L’impact considérable de l’alimentation et de la chasse sur l’évolution humaine et le développement du cerveau de nos lointains ancêtres<!-- --> | Atlantico.fr
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Des humains de Cro-Magnon, les premiers Homo sapiens sapiens, lors de l'exposition "Lascaux III", à Bordeaux. Pascal Boyer publie « La Fabrique de l'humanité » aux éditions Robert Laffont.
Des humains de Cro-Magnon, les premiers Homo sapiens sapiens, lors de l'exposition "Lascaux III", à Bordeaux. Pascal Boyer publie « La Fabrique de l'humanité » aux éditions Robert Laffont.
©JEAN-PIERRE MULLER / AFP

Bonnes feuilles

Pascal Boyer publie « La Fabrique de l'humanité Comment notre cerveau explique la famille, l'économie, la justice, la religion... » aux éditions Robert Laffont. Pascal Boyer livre une toute nouvelle approche de la transmission culturelle et de la mémoire collective et une analyse novatrice des mécanismes qui poussent l'être humain à vivre en société et à coopérer. Extrait 1/2.

Pascal Boyer

Pascal Boyer

Pascal Boyer a étudié la philosophie et l'anthropologie à l'Université de Paris. Après des recherches de terrain chez les Fang du Cameroun, il a été fellow du King's College à Cambridge, au Royaume-Uni, et chercheur au CNRS. Membre de l'Académie américaine des arts et des sciences, il occupe aujourd'hui la prestigieuse chaire Henry Luce d'anthropologie cognitive à l'université Washington de St. Louis, aux États-Unis.

Son premier essai, Et l'homme créa les dieux : comment expliquer la religion (Robert Laffont, 2001), a fait de lui l'une des grandes figures internationales de l'anthropologie de la religion.

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Au cours des deux derniers millions d’années, la lignée humaine a connu des changements qui expliquent comment nous envisageons la reproduction, la parentalité et les groupes sociaux. C’est une histoire complexe, parce que plusieurs processus se sont déroulés en même temps, se renforçant ou s’annulant mutuellement.

Pour démêler ces nombreux liens causaux, commençons par considérer l’émergence de la chasse. Le développement progressif de la chasse a eu un impact considérable sur l’évolution humaine car il a permis une meilleure alimentation, plus riche en calories, mais aussi un accès à des graisses et des protéines, composants alimentaires dont les plantes sont moins riches. Ce régime a facilité l’évolution d’un cerveau de plus grande taille aux capacités cognitives plus complexes, la taille de l’encéphale humain ayant doublé de Homo habilis à Homo sapiens, l’homme moderne. L’alimentation a joué un rôle décisif car le cerveau est l’organe le plus gourmand en énergie. Mais quels facteurs ont conduit à l’émergence de ce cerveau plus complexe ? On en dénombre beaucoup, parmi lesquels la gestion des relations sociales. Le fait d’avoir un cerveau plus complexe a permis aux premiers humains de gérer les relations sociales et la coopération entre de très nombreux individus, ce qui a rendu possible une meilleure coopération. D’autre part, des cerveaux plus grands permettaient de mieux chasser, surtout de grands animaux comme les cerfs, les mammouths et les grands félins, les chasseurs devenant capables d’acquérir et de stocker de grandes quantités d’information sur le comportement des proies et de mettre au point des stratégies coopératives qui compensaient leur moindre force. La chasse leur a permis d’obtenir des aliments favorisant la croissance du cerveau et donc de mieux chasser. C’est la première boucle de rétroaction (ou feedback) de ce processus évolutif.

Mais un cerveau plus grand demande une plus grande tête. Et la sélection naturelle s’est alors heurtée à une barrière physique. Étant donné la forme du bassin humain, qui nous permet de marcher sur deux jambes, la tête du nouveau-né ne peut excéder une certaine taille. Il existe plusieurs solutions à un tel problème. Celle qui s’est imposée, c’est que les premiers humains ont commencé à donner naissance à des bébés pré‑ maturés. Ils venaient au monde alors que leur « cuisson » n’était pas finie, pour ainsi dire, à cause de ce problème de la taille du crâne humain à la naissance.

Cela a grandement augmenté ce que l’on appelle l’« altricialité » du lignage humain, c’est-à-dire le fait que les petits d’humains sont sans défense à la naissance et passent par un long processus de développement avant de parvenir à maturité. La progéniture altricielle exigeait un investissement parental intensif, en particulier s’agissant de l’allaitement, de sorte que pendant une bonne partie de leur vie adulte, les femmes ou bien étaient enceintes ou bien allaitaient, ce qui restreignait leur participation à la chasse. Même sevrés, les enfants exigeaient soins et protection, ce qui limitait encore plus la capacité des femmes à se procurer des ressources. La disponibilité d’une alimentation plus riche, sous la forme de viande, aurait compensé ce désavantage.

Une autre boucle de rétroaction est apparue avec l’invention de la cuisine. La cuisson brise les parois des cellules végétales et atténue leur toxicité, et elle prédigère la viande crue.

L’ensemble de ces facteurs a sans doute contribué à accélérer l’évolution du cerveau, parce que l’alimentation était de meilleure qualité mais aussi parce que cela réduisait le besoin d’une digestion intensive. Comme l’a suggéré l’anthropologue Leslie Aiello, cerveau et digestion se sont trouvés liés au cours de l’évolution humaine. Le cerveau est un organe coûteux – il accapare environ 20 % de notre consommation en énergie alors qu’il ne représente que 2 % de notre poids. Les premiers humains ont pu investir davantage dans cet organe très coûteux parce qu’ils avaient moins besoin des tissus tout aussi coûteux du système digestif. Comparé aux intestins des autres grands singes, le nôtre est moins développé.

L’altricialité a augmenté le coût de la reproduction pour les femmes. Une partie de cette augmentation a été compensée grâce à l’aide des autres, sous la forme de coopération dans l’élevage des enfants. Comme l’a souligné l’anthropologue Sarah Hrdy, le soin des enfants est devenu en partie l’affaire du groupe, et de nombreux individus, génétiquement apparentés ou non, se sont partagé les tâches de surveillance et de protection. Un événement évolutif dont on ne peut négliger l’importance fut l’apparition de la ménopause. À la différence des autres primates, les femelles humaines vivent longtemps après la fin de leur fertilité, caractéristique qui intrigue depuis longtemps les biologistes de l’évolution. L’allongement de la durée de vie et l’apparition de la ménopause ont conduit à l’émergence des grands-mères, des individus capables d’investir plus de temps et d’énergie dans l’élevage de leurs petits-enfants, au lieu de continuer à enfanter. Les faits évolutifs quant à l’apparition de la ménopause ne sont pas parfaitement clairs mais cette nouveauté physiologique a probablement conduit à une nouvelle boucle de rétroaction adaptative. Les bébés exigeaient plus de protection et d’investissement, que les mères pouvaient leur procurer grâce à l’aide supplémentaire qu’elles recevaient, ce qui permettait de donner naissance à d’autres bébés sans défense et de les élever. 

Extrait du livre de Pascal Boyer, « La Fabrique de l'humanité Comment notre cerveau explique la famille, l'économie, la justice, la religion... », publié aux éditions Robert Laffont.

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