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La faute à Freud : la lourde responsabilité du père de la psychanalyse moderne dans l’incompréhension du désir féminin
©REUTERS/Tomas Bravo

Imbroglio

Dernier épisode de notre série "sexualité féminine". Les théories freudiennes, profondément ancrées dans notre société, sont de plus en plus souvent remises en cause et pourraient avoir une longueur de retard sur la réalité des désirs féminins.

Philippe Laporte

Philippe Laporte

Philippe Laporte est autodidacte en matière de psychologie sexuelle. Il s'est notamment penché sur les théories de Freud et est l'auteur de "L'érotisme ou le mensonge de Freud". Il a également un site internet www.philap.fr

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Atlantico : Quelles sont les théories freudiennes sur les femmes et leur sexualité ? En quoi celles-ci sont-elles erronées ?

Philippe Laporte : Pour faire au plus simple, si vous cherchez vraiment à comprendre comment et pourquoi le désir sexuel prend naissance dans l'inconscient, ce que prétend expliquer Freud par sa théorie, vous vous apercevrez que cette théorie n'a aucun pouvoir explicatif. Bien au contraire, elle ne fait qu'embrouiller les choses, essentiellement parce qu'elle part de postulats curieux et apparemment sortis de nulle part (en réalité c'est de l'ordre moral patriarcal biblique qu'ils sont issus).

Premier postulat, les jeunes enfants seraient des êtres démoniaques uniquement occupés à faire souffrir leurs éducateurs, à détruire et à posséder avarement, c'est le "stade sadique-anal". Pourquoi cette tendance? Nul ne le sait.

Puis soudain, second postulat inexpliqué, ce penchant sadique irrépressible se mue en générosité vertueuse chez les garçons, mais pas chez les filles. Les petits mâles, qui éprouvent soi-disant une vive horreur accompagnée d'effroi pour la région génitale féminine privée de pénis, n'ont alors de cesse d'offrir ce qui leur est le plus cher, leur précieux pénis, à ces êtres amputés qui ne leur inspireraient qu'effroi et horreur.

Au passage on aura noté deux autres postulats inexpliqués : l'étalon universel de la valeur positive est le pénis, et il explique à lui seul toute la sexualité féminine, tandis que l'étalon universel de l'horreur et de l'effroi est le sexe féminin. La "raison" en serait que le pénis est plus gros que le clitoris, alors qu'ils ont pourtant le même pouvoir érogène. Et Freud va jusqu'à en conclure l'impossibilité d'éduquer les femmes, car la seule méthode éducative dont il semble avoir connaissance est la menace de castration, qui ne s'applique pas aux filles. Il n'hésite pas à conclure de cette soi-disant impossibilité de les éduquer leur moindre sens moral!!

Ces idées semblent tout droit issues de la misogynie médiévale, quand les femmes étaient des sorcières, et on se demande comment de tels archaïsmes peuvent encore être pris au sérieux aujourd'hui plus de quelques secondes.

La théorie des pulsions est incapable d'expliquer pourquoi les hommes sont attirés par la région génitale féminine qui est au contraire censée ne leur inspirer qu'effroi et horreur. Ni pourquoi les hommes sont attirés par ces femmes que Freud s'attache tant à déprécier dans ses écrits. Sa théorie n'explique pas davantage pourquoi les femmes sont attirées par les hommes et leur précieux pénis, que Freud pare de toutes les vertus mais d'une façon qui n'a rien de convaincant. Elle n'explique pas non plus pourquoi la séduction est indispensable à l'excitation érotique, ni pourquoi l'amour se greffe le plus souvent sur les relations sexuelles, ni pourquoi un viol est traumatisant, etc. 

Quelle est la place de ces théories dans notre société ? Leur présence explique-t-elle une certaine méconnaissance de la sexualité féminine ?

Les théories freudiennes ont commencé par jouer un rôle positif en psychiatrie, car il a accordé un sens à la parole des névrosés, il les a écoutés. Il n'a pas été le premier à le faire, mais il a popularisé cette méthode, et en cela il a révolutionné la psychiatrie dans un sens positif. Cela explique en partie son importance dans l'histoire et cela explique que son influence se ressente encore aujourd'hui. Le tort qu'il a eu, bien entendu, a été d'interpréter, et de façon fort tendancieuse, ce que lui disaient les névrosés, au lieu de les écouter réellement. Là par contre il a joué un rôle négatif.

Mais ses théories sur la sexualité un joué un rôle bien plus négatif encore. Il faut avoir conscience que la théorie des pulsions demeure à ce jour, la seule proposant une explication à la genèse inconsciente du désir sexuel. Cela semble incroyable mais c'est ainsi, aucune autre théorie n'a jamais été proposée en un siècle pour expliquer le désir sexuel. Or, la théorie freudienne, si elle peut encore séduire une partie du public, ne peut plus depuis longtemps être prise au sérieux par la science, c'est à dire les neurosciences et les sciences cognitives. Et le résultat est désastreux. Cette théorie fantaisiste tout droit sortie du Moyen-Âge, et nécessairement rejetée par la science, a réussi le prodige de discréditer non pas la réponse erronée qu'elle apporte à une question fondamentale, "pourquoi désirons-nous?" mais la question elle-même! La question fondamentale de la genèse du désir sexuel est aujourd'hui considérée comme ne faisant plus partie de la science, c'est cela qui est dramatique dans le rôle qu'a joué Freud. Si vous dites que vous travaillez sur l'inconscient sexuel, sur la genèse du désir sexuel, on vous répond "vous êtes freudien", j'en ai fait l'expérience, et la science se désintéressera de votre travail. Cela explique évidemment la méconnaissance actuelle de la psychologie sexuelle inconsciente, et pas seulement féminine, puisque ce n'est plus un sujet de recherche.

Selon Freud, l’orgasme vaginal serait accessible uniquement aux femmes s’étant développées de façon équilibrée, tandis que les autres resteraient "condamnées" à la seule stimulation clitoridienne. Est-il vrai qu’en matière de sexualité, comme l’affirme la féministe Lili Hsieh, Freud associe féminité et passivité ?

Freud, grand misogyne devant l'Éternel, ne se préoccupe que du plaisir masculin. Il ne serait pas prêt à faire le plus petit effort pour satisfaire sa partenaire en stimulant son clitoris, même s'il se prive en cela du plaisir ressenti à la faire jouir. Pour lui, les femmes qui revendiquent un plaisir clitoridien sont hystériques. Pour situer les choses, il faut se souvenir par exemple de la sinistre affaire Emma Eckstein. Alors que cette jeune et jolie patiente venait simplement le consulter pour des règles douloureuses, il parvint à lui extorquer l'aveu qu'elle se masturbait. Il la déclara aussitôt hystérique et n'hésita pas à la faire opérer, (du nez!!) sans autre motif, par son ami et charlatan Wilhelm Fliess, qui manqua de la tuer par son incompétence et la défigura à vie.

C'est cela le personnage de Freud. Il était génial certes, mais il n'était qu'un génial "imposteur" imprégné d'une gigantesque misogynie, qui associait effectivement féminité et passivité, mais aussi féminité et perversité, féminité et culpabilité. Il était très imprégné de cet ordre moral biblique patriarcal qui pare les hommes de toutes les vertus et accable les femmes et les enfants de tous les vices.

Si nombre de ces explications sont fausses, pourquoi a-t-il encore autant d'adeptes, et pourquoi cherche-t-on coûte que coûte à légitimer son travail ?

Toute une profession lucrative est assise sur l'édifice des théories freudiennes et il est facile de comprendre qu'elle le défende avec la dernière énergie. Cette profession jouit d'un monopole mondial dans le domaine de l'inconscient sexuel depuis un siècle puisque la science lui laisse le champ libre en refusant de s'intéresser au sujet. Le problème est de comprendre comment nous en sommes arrivés là.

En réalité, Freud a eu de la chance car il est arrivé au moment où, avec les progrès du rationalisme, la population commençait à se détourner des prêtres pour s'adresser aux médecins lorsqu'elle cherchait des conseils sur la morale sexuelle. Et son génie a été de retranscrire en termes médicaux le bon vieil ordre moral patriarcal issu de l'Ancien Testament. Cela lui a permis d'apporter au public les réponses qu'il attendait sur la morale sexuelle dans un langage médical et plus dans un langage religieux. Mais ces réponses étaient les mêmes.

Son discours a séduit de façon fantastique parce qu'il a feint de renverser cet ordre moral, ce qui a trompé les progressistes de l'époque, en osant parler de ce dont il était interdit de parler dans cette société puritaine. Cependant, il a reconstruit un ordre moral absolument identique à celui qu'il avait feint de renverser parce que la société de l'époque était encore puritaine et pas du tout prête à accepter un changement dans la morale sexuelle. Le puritanisme n'a réellement pris fin que dans les années 1960 avec la pilule et Freud était déjà mort depuis plus de 20 ans.

La révolution freudienne était donc une révolution conservatrice. Elle avait tous les ingrédients pour rencontrer le succès jusqu'à la fin de la période puritaine. Elle n'a survécu 40 ans à cette période en réussissant à tromper même les progressistes que parce qu'elle était déjà trop bien implantée et que les idées évoluent lentement. Freud est un théoricien de la philosophie et de la morale sexuelle et pas de la science. C'est ce qui explique que ses idées fausses n'aient pas eu à se confronter à l'expérience scientifique, qui évite le sujet.

Mais mon point de vue est qu'il n'est aujourd'hui pas possible de rejeter la théorie des pulsions sans en construire une autre plus vraisemblable et débarrassée de ces absurdes a priori misogynes. 

Propos recueillis par Manon Hombourger

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