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La BCE est-elle la seule à pouvoir nous sortir de la grande crise de 2008 ?
©DR

Soupline monétaire

La Banque centrale européenne a maintenu son principal taux d'intérêt directeur inchangé jeudi, au niveau historiquement bas de 0,25%, lors de sa réunion mensuelle de politique monétaire. Une non décision qui va dans le sens d'un certain nombre d'observateurs, selon lesquels tout assouplissement monétaire aurait tendance à créer des bulles financières.

Atlantico : Que faut-il penser de la (non) décision de la Banque centrale européenne ? Pourquoi la BCE n'a-t-elle pas pris de décision sur les taux comme beaucoup l'espéraient ou l'attendaient ? Comment jugez-vous le diagnostic de l'économie européenne formulé par le président de la BCE ?

Jean-Marc Sylvestre : Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, a été très explicite puisqu’il a expliqué que le conseil des gouverneurs n’avait pas les informations suffisamment claires sur l’évolution des prix ou de l’activité pour engager une intervention, notamment sur les taux d’intérêt.

Beaucoup d’observateurs, d’analystes, pensent que la zone euro est en risque de déflation. La BCE n’adhère pas à cette analyse et c’est vrai que si on prend la moyenne de la hausse des prix en Europe, on n’est pas en déflation. Mario Draghi  reconnaît que nous sommes sur une tendance de prix très bas, mais on n’est pas en déflation (c’est à dire dans une spirale à la baisse). 

En revanche Mario Draghi réaffirme qu'il surveille les indicateurs et confirme que tous les instruments d’intervention sont étudiés en cas de tension sur le marché monétaire par exemple.

Nous avons  déjà des taux historiquement bas, 0,25 %, ce n’est pas tenable à long terme parce que dans ce cas l’épargne est complètement stérilisée. Donc baisser à nouveau les taux d’intervention ne serait pas sans risque. C’est sans doute la raison pour laquelle la BCE prépare  d’autres outils au cas où la situation dériverait davantage. Elle a beaucoup d’instruments à sa disposition mais elle fonctionne comme une caserne de pompiers. Elle ne sort ses munitions qu’en cas de crise grave. Ce qu’elle a toujours fait pour éviter un blocage de la circulation monétaire. 

Si on lit Mario Draghi entre les lignes on s’aperçoit qu'il a de nouveau apporté l’assurance qu'il veillerait à l’équilibre du système.

Nicolas Goetzmann : Mario Draghi a tenté de justifier l’immobilisme de la BCE en indiquant que ses services économiques sont en cours de rédaction de rapports détaillés sur les prévisions économiques de la zone euro. Les gouverneurs attendent la production de ce rapport afin d’en savoir plus sur l’état de l’économie avant une éventuelle action au mois de mars. Pourtant, le mandat de la BCE est de maintenir l’inflation à un niveau inférieur mais proche de 2.00 % et nous sommes actuellement à 0.7 %, avec un risque manifeste d’aggravation de la situation. La BCE avait donc toute légitimité pour agir dès aujourd’hui mais il y a une peur évidente d’aller plus loin. Les taux sont d’ores et déjà à 0.25 %, et toute baisse suggérait un taux à 0 ou très proche de 0, ce qui est un pas qui semble difficile à franchir pour certains membres du conseil des gouverneurs.

Le diagnostic est assez juste, ils ont conscience des risques, notamment provenant des émergents, ils ont conscience du fait que l’inflation est trop basse et de ses conséquence sur le niveau de dette, mais ils ne veulent pas encore agir. Ce qui est assez difficilement supportable, c’est de constater que 12 % de chômage ne font pas le poids dans la balance. Par contre il y a un refus clair et net de constater un risque de déflation, le rejet est massif sur ce point. Sur ce point précis, il vaudrait mieux ne pas se tromper car les conséquences sont très lourdes.

Qu'aurait-elle pu faire d'autre ? Pourrait-elle participer plus qu'elle ne le fait au redressement de l'économie ?

Jean-Marc Sylvestre : Faut-il rappeler que  la priorité de la Banque centrale européenne est de respecter le mandat qui est le sien, à savoir,  « maintenir la stabilité monétaire » ? La mission de la Banque centrale n’est pas de créer de l’activité ou des emplois, mais de créer un écosystème monétaire le plus neutre possible afin que l’économie réelle puisse fonctionner et créer des emplois. Mais la BCE n est pas le seul pilote de cet écosystème.

La BCE  est indépendante de tous les pouvoirs politiques, (« y compris du pouvoir politique allemand », dit souvent Mario Draghi). Par conséquent Mario Draghi, comme son prédécesseur, n’a pas à sur-réagir aux injonctions politiques ou aux variations à très court terme d’un indicateur de conjoncture. Il garantit à la monnaie une certaine neutralité  par rapport à la politique économique de façon à ce que les producteurs de richesses aient une visibilité et une stabilité.

Les gouvernements sont aujourd’hui incapables d’assurer une stabilité fiscale ou sociale (ça bouge tous les jours), la monnaie, en revanche, offre cette visibilité.

Avant la mise en place de l’euro et  de la BCE, les chefs d’entreprises étaient traumatisés par l’évolution des changes et les États européens s’entretuaient à coup de dévaluations compétitives. On a oublié tout cela, mais l’Italie et la France ont perdu des pans entiers de leurs industries à cause de ces guerres de change. L’Angleterre a perdu son industrie avant de s’apercevoir qu’elle pouvait retrouver une certaines prospérité  dans l’industrie financière, c’est à dire dans la spéculation.

La Banque centrale européenne  a pour fonction d’ajuster la masse monétaire au niveau des besoins de l’économie réelle.

Alors, elle peut distribuer un peu plus de liquidités, mais elle le fait si la machine a des risques de blocage. Et la BCE a toujours fait ce qu'il fallait pour débloquer le marché . Cela a été vrai au lendemain de Lehman Brothers  ou au moment de la crise grecque en décembre 201… mais d’une façon générale et sans le crier, Mario Draghi ouvre les guichets aux banques quand elles ont besoin de liquidités. Et aujourd’hui, il faut savoir que l’argent libéré par la BCE revient en dépôt à la Banque centrale. Le système bancaire n’utilise pas cet argent sous forme de crédit aux entreprises.

La BCE pourrait participer plus au redressement de l’économie en obligeant les banques à faire plus de crédits aux entreprises et aux particuliers, ce qu'elles ne font pas . Une des idées de Mario Draghi pour décourager les banques de thésauriser les crédits serait  d’appliquer des taux négatifs de rémunération pour les dépôts de banque placés à la BCE. Dans ce cas, les banques auraient intérêt à proposer des crédits aux entreprises.

Mais Il est aussi certain qu’en cas de crise grave, la BCE peut intervenir en rachetant de la dette souveraine. Il y a actuellement pour 180 milliards de dettes grecques, italiennes et espagnoles stérilisées. La BCE pourrait très bien refinancer du jour au lendemain. Elle l’a déjà fait. Elle pourrait même racheter des obligations d’entreprise  Elle pourrait aussi  refaire du LTRO (Long Term Refinancing Operations), prêts massifs aux banques, en cas de blocage de l’interbancaire.

Encore faudrait-il que l’économie réelle réagisse, ce qui n’est pas le cas. Encore que les trois pays les plus fragiles, la Grèce, l’Italie et l’Espagne ont commencé à se redresser, principalement grâce à leurs efforts d’assainissement interne.

Donc les outils pour éteindre les incendies existent mais la BCE ne les sortira pas avant le début de l’incendie. 

Nicolas Goetzmann : La question est délicate parce que le mandat de la BCE est très strict : la stabilité des prix prime sur toute autre considération. Le niveau de chômage n’est pas réellement pris en compte par les gouverneurs, ce sont les anticipations d’inflation qui dictent leur loi. Ce carcan empêche légalement la BCE d’agir comme le font la FED ou la Banque du Japon par exemple.

En dehors de cela, et dans les limites qui lui sont imparties, la BCE pourrait annoncer qu’elle juge le niveau d’inflation trop faible et qu’elle se donnera tous les moyens pour parvenir à un niveau proche de 2.00 %.  Si tel était le cas, elle devrait appuyer son annonce par un programme de rachat d’actifs qui lui donnerait de la crédibilité. Un tel mouvement reste possible pour le mois de mars, en attendant les prévisions des économistes de la BCE. Cette action aurait pour effet de soutenir la demande intérieure européenne, et aurait pour conséquence d’affaiblir le niveau de l’euro par rapport aux autres devises. Mais aussi longtemps que le mandat reste ce qu’il est, la BCE n’a fondamentalement pas les moyens d’apporter une réponse à la hauteur de la crise. Elle le pourrait si elle avait un mandat calqué sur celui de la Fed. Ensuite il reste la question des hommes, qui est primordiale.

La BCE détient-elle les clés de la sortie de crise, notamment en France ? Ou certains ont-ils tendance à sur-estimer les solutions de politiques monétaires au profit de solutions à l'échelle de l'économie réelle ? Les réformes de compétitivité doivent-elles rester prioritaires ?

Jean-Marc Sylvestre : Le problème de la zone euro n’est pas d’ordre monétaire , le problème est d’ordre économique et structurel.

Il faut arrêter de prendre la Banque centrale pour un bouc émissaire. Beaucoup de responsables politiques à droite comme à gauche, mais surtout à l’extrême droite et à l’extrême gauche considèrent  aujourd’hui que la BCE nous  entraîne vers la faillite. Mais c’est complètement  faux.

Ils tiennent ce raisonnement parce qu’ils n’ont pas le courage d’assumer leurs responsabilités de gouvernants dans la réforme des structures. Ce n’est pas la BCE qui va engager les reformes de compétitivité. 

En fait, c’est tout le contraire, la Banque centrale indépendante a été créée pour obliger les gouvernements à prendre leurs responsabilités.

Le problème spécifique à la BCE, c’est que la monnaie s’applique a plusieurs espaces politiques. Il faut donc que les pays membres coordonnent leurs politiques et harmonisent  leur situation. C’est toute la question de l’harmonisation politique qui est en jeu. Il n y a pas de risque de déflation en Europe, il peut y en avoir en Espagne ou en Italie. Mais ce n’est pas à la BCE de régler ce problème. Elle le constate.

La Banque centrale fait son job, les politiques ont du mal à faire le leur…

Au cœur de ce job, il y a bien évidemment les politiques de compétitivité. Il faut faciliter le fonctionnement de l’économie de marché, la concurrence qui est un facteur de progrès, l’innovation, etc. Il faut nécessairement baisser le montant des charges et par conséquent des dépenses publiques. C’est incontournable.

Et on ne peut pas penser que la BCE, en distribuant des liquidités fera le Job à notre place. Des liquidités, il y en a déjà beaucoup , il faut simplement les investir dans des projets industriels, et pour cela il faut que les chefs d’entreprise qui ont les idées et le talent aient intérêt à le faire . Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Aujourd’hui, les liquidités servent à financer les dépenses publiques, donc la consommation, donc les importations ou alors la spéculation purement financière…  

Dans les pays développés comme les nôtres, l'activité, le progrès, les emplois sont le résultat de l’action des entrepreneurs. Il n'y a pas d’autre solution.  

Nous ne sommes plus dans les années 1960, où il fallait équiper des pays en développement. Il fallait soutenir ou solvabiliser la demande. Le métier d’entrepreneur était moins difficile.

Aujourd'hui c’est différent mais plus gratifiant, il faut fabriquer une offre compétitive dans tous les secteurs, pour capter et séduire tous les marchés .

Nicolas Goetzmann : Ce sont les dirigeants européens qui ont les clés. Une révision du mandat de la BCE serait à même de relancer la demande intérieure de façon massive, ce qui aurait comme conséquence de restaurer la croissance, de faire baisser le chômage et enfin de donner de l’air aux gouvernements dans leur volonté de réformer. Une politique de l’offre est nécessaire en France, baisse du coût du travail, baisse de l’IR, mise en place d’un contrat unique, construction immobilière dans les villes qui bénéficient le plus de la croissance, etc. Mais tout cela ne sera véritablement efficace que si, et seulement si, la croissance est de retour. Et la croissance n’est rien d’autre que la dérivée de la demande agrégée qui est elle-même sous contrôle unique et total de la BCE. Et sans cela, tout objectif de réduction des dépenses publiques est un vœu pieu. Les deux visions, offre et demande,  ne sont pas antinomiques, elles sont complémentaires.

L’économie réelle et la monnaie ne font qu’un. Ce que nous vivons aujourd’hui peut être schématisé grossièrement. La situation ressemble à ceci : Notre capacité de production vaut 100 et l’offre de monnaie actuelle est de 90. Soit nous choisissons de rabaisser la capacité de production à 90 pour trouver l’équilibre, ce qui signifie mettre des gens au chômage, fermer des usines, et fragiliser toutes les entreprises, soit nous choisissons de relancer la monnaie pour que celle-ci atteigne le niveau de 100. Les États-Unis, le Japon… ont choisi la seconde solution, l’Europe a choisi la première. Le coût humain est immense. Il est également à noter que la solution européenne n’est pas que douloureuse, car il n’y a aucun exemple historique où ce choix a fonctionné.

Quels enseignements tirer à cet égard des effets produits par les expériences de relance monétaire en cours aux États-Unis ou au Japon ? L'Europe gagnerait-elle à s'en inspirer davantage, ou s'agit-il dune voie dangereuse qui stimulerait l'économie de façon artificielle ?

Jean-Marc Sylvestre : L’expérience japonaise est intéressante. Ce pays a vécu une déflation grave pendant plus de quinze ans. La Banque centrale du Japon n’aurait pas fait ce qu’il aurait fallu faire pour sortir le japon de la crise, très longue. Mais c’est faux, le Japon est tombé en dépression parce que sa démographie a vieilli, les dirigeants également, et ils ont refusé de laisser le pouvoir, ils se sont enfermé dans des structures familiales très conservatrices, le marché intérieur s'est appauvri et les exportations se sont étouffé faute d’une offre compétitive. La Banque centrale du japon n’y est pour rien.

Quant à l’Amérique, c’est diffèrent, la Réserve fédérale émet la monnaie mondiale. Le dollar n’est pas garanti par l’économie des USA, (ou par un stock d’or comme avant Nixon), mais sa valeur est garantie par tous ceux qui dans le monde font confiance au dollar. Le dollar est devenu la monnaie d’échange acceptée partout sur la planète. Avantage énorme. L’Amérique peut donc en fabriquer autant qu’elle veut. Elle exporte le risque d’inflation à chaque fois. C’est formidable. Est-ce que cela profite à l’économie américaine ? oui, parce que cela crée du financement interne pour pas cher, permet des dévaluations compétitives... jusqu’au moment où on s’aperçoit qu’il y a des risques de bulles. D’où le retrait amorcé par la FED. La conséquence première, c’est que les pays émergents inondés de dollar se retrouvent en porte-à-faux.

D’où l’inquiétude des opérateurs de marchés qui ont sur Wall Street spéculé comme des laquais sur des champs de course et qui ont peur pour leur bonus. Parce que l’état de l’économie réelle ne justifie pas les valorisations (dans l’actualité la plus récente Tweeter en est un bel exemple).

Les grands bénéficiaires d’une politique monétaire généreuse sont les acteurs de la sphère  financière, à Londres et à New-York. La Façon dont Jean-Luc Mélenchon ou Marine lepen regrettent que la BCE ne fonctionne pas comme la Réserve fédérale est plutôt cocasse quand on sait le bénéfice que les milieux financiers ont toujours tirés d’une politique monétaire expansionniste. Mélenchon, Goldman Sachs, même combat. On rêve !

L'économie américaine a heureusement d’autres facteurs de soutiens plus réels : l’exploitation des gaz de schiste, qui lui donne un avantage compétitif considérable, et l’existence d’une classe d’entrepreneurs logée sur la côte ouest, hyper dynamique, et qui a bien compris ce qu’on pouvait tirer d’une  économie de l’offre.

Après l’explosion de la bulle internet, et après la faillite de Lehman Brothers, les étudiants de Chicago (le temple de l’école monétariste ) défilaient a Francfort dans le bureau de Jean-Claude Trichet pour étudier le fonctionnement de la BCE.

Nicolas Goetzmann : Les États-Unis et le Japon ont réagi différemment. Les États-Unis sont restés dans le cadre de leur mandat et ont simplement appliqué des moyens « non conventionnels » pour parvenir au résultat, je parle ici des assouplissements quantitatifs. Ces moyens ont vu le jour car l’outil principal d’une banque centrale, qui est de fixer les taux d’intérêts, était épuisé car ces taux étaient déjà à 0. Il fallait donc trouver une autre solution pour relancer la machine.

Le Japon est différent, car il a été choisi de réadapter le mandat en fonction de la volonté du gouvernement. Il y a encore 2 ans, l’objectif de la banque du Japon était d’atteindre une stabilité totale des prix, puis il a été décidé de rehausser ce niveau à 1 % d’inflation et enfin à 2.00 % d’inflation depuis le début de l’année 2013. Ce qui veut dire que la Banque du Japon a choisi d’augmenter structurellement le niveau de croissance de l’archipel, et ce de façon permanente. Ce qui n’est pas le cas des États-Unis, mais cela n’est pas non plus à exclure.

Oui, l’Europe devrait s’en inspirer, mais au-delà de la BCE, c'est aux dirigeants de porter un tel projet. Il s’agit clairement de la responsabilité de François Hollande et d’Angela Merkel.

Une relance monétaire pourrait être qualifiée d’artificielle si nous étions au plein emploi et que l’inflation montrait le bout de son nez. Dans un tel cas, la relance ne générerait aucune croissance supplémentaire et résulterait simplement en un surplus d’inflation, qui lui-même agirait à la hausse sur le chômage. C’est la configuration des années 70. C’est précisément l’inverse de ce qui se produit aujourd’hui. Je dirai même que c’est le taux de chômage qui est artificiel aujourd’hui car il n’est pas une fatalité, il n’est que le résultat d’une politique stricte de stabilité de prix, qui ne prend pas en compte le chômage.

La relance monétaire est-elle génératrice d'inflation, et responsable de "l'euthanasie des rentiers" ?

Jean-Marc Sylvestre : L’inflation était une maladie des économies fermées. Le monde globalisé est sans doute à l’abri de l’inflation. il y aura toujours quelqu'un dans le monde capable de fabriquer et vendre un produit moins cher que le vôtre. L’inflation avait cette vertu autrefois de ruiner les rentiers et les vieux. Donc on écrasait les dettes de cette façon.

Sans inflation, on ne peut pas écraser les dettes, sauf à exécuter les rentiers. Ce qui est politiquement gênant. Le problème de l’Europe est là. L’endettement des États a été financé par les épargnants. Si les États font défaut, ils ruinent leurs épargnants qui sont aussi leurs électeurs... Compliqué.

Nicolas Goetzmann : Les rentiers sont protégés par le système de stabilité des prix. Mais cela se fait au détriment du niveau de l’emploi. On ne peut demander aux uns de payer pour les autres, il s’agit de trouver un équilibre et c’est exactement le sens du mandat "dual" de la FED : maîtrise des prix et emploi maximum : la Banque doit agir au mieux pour équilibrer ces deux intérêts. Le résultat est bien meilleur aux États-Unis, 6.7 % de chômage et 1.5 % d’inflation contre 12 % de chômage et 0.7 % d’inflation en Europe. La situation est totalement déséquilibrée en Europe, donc, il s’agit bien plus d’une euthanasie des chômeurs et de précaires que d’une euthanasie des rentiers. L’économiste Steve Waldman déclarait à ce titre « Ce qui est immoral c’est de cacher ce qui peut être démontré comme étant le plus grand programme d’assurance sociale derrière la phrase technocratique de “stabilité des prix”. C’est un schéma qui force les membres les plus précaires de notre société à assurer le pouvoir d’achat des plus sécurisés, et ce, sans aucune limite ou même comptabilité de l’échelle de ce transfert ».

Est-elle à l'origine de bulles ?

Jean-Marc Sylvestre : Une politique monétaire excessive alimente les bulles. Comme il n’ y a plus d’inflation et que les excédents de liquidités ne se retrouvent pas dans l’économie réelle, on assiste à la création de bulles, dans l’internet, l’immobilier (les subprimes)... La politique monétaire de celui qu'on appelait "le sorcier de l’Amérique", Alan  Greenspan, a eu des effets catastrophiques dans le monde entier .

Nicolas Goetzmann : Nous pourrions conclure à la responsabilité d’une banque centrale dans la formation de bulles si celle-ci s’évertuait à soutenir la demande alors que l’inflation est déjà élevée. Ce qui est bien entendu l’exact opposé de ce qui passe depuis l’entré en crise. Et contrairement à la vision générale, les États-Unis n’ont pas eu d’inflation élevée depuis la fin des années 70. Il faut bien se rendre compte qu’une banque centrale ne peut agir que sur l’économie en agrégée, c’est-à-dire dans son ensemble. Si un secteur particulier se trouve en situation de bulle, par exemple l’immobilier, que peut-elle faire ? Si l’inflation « globale » ne dépasse pas le cadre de son mandat, ce serait même de la folie d’agir car cela pénaliserait l’ensemble de l’économie alors qu’un seul secteur serait visé. Ce qui veut dire que si un secteur est en bulle, il revient au législateur d‘intervenir en fixant des limites par exemple sur les niveaux de prêts. Mais la banque centrale ne peut cibler un secteur particulier, si elle serre la vis, elle la serre pour tout le monde. Ce genre d’épisode a déjà pu se produire, par exemple en 1929, quand la FED a voulu intervenir contre la spéculation financière. C’est bien l’ensemble de l’économie qui a trinqué.

Quelles solutions les maux dont souffre l'économie française appellent-il ?

Jean-Marc Sylvestre : Les maux de l’économie française sont connus de tout le monde. Un modèle social trop cher, une sous-productivité de l’administration, une sous-compétitivité des entreprises et un manque de courage politique évident pour redresser le bateau. La Banque centrale n’y est pour rien. 

Nicolas Goetzmann : L’économie française souffre d’abord d’un manque de croissance, ce qui relève au premier chef du pouvoir monétaire. En complément, le pouvoir budgétaire, les réformes de l’offre, sont nécessaires pour améliorer le potentiel de l’économie dans son ensemble. Par exemple, lorsque nous parlons de l’emploi, il y a une différence entre le chômage structurel et le chômage conjoncturel. Le conjoncturel relève de la monnaie, et représente au moins 3 points en France. Une fois que ce chômage conjoncturel est en cours de traitement, il est alors possible de s’attaquer au structurel, c’est-à-dire par exemple de passer au contrat unique, de baisser les charges, de baisser l’IR, d’offrir une meilleure éducation etc. Ici aussi il y a bien 3 points à gagner, pour arriver au final à un taux de plein emploi de 5 % (en partant du taux de chômage actuel de 11 %).

Mais sans la monnaie une réforme de l’offre ne peut aboutir à des résultats satisfaisants, ce serait même jeter le discrédit sur ce type de réforme, plus personne n’y croit. Quand la Grèce a commencé son programme, la « Troïka » lui a promis une seule année de récession pour une contraction totale de 2.6 %. Dans la réalité il y a eu 5 années de récession et 25 % de contraction.

Il ne faut pas se leurrer, une politique de l’offre est impérative pour remettre la France sur les rails, mais celle-ci est inutile voire dangereuse aussi longtemps que la BCE n’agira pas. A cela il est souvent rétorqué que l’Allemagne y est parvenue, ce à quoi je réponds que l’Allemagne a réformé son droit du travail en 2005, lorsque la croissance européenne permettait de tels ajustements. Les réformes allemandes n’ont été possibles que parce que les pays du sud, mais aussi la France, avaient un niveau de croissance satisfaisant. Il ne sert à rien d’opposer offre et demande, il faut cumuler les deux approches pour obtenir le meilleur résultat. Si la demande est relancée, les réformes de l’offre porteront leurs fruits.

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