L’Europe enterre le moteur thermique… et s’enterre en même temps<!-- --> | Atlantico.fr
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Des députés européens participent à une séance de vote lors d'une session plénière au Parlement européen à Strasbourg, le 8 juin 2022.
Des députés européens participent à une séance de vote lors d'une session plénière au Parlement européen à Strasbourg, le 8 juin 2022.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Objectifs pour le climat

Le Parlement européen a voté la proposition de la Commission concernant l'arrêt des ventes de voitures neuves essence et diesel à partir de 2035. La fin des moteurs thermiques s’intègre dans le cadre du plan climat de l’UE.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Que les technocrates de la Commission Européenne continuent à vouloir éradiquer nos voitures automobiles thermiques, on le savait, mais que le Parlement Européen élu par les peuples se conforment à cette idée stupide est ahurissant. C’est, en tous les cas une illustration de ce que l’Europe ne doit pas être, ne doit plus être : une superstructure éloignée à la fois de la science et du réel.

La lutte acharnée contre l’automobile actuelle vient de bien des horizons, mais l’accélération est venue de la pollution des villes et des raisonnements sur le réchauffement climatique. Il n’y a pas convergence obligatoire entre les deux notions, mais l’automobile pollue et rejette du CO2 dont il faut répéter (hélas pour enseignement national !) que ce n’est pas un polluant.

En ce qui concerne le premier point, c’est-à-dire les conurbations et l’air qu’on y respire, c’est le problème des déplacements qui est posé avec des populations diverses et un déficit toujours plus grand des solutions collectives à mesure que les densités augmentent. L’industrie automobile avait fini par considérer que le meilleur compromis économique était le véhicule essence ou diesel au détriment, en particulier, du véhicule électrique handicapé par le poids des batteries et la logistique de recharge (installations et temps). La remise en question de ce choix séculaire dure depuis une vingtaine d’années et les constructeurs se sont mis lentement en mouvement aussi bien pour alléger les batteries que pour envisager des bornes de recharge efficaces, le consommateur avait trop bien acclimaté le véhicule thermique et des progrès sur la pollution et la consommation. C’est le combat contre les fossiles (qui représentent 80 % de la consommation énergétique mondiale), les rapports du GIEC, et la volonté de réduire les émissions de CO2 qui vont conduire à des incitations fortes pour favoriser l’achat de véhicules électriques et donc des pénalités nombreuses contre les motorisations existantes allant jusqu’à des interdictions de circuler. L’hybridation, qui fait cohabiter les deux disciplines, envisagée dès le choc pétrolier en 1973 ,fait aussi sa réapparition avec comme leader le premier constructeur mondial le Japonais Toyota. Voitures électriques comme hybrides sont clairement des solutions pour limiter la pollution dans les villes, elles sont inconfortables pour les trajets longs (hors des villes) et les incitations et interdictions ne déchainent pas l’enthousiasme des consommateurs . C’est là que les technocrates s’indignent , le peuple, les peuples, n’ont rien compris, il va falloir aller plus vite, plus loin… mais comment obliger ces imbéciles à faire le bien ?

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La Norvège (qui n’est pas dans l’Europe organisée) est le pays qui a sans doute été le plus loin dans la généralisation du véhicule électrique parce que son hydroélectricité est abondante et bon marché et qu’elle préfère vendre aux autres pays son pétrole et son gaz, a finalement acté une cohabitation (thermique-électrique) à peu près à égalité avec des avantages de circulation et de stationnement énormes dans les villes pour l’électrique. Elle n’a pas envisagé l’éradication du thermique, peut-être par souci de la démocratie ? Qui sait ? L’habitude de l’humanité des cohabitations techniques ?

Alors, puisqu’interdire les villes ne suffit pas, on fait appel au climat et à la planète. Le CO2 c’est la voiture, c’est le réchauffement climatique, c’est la fin du monde pour demain, et la voiture électrique pour tous c’est la solution en commençant par nous les français et les européens qui avons beaucoup péché depuis des dizaines d’années et qui devons faire pénitence. Et c’est là que le raisonnement dérape, c’est qu’il faut démontrer que « c’est bon pour le climat » alors que c’est plus cher et que cela met par terre une bonne partie de notre tissu industriel et d’artisanat. Il faut donc que toutes les publications manipulent l’opinion sur « pollution et climat même combat », jusqu’à enregistrer le CO2 comme un dangereux polluant ! En dehors de faire de l’anti-industrie, de créer un chômage de masse en Europe et d’abord en France comme d’habitude, on fait aussi de l’anti-science c’est-à-dire qu’on essaie de nous faire prendre des vessies pour des lanternes… et que cela marche !

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Si l’on veut « décarboner » le fonctionnement de l’humanité qui en est dépendante à 80% , il faut prendre des mesures efficaces pour y arriver et donc étudier avec précision là où l’on peut agir au moindre cout -économique et social- pour modifier les tendances lourdes liées à une démographie galopante… émettrice de CO2. Ce travail, élémentaire, est effectué par des centaines de scientifiques, mais ils deviennent de plus en plus inaudibles puisqu’ils ne récitent pas les psaumes, à savoir ceux de la voiture électrique ! La bonne façonde raisonner est bien celle de faire le bilan carbone des activités humaines et de trouver les solutions pour améliorer ce bilan. L’automobile européenne est marginale pour « sauver la planète » ! On peut trouver des véritables priorités.

Il faudrait donc, au minimum,avant de décider que le véhicule thermique doit être remplacé d’urgence par le véhicule électrique, partout en Europe et dans le monde, faire le bilan carbone des deux solutions, non pas en faisant des prévisions pour les uns et en n’imaginant pas de progrès pour les autres, mais en responsabilité non militante. Il n’y a aujourd’hui aucune évidence depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la mise au rencart des véhicules d’un avantage pour le véhicule électrique. En ce qui concerne le « climat » ou la « planète », il n’y a pas de raison aujourd’hui de préférer une des deux solutions.

Mais il faut rajouter un certain nombre de considérations économiques, c’est-à-dire que si le nombre de composants des voitures électriques est nettement plus faible que celui des véhicules thermiques, le prix des véhicules thermiques est structurellement inférieur. En plus la nécessité de recourir pour l’électrique à des métaux rares ne va pasaméliorer les chosesavec le temps ! Remplacer un véhicule pratique et bon marché par un véhicule à la logistique plus difficile et surtout plus cher, cela s’appelle chercher les explosions sociales… peut-être l’objectif des parlementaires européens mais surement celui des technocratessiégeant à Bruxelles.

Le fond des décisions annoncées est donc très contestable mais si elles sont votées c’est que le microcosme de ces Parlements, européens comme nationaux, est essentiellement urbain, bureaucratique et éloigné des réalités avec une éducation scientifique, technique et industrielle de plus en plus sommaire. Certains pays européens résistent mieux à la désindustrialisation que le nôtre, mais les personnes qui nous représentent ont globalement envie d’une Europe propre sans usines, sans risques, sans industrie, sans travail, un cocon servant de vitrine au monde entier… avec des débats qui ne regardent jamais les conséquences industrielles des mesures discutées.

Le lithium, par exemple est devenu un produit essentiel pour les smart phones comme pour les batteries électriques de nos (futures) voitures. D’où vient-il ? De pays éloignés comme la Bolivie ou le Chili, le Tibet… Pourquoi ? Parce que son extraction est moins chère là-bas. Nous en avons chez nous ? Oui , un peu partout dans le monde et même un beau gisement en Bretagne. On ne l’exploite pas ? Non ! C’est trop sale, il y a très peu de lithium dans des tonnes d‘autre chose, pour l’environnement ce n’est pas très convenable et puis le travail est rude… et mal payé ! Et si on le faisait en France ? Les écolos sont contre, les voisins sont contre, et puis ce serait beaucoup plus cher avec nos salaires et nos charges… sans compter le surcout des normes d’extraction rigoureuses. Cela conduirait à un prix exorbitant des batteries et là le véhicule thermique serait vraiment très bon marché. Mais est-ce que l’extraction actuelle du lithium est bon pour la planète ? Surement pas, mais c’est bon pour nous !

L’on pourrait multiplier ce dialogue sur une multitude de matières premières nécessaires aux métropoles, dont l’extraction et le destin sont inconnus du citoyen, mais qui font aussi partie de notre planète, de notre écosystème…La mesure prise par le Parlement Européen n’est pas bonne pour la planète, pas bonne pour les citoyens européens, pas bonne pour son industrie, pas respectueuse de l’avancée des sciences et des techniques, pas bonne non plus pour la démocratie représentative et enfin désastreuse pour l’idée, le rêve européens, c’est avec des votes de cette nature que l’Europe s’enterrera.

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