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La canicule, nouvel objet politique non identifié qui fait vaciller la société française (et comment éviter la double peine pour les plus fragiles…?)
©DAMIEN MEYER / AFP

Chaleurs extrêmes

La canicule est devenu un sujet politique et médiatique à part entière, ce qui confirme la tournure irrationnelle et extrême du débat sur l'environnement.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico : La question écologique semble être entrée dans une nouvelle ère dans le débat politique français, surtout en ce temps caniculaire. En quoi cette question est-elle devenue un des sujets centraux du domaine politique et médiatique ?

Bruno Cautrès : Il y a très clairement une prise de conscience forte des Français, comme de nombreux européens, d’une urgence climatique et environnementale. Mais tout cela ne date pas d’aujourd’hui et ce sont des tendances de fond des opinions publiques européennes et même mondiales. Mais une fois dit cela on n’a toujours rien dit…On voit que dès qu’il s’agit de mettre en balance l’urgence écologique et l’urgence sociale, les points de vue commencent à se nuancer et à se diversifier. L’idée d’inverser la priorité en faveur de l’écologie est plus forte mais moins soutenue que l’idée de « verdiser » les programmes socio-économiques par exemple. De même lorsque l’on demande aux Français ce qu’ils seraient prêts à faire par eux-mêmes comme action ou comme modification de leur mode de vie pour mieux protéger la planète (par exemple ne plus prendre l’avion), là encore on voit que les choses sont moins simples. Cela ne veut pas dire que la prise de conscience de niveau général n’a pas débouché sur des réalités de la vie tous les jours et sur une demande de vivre différemment qu’il y a 30 ou 40 ans. Cela veut simplement dire que traduire en actes les demandes et la prise de conscience est une tâche de longue haleine, même si l’on bien que nous ne vivrons plus dans les décennies qui arrivent comme avant.

Laurent Alexandre : Je citerais Bruno Latour : "L'apocalypse c'est enthousiasmant". Dans le débat médiatique, avec la place des réseaux sociaux, sortir du bruit est devenu extraordinairement difficile. La surenchère et l'hystérisation du débat écologique est un moyen de vendre des bouquins, de passer dans les médias. Fred Vargas a affirmé que 4 milliards d'êtres humains allaient mourir de façon certaine dans les prochaines années si l'on dépassait les 1,5°C d'augmentation de la température. De la même façon, comme l'a répété l'ancien ministre de l'écologie Yves Cochet, il y a 50% de chance que l'humanité disparaisse complètement dans les prochaines années.

On est donc passé d'un discours climatique passionné mais raisonné à un discours apocalyptique de nature religieuse : un discours de fin du monde qui attire énormément de public, c'est ce qui le rend attirant pour les gens en mal d'audiences.  

Quelles sont les différences d'intensité de la demande écologique en fonction des différentes catégories de l'électorat, aussi bien politiquement que sociologiquement ? 

Bruno Cautrès : Si l’on regarde les préoccupations en matière écologique pour le dernier scrutin européen, on voit que parmi les principaux enjeux cités par les Français comme motivation de vote, la lutte contre le réchauffement climatique arrive en premier ou à égalité avec la lutte contre le terrorisme, la maîtrise des flux migratoires, la lutte contre le chômage. La lutte contre le réchauffement climatique et la protection de l’environnement est néanmoins davantage mise en avant par les électeurs potentiels de EELV, bien sûr, mais aussi l’électorat centriste du Modem ou de la République en Marche. C’est néanmoins également un thème fortement soutenu par les électeurs potentiels de la France insoumise et du PS. Sociologiquement, la thématique environnementale n’est pas que la caricature que l’on pourrait en donner d’une thématique de « la France qui va bien », de la « France des bobos », c’est nettement plus subtil et complexe que cela même si l’on voit que les catégories sociales à fort capital culturel (niveau de diplômes élevés) soutiennent encore davantage ces enjeux que les autres.

Y a-t-il néanmoins un lien établi entre canicule et réchauffement climatique ? Sont-ce avec les pics de chaleur qu'on établit une tendance générale ?

Laurent Alexandre : C'est très compliqué de faire un rapprochement entre un réchauffement général du climat et un pic de température. Il faut des séries longues. Lorsqu'il y a eu les grandes tempêtes de 1999 en France à 24h d'intervalle on y a vu un phénomène exceptionnel et on s'attendait à une hausse du nombre de tempêtes. Pourtant depuis 20 ans il n'y a pas eu de phénomène comparable.

Il faut un peu de recul pour juger ces pics même si la tendance générale au réchauffement est indéniable.

Comment expliquer que, désormais, chaque parti et chaque personnalité politique se réclament écologistes ? 

Bruno Cautrès : Il existe en politique et surtout en matière de campagne électorale une très intense bataille autour de ce que les spécialistes de sociologie électorale nomment de « issue ownership », c’est-à-dire la capacité des acteurs politiques à se réclamer et prétendre être les seuls porteurs légitimes d’un enjeu. Pour les partis qui ne sont pas les partis écologistes et qui se positionnent toujours en ayant en tête leur stratégie vis-à-vis de la présidentielle, il s’agit donc de ne pas laisser « le monopole du vert » aux seuls partis ou mouvements écologistes, EELV en particulier. Au cours des dernières années, la plupart des partis politiques et candidats à la présidentielle ont donc introduit de fortes dimensions écologiques dans leur programme (à gauche Benoit Hamon ou Jean-Luc Mélenchon notamment ; à droite les LR ou le centre droit). La bataille va donc progressivement se déplacer sur le centre de gravité de cette tendance : quels sont les partis ou mouvements qui vont explicitement dire que l’urgence écologique commande tout et que les autres en dépendent ?

Il convient également de remarquer que le sujet climatique se semble même plus être un sujet politique comme les autres : il est présenté comme une question de vie ou de mort. Pourquoi cette présentation angoissante (cartes en rouge vif, soulignement de températures ressenties extraordinaires) et culpabilisante d'un fait isolé comme la canicule? Un cabinet, Carbone 4, a pourtant présenté dans une étude que les objectifs de l'accord de Paris étaient très majoritairement atteignable grâce à des changements de politique publique ou au sein de l'entreprise, et non individuels.

Laurent Alexandre : La course à l'audience et le désintérêt des Français pour le débat droite/gauche traditionnel, qui a été accentué par le fait que Macron a tué la droite et la gauche, a amené la disparition de l'opposition traditionnelle. La mort du PS et de LR fait que finalement il y a le macronisme face aux extrêmes. Parmi ces discours extrêmes il y a les discours gauchistes apocalyptiques puisque l'essentiel du discours collapsologique est situé à l'extrême-gauche - même si l'on en trouve une faible quantité à droite.

On a là une des conséquences du fait qu'il n'y a plus qu'un parti de gouvernement et que les autres ont disparu. Cela favorise l'hystérisation et la polarisation du débat comme on a pu le voir à d'autres époques. Ça n'est pas une première mais si l'on prend les grandes craintes des années 60 sur la famine, elles n'avaient pas été relayées à ce point.

Certes les livres de Paul Ehrlich alertant sur les risques de famine dus à l'explosion démographique se vendait déjà à plusieurs millions d'exemplaires. Il prévoyait des centaines de millions de morts à cause de la famine (pour une population de 3 milliards) et il en prévoyait même aux Etats-Unis. Ca n'est pas arrivé, et on sait qu'il y a aujourd'hui beaucoup moins de malnutrition qu'à l'époque et beaucoup plus de diabètes de type 2 et d'obésité dans les pays émergents qu'il n'y a de malnutrition.

A l'époque ces prévisions apocalyptiques avaient eu un certain succès, avaient permis à Ehrlich de vendre de nombreux livres et d'être invité partout. Mais ça n'était pas diffusé sous une forme aussi hystérique qu'aujourd'hui.

N'y a-t-il pas un risque d'infliger aux catégories populaires, qui se soucient pourtant des questions environnementales, une double peine : subissant davantage le changement climatique, ils subissent aussi les mesures contraignantes qui viennent d'une forme de catastrophisme ?

Laurent Alexandre : Les catégories populaires vont être les cocus de l'affaire. A force d'être décroissantiste et apocalyptique, on recule sur le plan technologique. Si l'on écoute Aurélien Barrau, la 5G tue il faut l'interdire. Ca ne fera pas progresser des technologies numériques face aux GAFA et aux Chinois. Ce discours décroissantiste accroit notre retard et si on baisse sur le plan technologique, les Gilets jaunes vont être de plus en plus pauvres. Les élites vont partir, les pauvres auront une baisse de leurs revenus dans un territoire de plus en plus dévitalisé à cause du recul technologique de pays comme la France.

Ce discours a deux graves inconvénients : il déprime les gens, on remarque tous ces jeunes qui veulent se faire stériliser. Il conduit aussi les gens à aller dans la mauvaise direction. Quand on voit que 85% des jeunes de 18 à 34 ans pensent que le nucléaire est responsable du réchauffement climatique, c'est affolant. La seule façon de fabriquer de l'énergie sans CO² c'est le nucléaire, qui est de loin la solution la plus vertueuse sur le plan climatologique. Donc on pousse à fermer du nucléaire, ce qui augmente les émissions de CO², c'est absolument délirant.

Ce discours va conduire à appauvrir les Gilets jaunes, à accroitre notre déclin technologique, à faire moins de nucléaire donc plus de gaz donc à augmenter le réchauffement climatique. C'est affolant de voir à quel point ce délire nous emmène dans la mauvaise direction. La France est le pays le plus touché au monde par ce délire parce que l'extrême-gauche a récupéré cette théorie apocalyptique. C'est plus facile de faire la Révolution en expliquant qu'on va tous griller qu'en expliquant qu'il faut prendre le modèle vénézuélien ou nord-coréen car l'immense majorité des Français ont désormais remarqué que l'idéologie marxiste est loin d'être idéale pour la liberté ou le pouvoir d'achat. 

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