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La dénonciation de l’antisémitisme prise en otage par la rhétorique progressiste devenue folle
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Axe du bien

On le constate semaine après semaine : l’époque est à l’hystérisation de la parole publique.

Anne-Sophie Chazaud

Anne-Sophie Chazaud

Anne-Sophie Chazaud est essayiste et chroniqueuse. Auteur de Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure, aux éditions de l'Artilleur, parution le 23 septembre 2020. 

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Plusieurs paramètres concourent à cette hystérisation : les réseaux sociaux bien sûr, qui accentuent les affrontements et les postures d’affichage. Des médias-spectacles qui se nourrissent de buzz, de punchlines tapageuses et racoleuses, rabaissant dans leur sillage de nombreux medias de qualité au statut effectif de tabloïds surexcités. Mais surtout, l’accentuation délibérée des clivages politiques à travers une communication « progressiste » devenue folle et qui aiguise ses éléments de langage les plus dévastateurs à des fins délibérément clivantes.

De quoi s’agit-il exactement ? La campagne électorale, l’élection puis l’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron se sont effectués dans l’exacerbation d’un clivage manichéen moteur du barragiste (le fameux « vote castor »), entre d’un côté le camp du Bien, autoproclamé progressiste, ouvert, mondialiste et supranational, et le camp du Mal incarné par tous les autres. Ce qui fait beaucoup de monde. Sont englobés, les épouvantails traditionnels de la droite patriote, Rassemblement national et Debout la France naturellement en tête, mais  par contamination réticulaire on finit par y retrouver tous ceux qui acceptent peu ou prou de parler avec la droite patriote ou d’en reprendre certaines idées (touchant notamment aux questions migratoires) ; puis la contagion s’étend un peu plus encore à tous ceux qui, de droite comme de gauche, contestent le mondialisme et l’idéologie néo-libérale à travers notamment sa forme européiste ; enfin le mal se répand sur ceux qui défendent les travailleurs et le peuple puisque ceux-ci abordent tôt ou tard la question du dumping social et donc des frontières (et rappelons que les frontières, c’est mal). Autant dire que tous les souverainistes de quelque bord qu’ils soient ont tôt fait de se retrouver assignés du côté des méchants, pas même des adversaires politiques mais bel et bien des ennemis, dans cette vision sommaire de la réalité qui n’a rien à envier aux réductions imbéciles qui caractérisèrent la partition du monde selon les George Bush père et fils.

Cette rhétorique sommaire, déconcertante de simplisme, a ceci de désolant qu’elle fonctionne. Du moins, elle a fonctionné pour l’élection d’Emmanuel Macron, laquelle n’a de ce point de vue que prolongé le socle idéologique du gauchisme culturel dont il était l’enfant chéri avant d’en devenir l’enfant ingrat, mais l’enfant tout de même : ceux qui ne pensent pas comme nous sont des « fachos », des racistes, des repliés-sur-soi, des Gaulois réfractaires, d’abominables nationalistes, des xénophobes, des passéistes. Et s’est ainsi discrètement mais sûrement imposée l’idée que cette forme de mondialisation, pour perdurer alors même qu’elle est battue en brèche en de nombreux points du globe par un nombre croissant de peuples révoltés, était du côté de l’avenir et du progrès. Alors même qu’il s’agit de protéger des structures existantes et d’en assurer la survie, on a prétendu que la poursuite du système néolibéral était la voie de l’avenir et du progrès, et inversement les mouvements de renouveau populaire étant, eux, rétrogrades et passéistes.

Au clivage entre les bons et les mauvais s’est donc ajouté en surimpression un second clivage hystérisant entre les passéistes supposés et les prétendus progressistes.

Ce système rhétorique et ce catéchisme moralisateur sont le ciment indispensable à la majorité et à l’exécutif LREM, ce qui explique qu’ils soient régulièrement réactivés en tant que de besoin et notamment à chaque échéance électorale, puisque cela fonctionne sur un électorat volontiers culpabilisé et qui se laisse manipuler.

Toutefois, la méthode commence à être un peu éculée et le procédé peu discret à force d’utilisation. Le niveau d’hystérisation a donc clairement été relevé d’un cran ces dernières semaines :  le simple soupçon de « racisme » ou de « fascisme » ne suffisant plus, le pouvoir et ses sympathisants usent désormais sans le moindre scrupule, sans pudeur et sans retenue de l’accusation d’antisémitisme envers quiconque leur apporte la contradiction, tactique particulièrement perverse et dangereuse.

Cette accusation est portée envers les deux principaux points qui mettent la majorité en difficulté, à savoir les Gilets Jaunes et le jugement critique porté sur l’Union européenne.

Concernant les Gilets Jaunes, on a pu voir comment la présence regrettable de quelques énergumènes soraliens et dieudonnistes parmi les manifestants a été instantanément récupérée par la majorité, par ses sympathisants et par de nombreux médias afin de discréditer par contamination l’ensemble du mouvement de contestation sociale. Manipulation grossière qui a sans doute fonctionné sur certains esprits faibles ou paranoïaques. On a vu Emmanuel Macron lors du « débat » public de Bourg-de-Péage prétendre que les personnes qui, parmi les gilets jaunes, le critiquaient pour avoir appartenu à la banque Rothschild, seraient suspects, pas bien clairs, bref, nauséabonds et habités de « relents » qu’il « n’aime pas beaucoup » (tout est dans l’allusion et la connotation implicite). Sauf qu’on comprend mal en quoi critiquer la haute finance et le système bancaire qui le caractérise serait un symptôme d’antisémitisme. Que certains illuminés fassent un tel rapprochement ne doit pas empêcher quiconque de pouvoir critiquer un système financier hors sol et se réfugier derrière ce hideux paravent n’est évidemment pas honnête de la part du pouvoir.

Pas honnête non plus le fait d’invoquer l’antisémitisme et ses relents supposés pour faire campagne en faveur d’une certaine conception de l’Union européenne. Le président Macron a ainsi qualifié de « complices des crimes du passé » (rien de moins) ceux qui s’en prenaient de manière critique (immédiatement d’ailleurs qualifiée de mensongère) au Traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle. Cette accusation aussi grave qu’insupportable, polarise le débat –en réalité inexistant-- afin de criminaliser toute pensée d’opposition à la vision gouvernementale et supranationale. L’accusation a un but simple : rendre le débat contradictoire et donc l’exercice démocratique de l’opposition des idées tout simplement impossible. Que dire de la ministre des Affaires européennes Nathalie Loiseau, ancienne directrice de l’ENA, commettant un tweet aussi stupide que grave dans lequel un enfant explique que sa grand-mère devait porter l’étoile juive mais qu’il a la chance, lui, de porter les étoiles du drapeau européen (sous-entendu : les opposants à l’Union européenne sont nazis). On le voit, l’élément de langage a bien circulé. Le comble est atteint lorsqu’il devient impossible de s’en prendre à certaines personnes, aussi contestables et risibles soient-elles, comme Bernard-Henri Lévy qui s’illustre tous les jours par son battage et sa morgue anti-gilets jaunes : aussitôt fuse la redoutable accusation d’antisémitisme, voire pire lorsqu’elle est accompagnée des glapissements hystériques d’une Christine Angot possédée, comme a pu l’expérimenter Charles Consigny sur le plateau de Laurent Ruquier. Il y aurait désormais des intouchables (BHL, Attali…), relais de la parole du pouvoir et que l’on n’aurait plus le droit de critiquer au motif que cela serait antisémite.

Mais quelle sinistre injure faite aux Juifs que de les réduire ainsi à quelques figures, que de les assigner à résidence identitaire en sorte qu’on ne puisse plus même débattre de rien ! Quelle terrible injure faite à l’Histoire et à la mémoire de la Shoah, que de s’en servir pour exécuter les plus basses œuvres de l’instrumentalisation et de la communication politique (ce qui s’appelle très exactement de la propagande) !

Et si combattre vraiment l’antisémitisme, consistait plutôt à ne pas rapatrier sur le sol national tous ces djihadistes détenus par les combattants kurdes que nous avons eu l’indignité d’abandonner, comme le souhaite Monsieur Castaner, puisqu’on sait bien que c’est l’islamisme qui est le principal pourvoyeur d’antisémitisme contemporain ? Si c’était cela, ne pas être antisémite, en 2019 ?

 Mais alors, il faudrait sortir du domaine des fantasmes et de l’instrumentalisation pour entrer dans la réalité.

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