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Quels sont actuellement les facteurs observables de déglobalisation pouvant contribuer à l’inflation ?
Quels sont actuellement les facteurs observables de déglobalisation pouvant contribuer à l’inflation ?
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Carburant de la hausse des prix

Certains économistes considèrent qu’un monde en phase de déglobalisation a tendance à générer des poussées inflationnistes.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : Certains économistes, à l’image de Rana Foroohar pour le Financial Times, estiment qu’un monde en instance de déglobalisation sera probablement un monde aux tendances inflationnistes. Quelle corrélation peut être faite entre déglobalisation et inflation ?

Jean-Marc Siroën : Le raisonnement est simple à défaut d’être rigoureux et pleinement convaincant. Pendant la période de globalisation, c'est-à-dire lors de ces 30 dernières années, le monde n’aurait pas connu l’inflation. A contrario, la démondialisation alimenterait l’inflation. Mais la relation globalisation-inflation n’est ni claire, ni univoque et l’hypothèse de base est erronée : l’inflation n’a jamais disparu, loin de là, mais elle s’est éloignée de nos vies quotidiennes en se portant sur les actifs (financiers, immobiliers,…). D’une certaine manière, dans un contexte d’expansion monétaire, la globalisation financière - et pas seulement la mondialisation commerciale, comme l’avance Rana Foroohar - a permis de déplacer l’inflation avec pour conséquence, une instabilité financière et une montée des inégalités de patrimoine.

C’est donc moins la « déglobalisation » qui serait directement responsable de l’inflation actuelle qu’une série d’évènements non strictement économiques : crise sanitaire, guerre en Ukraine. Certes on trouvera beaucoup de monde pour affirmer que la globalisation est à l’origine de tous ces maux, ce qui, sans être totalement faux, serait tout de même extrêmement réducteur !

Ce qui peut accélérer l’inflation ce n’est pas directement la « déglobalisation », mais la prise de conscience de l’insécurité dont les conséquences seraient amplifiées par la globalisation, que les risques soient sanitaires, politiques, sociaux ou climatiques. Ce constat, ne condamne pas la globalisation, mais il implique de très sérieux ajustements afin que celle-ci s’expose moins aux risques et même qu’elle contribue à mieux les gérer notamment par la diversification des approvisionnements et des marchés ce que ne permettrait pas un repli sur soi (imaginons les effets d’une sécheresse dans un pays autarcique en matière agricole !). La dépendance de l’Allemagne au gaz russe est la caricature d’une forme de globalisation à oublier. C’est donc davantage la finalité de la globalisation qui doit être revue à l’aune de l’insécurité croissante, que la globalisation en tant que telle : moins de concurrence par les prix et meilleure gestion des risques.

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Quels sont actuellement les facteurs observables de déglobalisation pouvant contribuer à l’inflation ?

Pour l’instant on observe moins de mouvement massif et significatif de « déglobalisation » qu’à des ajustements de court terme dont tous ne seront pas pérennes. Ainsi, l’Allemagne n’importe pas moins d’énergie mais à un prix plus élevé et la France est allée chercher son huile de tournesol en Roumanie… Il est vrai qu’à côté de cela, des discours, parfois appuyés par des « plans » plus ou moins financés, préparent le monde futur. À court terme ils n’agiront sur les prix qu’indirectement, via des déficits budgétaires alors même que les banques centrales devraient rendre l’argent un peu moins facile.

Le fait déclencheur de l’inflation actuelle n’a pas été la globalisation, mais la crise sanitaire. La grille de lecture soi-disant « keynésienne » qui a été faite au début de la crise fut un contresens total car ce n’était pas l’insuffisance de demande qui était à craindre mais son excès (par rapport à l’offre). Les restrictions sanitaires ont ainsi conduit à la chute de la production et à des goulots d’étranglement dans la chaîne mondiale de valeur. L’impossibilité de consommer a conduit à une accumulation d’épargne « forcée » qui, lorsqu’elle a pu être libérée, s’est déversée sur les marchés avant même que la production soit en mesure d’y répondre. En réalité, comme je l’écrivais dès le début de la crise sanitaire, nous étions entrés dans une forme d’économie de guerre faite de pénuries, de rationnement, d’épargne forcée et qui, la paix revenue, se terminerait par l’inflation. Pour ne rien faciliter, cet « écart inflationniste » entre l’offre et la demande a été creusé par des plans de relance prématurés. J’insiste sur le fait que si la guerre en Ukraine a amplifié l’inflation, elle ne l’a pas créée.

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Les sévères corrections qui doivent être apportées au modèle passé de globalisation – qu’on peut qualifier de « déglobalisation » si on veut - coûteront cher dans la mesure où la recherche de prix bas s’estompera au profit d’achats et de sources d’approvisionnement plus sûrs. Diversifier pour réduire le risque politique et climatique conduira à accepter des prix plus élevés au profit d’une plus grande sécurité. De même en matière de commerce international, de nouvelles exigences sanitaires, écologiques, sociales, etc. auront inévitablement un coût pour les consommateurs.

Cela dit, en eux-mêmes, ces surcoûts, s’ils ne sont pas compensés par d’autres types de gains (productivité par exemple) impliquent un appauvrissement des populations (d’autres parleront de sobriété) mais pas nécessairement l’inflation même si, dans l’histoire, celle-ci a souvent été un moyen commode d’équilibrer les choses.

Est-il possible de relever les défis qui se présentent à nous actuellement sans alimenter le moteur de l’inflation ?

À court et moyen terme, casser l’inflation c’est réduire l' écart inflationniste entre l’offre trop faible et la demande trop forte. Dans un monde qui reste globalisé cet écart doit être vu au niveau mondial et les politiques nationales doivent se contenter de sparadraps. Vu l’état actuel des relations internationales, il faut hélas oublier l’idée de politiques coordonnées au niveau mondial.

Jusqu’à il y a quelques mois, grâce au soutien des banques centrales, la politique a visé l’offre pour maintenir les entreprises à flot ce qui s’accompagnait mécaniquement d’un soutien plus ou moins direct à la demande (le « quoiqu’il en coûte » en France visait l’un et l’autre) avec l’illusion qu’une demande soutenue accélérerait la reprise de l’offre ce qui a finalement contribué à alimenter l’inflation.

Faute d’être parvenu à accroître suffisamment la production, la tentation est forte aujourd’hui d’agir sur la demande via la politique monétaire. Le taux d’intérêt réel (différence entre le taux nominal et le taux d’inflation) reste néanmoins négatif ce qui, en période d’inflation, est une anomalie. Aujourd’hui, les taux d’intérêt réels sont même plus bas que pendant la crise sanitaire ! Ce qui empêche leur relèvement, c’est la crainte d’une crise économique, similaire à celle qu’avait déclenchée dans les années 1980 le Président de la Fed, Paul Volcker. La vertigineuse hausse des taux d’intérêt avait alors créé la récession et la montée du chômage. Une telle politique risquerait aujourd’hui d’être pire encore. D’une part, elle pourrait atteindre non seulement la demande mais aussi la production sans réduire l’écart inflationniste. Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt risquerait de déclencher une crise financière de type 2008 (y compris une crise de la dette souveraine pour certains pays). N’oublions pas non plus que si l’inflation crée une multitude de problèmes, elle a un néanmoins un avantage : elle diminue la valeur réelle de la dette et, d’une certaine manière, solde les libéralités accordées par les banques centrales aux banques et aux États pendant la crise.

Les optimistes ont quelques arguments à faire valoir. Ils peuvent compter sur la flexibilité du système économique pour trouver des solutions aux pénuries, constater que le prix des biens critiques, notamment les matières premières, réagit fortement à la demande et qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’aller jusqu’à la récession pour faire chuter les prix. Et puis, si le ralentissement économique chinois – gros demandeur de matières premières et de composants se confirmait, les marchés se calmeraient…

Après tout, après avoir trop longtemps nié l’inflation, les économistes seraient bien capables aujourd’hui de la surestimer !

Quoi qu’il en soit, à moyen terme, on ne s’exonérera pas d’une révision du mode d’insertion des pays dans l’économie globale qui pèsera nécessairement sur le pouvoir d’achat des populations.

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