L'Occident complètement à l'Ouest : les nouvelles règles de l’investisseur asiatique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'Occident complètement à l'Ouest : les nouvelles règles de l’investisseur asiatique
©Reuters

Bonnes feuilles

L'année 2008 se révèle celle d'une rupture historique, dont nous n'avons pas encore saisi toute l'ampleur, illustrée par l'accélération du retour de la Chine face à l'Occident et l'avènement d'un nouveau monde multipolaire. Extrait de "Génération tonique", de David Baverez, publié chez Plon (1/2).

 David  Baverez

David Baverez

David Baverez est investisseur. Après quinze années partagées entre Londres et Boston, il vit depuis trois ans à Hong Kong.

Voir la bio »

 Dans toutes les business schools occidentales, les cours de finance énoncent toujours les mêmes règles de base pour réussir ses investissements : étudier la demande, rester prudent dans ses projections, se concentrer sur le core business, devenir paranoïaque et préparer d’entrée de jeu sa stratégie de sortie... Autant de principes, parfaitement logiques au regard de l’expérience accumulée en Occident par des générations de financiers, mais qui, d’après celle que j’ai moi-même acquise en Asie, conduiront tout droit à l’échec, en tout cas en Orient. Les investissements y obéissent en effet à des logiques diamétralement opposées, en vertu de la nature différente des activités et de la culture sous-jacente.

    À mon sens, voici les six nouveaux impératifs à respecter :

    1. Ne pas se soucier de la demande, mais se concentrer sur les contraintes à l’offre

    Si un produit ou un service est de qualité, la demande aujourd’hui ne sera plus un problème à un moment où la population économique mondiale passe de sept cents millions à sept milliards de consommateurs. J’en ai donné des exemples dans le domaine de l’éducation comme dans le secteur du luxe, la demande est susceptible de croître de manière exponentielle. Elle attirera aussi naturellement une très forte croissance de l’offre pour y répondre. La principale question sera alors de déterminer si l’activité que vous projetez de développer sera limitée par des contraintes à l’offre et notamment des barrières à l’entrée.

    Imaginez par exemple avoir la chance de compter aujourd’hui parmi les trois cents wine masters au monde. Vous avez déjà réalisé un exploit. Mais si, de plus, vous connaissez le doux bonheur de pratiquer votre savoir-faire en Asie, alors là, jackpot ! Vous n’affrontez que deux concurrents basés dans la région, au moment où elle est en train de devenir la principale consommatrice de grands vins du monde entier !

    De même, il peut se révéler extrêmement bénéfique d’identifier le goulot d’étranglement d’une activité en forte croissance : l’essor du trafic aérien en Chine, et plus généralement en Asie, l’illustre parfaitement. Boeing et Airbus continuent d’y bénéficier de l’appétit insatiable des acheteurs d’avions, qui parient sur la future croissance à deux chiffres du tourisme chinois. Reste un détail pratique : la pénurie de pilotes dans le monde, notamment pour ces appareils nettement plus sophistiqués que la moyenne, puisqu’ils doivent satisfaire à des spécifications techniques et des réglementations très strictes. Les pilotes long-courrier d’Air France, qui obtiennent deux jours de pause légaux chaque fois qu’ils font un jour de grève, ne sont pas prêts à changer d’employeur ! Ce qui garantit à un pilote asiatique prêt à travailler un merveilleux épanouissement personnel.

    Le même raisonnement de contraintes à l’offre s’applique dans le domaine des ressources naturelles, mais, contrairement à la décennie 2000, seulement dans de petites niches souffrant de limitations durables, comme le cacao, qui a vu son cours presque doubler en trois ans. Le décollage des demandes chinoise et indienne, combiné au temps naturel de croissance d’un cacaotier et au sous-investissement structurel de l’industrie, fait prévoir que, encore en 2020, la demande mondiale ne sera satisfaite qu’à hauteur de 80 %.

    De quoi inciter naturellement les investisseurs chinois à accélérer leur « conquête » de l’Afrique, principal producteur, au moment où les États-Unis, même avec un Président de père kenyan, continuent de regarder le continent avec mépris, tandis que les entreprises européennes, y compris françaises, commencent à peine à s’y intéresser, sans pour autant agir.

    2. Think big : voir les choses en grand

    Une des surprises d’Airbus lors de la commercialisation du plus important appareil de sa gamme, le très gros porteur A380, fut de recevoir des manifestations d’intérêt de compagnies aériennes chinoises pour des vols... domestiques, alors que la firme vantait les avantages de cet avion pour les trajets très long-courriers. Pour ses clients chinois, cet avion présentait avant tout l’avantage de pouvoir doubler le nombre de passagers par vol, à un moment où la demande intérieure explosait, tant pour les voyages d’affaires que de tourisme afin de fuir la pollution. Si aujourd’hui l’avenir de l’A380 est en question, c’est plus du fait des performances de sa motorisation pour les vols long-courriers que par sa capacité à doubler le nombre de passagers, clairement l’enjeu du marché chinois.

    Dans ce monde qui tourne, nombre de marchés se révèlent largement supérieurs aux prévisions fondées sur une approche classique. McDonald’s projette de recruter soixante-quinze mille employés en une seule année en Chine, ce dont chacun d’entre nous reste naturellement libre de se réjouir ou non ! Les phénomènes de viralité digitale, notamment par les réseaux sociaux, rendent bien des business plans beaucoup trop conservateurs. Confiance que Li Ka-shing, l’homme le plus riche d’Asie, résume du haut de ses plus de quatre-vingts ans : « Chaque fois que je regarde un investissement en rapport avec l’industrie digitale, j’ai l’impression de rajeunir de quarante ans ! »

    3. Être positif comme un Chinois

    Il y a un an, un de mes amis, génial héritier de la lignée des Géo Trouvetou, bien que normalien de formation, me demandait de l’aider à réunir son financement pour une nouvelle technologie révolutionnaire dans le domaine optique. Nous revînmes bredouilles d’une semaine de roadshow à Paris, les fonds d’investissement « experts » nous reprochant l’absence de « preuve du concept » et donc le caractère « aléatoire » de nos projections. La semaine suivante, passée à Hong Kong, nous valut autant de reproches, mais de nature bien différente : « Votre technologie paraît en effet totalement disruptive, mais il manque alors un zéro à votre chiffre d’affaires en année 5. Voilà comment nous pouvons vous aider à y parvenir... » Ou comment une technologie d’origine française a fini entre les mains d’investisseurs hongkongais pour leur plus grand bonheur.

    Je suis, par ailleurs, membre du comité d’investissement d’une banque d’affaires à Hong Kong qui regroupe uniquement des familles européennes et asiatiques. Je constate que toutes les questions posées par les Européens se focalisent sur le downside – les risques d’échec –, alors que les Asiatiques ne s’interrogent que sur l’upside – les chances de succès supérieures au business plan. Simple reflet de nos degrés de confiance en l’avenir.

    Rien de plus formateur que la manière dont on interprète, en Occident et en Chine, le formulaire « 20F » d’un groupe chinois coté aux États-Unis. Le formulaire « 20F », c’est le document légal que toute société cotée à la Bourse américaine doit publier chaque année, et qui décrit de façon précise et circonstanciée tous les risques encourus par les investisseurs. Dans le cas d’une société chinoise, l’inventaire est généralement effrayant aux yeux occidentaux : autorisations administratives manquantes, titres de propriété des terrains des usines sujets à caution, réglementations obscures...

    Des investisseurs américains trop téméraires ont déjà perdu beaucoup de plumes avec le genre de fraudes que font soupçonner ces lacunes. Mais, aux yeux des Chinois, plus la liste des risques d’une société sera longue, plus ces risques seront effrayants et plus les conditions d’investissement serviront de repoussoir, plus les concurrents occidentaux resteront à l’écart du marché chinois, ce qui permettra de bâtir un champion national.

    C’est juste la traduction de la propension à la prise de risques, qui, elle-même, traduit un degré différent de confiance en l’avenir.

    Une sorte d’écho au message fantastiquement riche d’espérance adressé sous nos latitudes par Jean-Paul II, à la jeunesse catholique, dès l’année de son élection en 1978 : « N’ayez pas peur ! » Une année 1978 qui restera comme celle de « l’inversion », selon Amin Maalouf dans Les Désorientés. Une année qui marque l’enterrement spirituel de la gauche, cédant la place à « une droite conquérante », illustrée par Maggie Thatcher et Ronald Reagan, alors que « la gauche ne s’est plus préoccupée que de conserver les acquis ».

    D’ailleurs, dans l’ère post-2008, la seule institution majeure à vouloir entamer une refonte radicale de son mode de fonctionnement est bien l’Église catholique, modernisée par le nouveau pape François, réformateur dans l’âme : contacts directs avec sa hiérarchie comme avec ses disciples, cessation de pratiques scandaleuses sur le plan éthique ou financier, première visite d’un pape en Asie depuis près de quinze ans... Autant de messages innovants dont tous les Occidentaux, à commencer par les investisseurs, pourraient s’inspirer.

(... lire la suite sur le livre ci-dessous )

Extrait de "Génération tonique - L'Occident est complètement à l'Ouest", de David Baverez, publié chez Plon, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !