore connu de tels cas au cours de mon expérience professionnelle.

Comment expliquer que les jeunes filles cèdent à cette demande alors qu'elles se disent mal à l'aise ?

Pauline Escande-Gauquié : Ces adolescentes sont soumises à une injonction paradoxale de la société française actuelle.

D'un côté, la diffusion de selfies érotiques par des stars suivies par des milliers d'adolescentes sur les réseaux sociaux telles que Kim Kardashian, Miley Cyrus ou Rihanna, les héroines ultra-sexy de la téléréalité et l'accès aux sites pornographiques dès le plus jeune âge ont complètement banalisé le phénomène, qui est devenu une norme dans le processus de séduction des adolescents. En d'autres termes, si une jeune fille refuse d'envoyer un selfie nue à son petit copain, celui-ci ne comprendra pas le motif du refus et mettra probablement un terme à leur relation. Au même titre qu'aller au cinéma ou à la patinoire, le selfie érotique voire pornographique est devenu une sorte de passage obligé, et l'adolescente qui ne joue pas le jeu se coupe de nombreuses relations sentimentales potentielles.

D'un autre côté, les adolescentes se disent mal à l'aise car le cliché de la "fille bien", qui ne couche pas avec beaucoup d'hommes, qui se maquille peu, qui ne s'habille pas de manière sexuellement provocante est encore très ancré dans les mentalités françaises.

Les adolescentes d'aujourd'hui sont donc amenées à se "sur-sexualiser" dans le monde virtuel alors qu'elles ne souhaitent pas forcément l'être dans la vie réelle, ce qui les amènent à devoir répondre à une injonction sociétale et personnelle très paradoxale.

Juliette, 15 ans, s'est donné la mort après la publication de ses selfies dénudés. Son petit ami l'aurait menacée de la décrire comme une "salope" si elle ne lui envoyait pas un selfie dénudée. Pourquoi les jeunes hommes considèrent-ils ces clichés comme un dû ?

Pauline Escande-Gauquié : Comme je vous l'ai expliqué plus haut, ce sont des demandes qui se sont complètement banalisées. Les adolescents ne comprennent donc pas le motif du refus, ce qui les pousse parfois à avoir des attitudes très agressives.

Dan Véléa : Les adolescents qui formulent ce type de demandes sont généralement des garçons qui manquent de confiance en eux. Avoir une photo de sa copine nue fortifie selon eux leur virilité. Il considèrent donc normal que leur copine les aide à avoir confiance en eux, et s'énervent quand elle refuse d'envoyer le fameux selfie, car ils le prennent comme un manque d'attention.

La mère de la jeune Juliette disait pourtant surveiller les actions de sa fille sur les réseaux sociaux, en consultant régulièrement sa page Facebook par exemple, lui demandant de retirer des photos où elle apparaissait trop maquillée. Comment protéger son adolescente des ravages que peut provoquer le harcèlement moral sur les réseaux sociaux ?

Pauline Escande-Gauquié : C'est compliqué, car contrairement à des époques beaucoup plus machistes, personne n'oblige ces jeunes femmes à se mettre en scène sans arrêt sur les réseaux sociaux et à prendre et envoyer des selfies sexy à leur petit copain. Elles le font d'elles-mêmes, parce que c'est la norme et qu'elles n'ont pas conscience que ce qui relève tacitement d'un contrat d'exclusivité peut tomber d'un coup dans le domaine public. -Il faut donc leur expliquer les risques qu'elles prennent à jouer ainsi de leur image, les bases du respect de la vie privée et du droit à l'image, et pour ce qui est de la pression masculine, leur rappeler le combat des féministes des années 60 : "C'est mon corps, et j'en fais ce que je veux, ou pas".

Il faut que les adolescentes comprennent que leurs selfies dénudés ne sont pas des clichés normaux, comme veut leur faire croire la société actuelle, mais des clichés à risque mis en ligne par une très petite quantité de personnes (les stars, les vedettes de la téléréalité), qui sont complètement hors de toute vie réelle.

Plus généralement, pensez-vous qu'il faut intégrer la dimension des réseaux sociaux dans l'éducation sexuelle à l'école ?

Pauline Escande-Gauquié : Oui, et ce dès la sixième, car c'est souvent à cet âge que les pré-adolescents reçoivent leur premier smartphone, tablette, ordinateur...

Comment punir les adolescents auteurs de harcèlement moral sur les réseaux sociaux ?

Pauline Escande-Gauquié : Il faut jouer sur le droit à l'image et l'atteinte à la vie privée, comme dans les affaires de célébrités qui attaquent les paparazzis.

Propos recueillis par Mathilde Debry

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