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Alors que la guerre fait rage en Europe, les liens continuent de se tisser à l'Est, notamment entre la Russie et la Chine.
Alors que la guerre fait rage en Europe, les liens continuent de se tisser à l'Est, notamment entre la Russie et la Chine.
©SERGUEÏ GUNEYEV / SPOUTNIK / AFP

Organisation de la Coopération de Shanghai

Les présidents chinois et russe ont affiché ce jeudi leur volonté de se soutenir et de renforcer leurs liens en pleine crise avec l'Occident. La rencontre entre Vladimir Poutine et Xi Jinping était l'événement le plus attendu du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai, à Samarcande, en Ouzbékistan.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : L’Organisation de la Coopération de Shanghai s’est réunie dans un contexte très particulier et a affiché son union. Que pèse actuellement cette organisation (en termes de population, d’économie, d’innovation, de force militaire et diplomatique) par rapport à l’Occident ?

Florent Parmentier : L’Organisation de la Coopération de Shanghai, ou OCS, est un groupement d’Etats visant à lutter contre « l’extrémisme, le terrorisme et le séparatisme », et dont la consistance s’est beaucoup renforcée depuis sa création en 2001. Elle comptait au départ 6 membres (Russie, Chine, Kirghizistan, Kazakhstan, Tadjikistan et Ouzbékistan), avec deux vagues d’élargissement, en 2016 (Inde, Pakistan) et en 2021 (Iran). D’autres vagues d’élargissement sont probables, dans la mesure où plusieurs Etats ont fait part de leur intérêt de rejoindre l’institution, dont la Turquie, l’Egypte, l’Afghanistan ou la Mongolie. La Turquie est certainement un cas particulier dans la mesure où ce pays est également membre de l’OTAN.

L’OCS est l’une des organisations régionales créées sous l’impulsion de la Russie, à l’instar de l’Union économique eurasiatique et de l’Organisation du traité de la sécurité collective ; le BRICS est une autre organisation visant à faire contrepoids à l’influence occidentale, incluant la Chine, la Russie, l’Inde, mais aussi le Brésil et l’Afrique du Sud.

Leur poids sur la scène internationale est très important si l’on considère que cette organisation regroupe les deux pays les plus peuplés du monde (avec l’ensemble des membres, 40%), des économies à fort potentiel (30% de l’économie mondiale en parité de pouvoir d’achat), ce qui ne veut pas dire que ce groupement ne souffre pas de faiblesses propres.

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Michel Ruimy : L’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) est une organisation intergouvernementale, constituée de 9 pays (Chine, Inde, Iran, Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Pakistan, Russie et Tadjikistan), qui affiche pour ambition d’assurer la sécurité mutuelle de ses États-membres et de permettre leur développement économique et une coopération politique et militaire. En favorisant l’union douanière de ses membres, l’OCS crée une zone d’échange compacte et rassemblée qui assure les transferts et les échanges en Eurasie.

Malgré un nombre de membres faible comparé à beaucoup d’autres organisations internationales, l’OCS représente un ensemble considérable sur le plan géographique (un peu plus de 34 millions de km², soit environ 25% de la superficie mondiale), qui rassemble le pays le plus vaste du monde (Russie) et les deux plus peuplés (Inde et Chine).

Au plan économique, les membres de l’OCS regroupent environ 20% des ressources mondiales de pétrole, 40% de gaz naturel et de charbon et 30% de l’uranium. Formée de pays en développement, son Produit intérieur brut (PIB), exprimé en standards de pouvoir d’achat, représente un peu plus de 20% du PIB mondial alors que sa population en représente un peu plus de 40%.

C’est une force commerciale et militaire largement supérieure à l’Union européenne et aux États-Unis, dont la part respective dans le PIB mondial est proche de 16-16,5%. Toutefois, bien que les États-Unis et la Chine aient à peu près la même taille en termes de PIB, leurs PIB / habitant diffèrent d’un facteur de 4.

A quel point les membres de l’Organisation de la Coopération de Shanghai, Chine et Russie en tête, sont-ils amenés à gagner de l’importance et de la centralité sur la scène mondiale dans différents secteurs ?

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Florent Parmentier : Economiquement, les pays membres de cette organisation ont un potentiel de croissance considérable, et disposent de nombreuses ressources. Pour autant, cette organisation reste encore faiblement institutionnalisée, ce qui réduit l’efficacité de la coopération entre les membres. De plus, l’inclusion conjointe de l’Inde et du Pakistan rend ce groupe plus hétérogène, amenuisant les possibilités d’approfondissement. Le dilemme entre élargissement se retrouve ici comme dans le cadre de l’intégration européenne.

En réalité, la Russie peut se positionner comme ce pays indispensable pour accommoder les intérêts chinois et indiens : elle entretient des relations étroites avec la première, mais aussi avec la seconde, notamment en matière de coopération militaire.

Michel Ruimy : À l’Est de l’Europe, le monde essaye de se recomposer. La région a été bousculée par l’événement majeur de la fin du XXème siècle : la chute de l’URSS. Par ailleurs, la Chine et la Russie ont une préoccupation régionale : les pays d’Asie centrale sont trop faibles pour faire face à la montée des extrémismes sur leurs territoires.

Toutefois, s’il est difficilement concevable de penser que cette organisation constituerait, exclusivement, pour la Russie et la Chine, un outil au service de leur opposition commune à l’hégémonisme de la puissance américaine, il n’en demeure pas moins que l’organisation peut servir de relais à des ambitions plus globales. Ainsi, au cours de ces dernières années, cette instance, à l’origine destinée à stabiliser l’Asie centrale, a été utilisée, de manière croissante, tant par Moscou que par Pékin, comme un vecteur visant à limiter l’influence américaine à l’international comme régionale et à structurer un autre monde, tourné vers le Pacifique.

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En fait, l’organisation sert notamment de « caisse de résonance » à la Russie, dont l’influence a été mise à mal par la chute de l’Union soviétique. Plusieurs déclarations de l’OCS se font l’écho des préoccupations russes, notamment celles dénonçant les interventions faites au nom des droits humains comme des ingérences dans les affaires intérieures des États.

Pour autant, si l’alliance sino-russe trouve une expression concrète à travers l’OCS, dont Pékin et Moscou constituent le moteur, les relations entre les deux autocraties ne sont pas simples.

Si l’on se projette dans le temps, l’Occident sera-t-il de taille à faire face au “dragon-ours” sino-russe pendant le 21e siècle ?

Florent Parmentier : Les rencontres de l’OCS sont l’occasion pour les leaderships politiques de porter plusieurs messages sur la scène internationale : la Russie entend montrer qu’elle n’est pas isolée du reste du monde, comme le croient facilement les Occidentaux ; la Chine peut s’appuyer ici sur un Etat important dans sa rivalité avec les Etats-Unis. Pour plusieurs raisons, la Chine s’intéresse à une coopération plus étroite avec la Russie : commerce, secteur spatial et de défense, présence dans l’Arctique… Le désir de multipolarité après des décennies d’hégémonie américaine est fort dans certains Etats. Pour autant, l’alliance sino-russe est fragile, car non-dénuée d’arrière-pensées des deux côtés, en particulier à certains endroits où les intérêts géostratégiques se superposent. Et tant la Chine que la Russie présentent de sérieux signes de fragilité sur un plan démographique : en d’autres termes, selon la question classique, la Chine sera-t-elle vieille avant d’être riche ?

La force de l’Occident résidera autant dans sa capacité à lutter contre la fragmentation de ses sociétés en interne, mais également dans sa capacité à nouer de nouvelles alliances et à écouter ses partenaires.  

Michel Ruimy : L’ordre international se trouve dans une phase de transition dans laquelle deux centres de pouvoir émergent : les États-Unis et la Chine. Dans le contexte actuel, la Chine doit éviter tout scénario d’instabilité intérieure économique et sociale et, en même temps, faire face à la bifurcation du système mondial. Par ailleurs, dans un contexte d’isolement extrême du pays par l’Occident et après les échecs militaires sur les champs de bataille en Ukraine, la survie politique, économique et financière de la Russie dépendra, dans une certaine mesure, de la Chine. Il est alors plausible de considérer que la Russie, qui veut redevenir une grande puissance et retrouver son aura sur la scène mondiale, ait un besoin urgent d’un allié puissant tandis que la Chine cherche un partenaire loyal avec une projection de puissance régionale pour soutenir son influence mondiale et renforcer les réseaux régionaux en Eurasie et au-delà.

Dès lors, le couple sino-russe n’est ni une alliance traditionnelle selon les concepts occidentaux, ni une entente, ni un « mariage de convenance » mais une relation asymétrique temporaire, dans laquelle la Chine donne principalement le ton mais reste intéressée par les matières premières, le secteur spatial et la défense de la Russie ainsi que par sa présence dans l’Arctique (comportement de « prédateur »).

La Chine et la Russie ont plutôt opéré un rapprochement tactique pour gérer, ensemble, la phase transitoire incertaine de la bifurcation et assurer leur stabilité intérieure, essentielle à leur survie. Le principal dénominateur commun n’est pas seulement l’objectif de démontrer un contrepoids crédible à la puissance mondiale des États-Unis mais de créer une connectivité eurasienne significative en réponse à la domination maritime américaine dans la région indopacifique, et dans l’Arctique à long terme. Les deux pays vont devoir trouver un juste équilibre face au risque de compétition potentielle qui peut émerger entre eux, d’où un rapport de force déséquilibré en défaveur de la Russie.

Toutefois, ce rapprochement pourrait, à l’avenir, ne pas se limiter à la Chine et à la Russie. il pourrait s’amplifier et intégrant d’autres acteurs. Une multitude de pays en développement portent un regard sévère sur le bilan du leadership occidental et vont, soit cautionner ce rapprochement sino-russe, soit s’y rattacher.

De son côté, alors qu’il n’en a pas la capacité, l’Occident vise à isoler totalement la Russie. Si l’impact des sanctions est lourd pour la Russie, il reste trop limité dès lors qu’il ne s'agit pas d’un « régime mondial ». Or, à vouloir s’entêter seul - aucun pays d’Afrique, d’Amérique Latine ou de l’ASEAN n’a engagé de sanctions contre la Russie -, le risque est de voir l’Occident s’isoler à son tour. 

Face à ses défaillances actuelles que doit faire l’Occident pour s’assurer d’être à la hauteur de la compétition pour les décennies à venir ?

Michel Ruimy : Avant tout, il s’agit d’une question de survie, de crédibilité à l’international dans un système mondial hautement volatile. La Russie et la Chine partent du principe que l’ordre mondial est en train de subir une transformation systémique, dont l’issue est imprévisible, et qui aura probablement diverses implications négatives imprévues pour les intérêts russes et chinois.

Le problème des Occidentaux repose sur un dogme, celui que le « bon droit » l’emporte en toutes circonstances. Au plan politique et des relations internationales, cette doctrine se décline dans l’idée que les démocraties triomphent toujours des tyrannies. Elle se traduit par une forme d’arrogance à l’égard de certains pays, en leur imposant certaines idées et principes et qui, au final, lui fait croire que le monde pense comme l’Occident.

Dans les faits, ce n’est pas le cas. Lorsque nous portons un regard rétrospectif sur l’Histoire, nous observons que, depuis les années 1990, sur la scène internationale, le nombre des démocraties est en recul (aucun changement de régime ne se traduit par l’émergence de nouvelles démocraties) et que l’influence des Etats-Unis décline rapidement. Nous pouvons y voir, un remodelage, déjà engagé, des relations internationales d’autant que, par exemple, la Russie et la Chine sont membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU. Cette position leur offre un poids diplomatique considérable et a pour effet de paralyser le fonctionnement de l’organisation, contrainte de se réfugier derrière des postures morales, totalement inopérantes.

Dès lors, les motivations de l’Occident devraient repenser sa posture et réinventer le concept de démocratie à l’aulne des problèmes économiques et sociaux, présents et à venir.

Certaines tendances lourdes, comme la population, semblent difficiles à pallier. L’Occident peut-elle faire face malgré cela en misant sur d’autres enjeux ?

Florent Parmentier : En effet, l’Occident constituera inévitablement une part de moins en moins grande de la population, de la richesse et de la puissance du monde. La question est celle de la gestion propre de ces différentes difficultés, ces « tendances lourdes » dont vous parlez.

Développer une attitude visant à être en capacité de faire face aux diverses menaces est le plus important. Face aux risques de fragmentation multiples, le contrat social des démocraties (protection, richesse, liberté) sera-t-il rempli ? Par ailleurs, les Américains, ainsi que les Européens, doivent prendre en compte les intérêts et perception de leurs partenaires. Et les Européens doivent renforcer leur capacité de défense, dans la mesure où un leader autoritaire de type Trump pourrait revenir au pouvoir aux Etats-Unis. 

Michel Ruimy : Dans ce monde en recomposition, l’objectif des pays occidentaux serait, en faisant le constat des dysfonctionnements actuels, d’imaginer un Nouveau monde, de nouveaux systèmes de pensée économiques, générateurs de croissance inclusive, tenant compte des problématiques intergénérationnelles.

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