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L’étude sur le populisme en Europe qui montre à quel point Emmanuel Macron en est lui aussi le produit
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

La preuve

Selon une étude conduite dans huit pays européens, le clivage droite gauche persiste au sein des populations, mais la vague populiste touche l'ensemble du spectre politique, notamment sur la base d'un "rejet des élites".

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le PEW Research Center a conduit une étude sur 8 pays européens (France, Danemark, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Espagne, Suède et Royaume-Uni), en interrogeant plus de 16 000 personnes, et offre une nouvelle vision de la scène politique du continent.  Si le clivage droite gauche persiste au sein des populations, la vague populiste touche l'ensemble du spectre, de la droite, à la gauche, en passant par le centre, notamment sur la base d'un "rejet des élites". Dans quelle mesure Emmanuel Macron pourrait-il être un représentant de ce "populisme du centre" qui a pu s'appuyer sur un "nouveau monde" ? 

Christophe Bouillaud :Selon les chercheurs du PEW Research Center, à la fin de l’année 2017, au moment du sondage, La République En Marche (LREM) est en un parti d’autant plus apprécié des électeurs sondés en France qu’on se trouve être un électeur aux attitudes moins populistes et aux inclinations de centre ou de droite.  Ici un électeur « populiste », c’est quelqu’un qui répond d’une part que « les politiciens ne s’occupent pas des gens ordinaires comme lui » et qui pense d’autre part que « les gens ordinaires feraient aussi bien s’ils étaient au pouvoir  que les politiciens ». Le populisme, évalué par la réponse à ces deux seules questions, est donc ici résumé au seul « antiélitisme » des électeurs.  Il n’y a pas par exemple d’évaluation de la dimension charismatique du populisme, c’est-à-dire la croyance en un chef visionnaire, ou dans la dimension anti-pluraliste de ce dernier, c’est-à-dire celle en l’existence d’un peuple unifié par nature dans ses intérêts contre des minorités de malfaisants – deux dimensions souvent cités par les spécialistes du populisme.

Or, avec cette façon de mesurer le populisme, déjà à la fin de 2017, LREM est toujours mieux jugé par les électeurs qui ne répondent pas oui à ces deux items. . Et ceux qui  jugent le plus négativement LREM sont les électeurs populistes de gauche – probablement ceux de la France insoumise : 21% des  « populistes de gauche » apprécient LREM contre 47% des « élitistes de gauche ». 41% des « populistes de centre » contre 54% des « élitistes de centre », et enfin 46% des « populistes de droite » contre 57% des « élitistes de droite ». De ce point de vue, LREM se distingue par exemple du Mouvement 5 Etoiles (M5S) italien, bien apprécié au contraire des électeurs » populistes » italiens, qu’ils soient de gauche (44%), du centre (54%) ou de droite (43%).

Autrement dit, du point du vue du jugement des sondés français, déjà en décembre 2017, LREM n’est pas un parti « populiste ». D’ailleurs, en s’appuyant sur un autre sondage fait parmi les seuls experts de science politique, les auteurs de l’étude ne mettent pas LREM parmi les partis populistes, ni ceux de droite, ni ceux de gauche, ni non plus parmi les partis traditionnels de gauche ou de droite. Dans leur classification sur les huit pays concernés,  LREM n’a qu’un seul équivalent le parti espagnol, Ciudadanos. Ce sont effectivement deux partis de création récente, libéraux, pro-européens, très populaires dans l’opinion de leurs pays respectifs au moment du sondage. Ils sont tous les deux bien plus appréciés par les électeurs mainstream (pour reprendre le vocabulaire des auteurs) que des électeurs « populistes », et toujours bien plus appréciés au centre et à droite qu’à gauche.

Ce sont donc deux partis nouveaux qui séduisent les électeurs qui croient à l’élitisme, mais qui veulent de nouvelles élites. C’est donc un rejet des élites des partis traditionnels déjà en place (en France, celle des socialistes et des républicains, en Espagne, du PP, des nationalistes catalans et du PSOE), mais pas du tout un rejet de l’idée même d’élite qui sait mieux que le peuple ce qui est bon pour lui. On peut appeler cela « populisme du centre » à cause de la tonalité « dégagiste » des propos tenus lors des campagnes électorales par les leaders de ces deux partis, mais c’est surtout un renouvellement des élites au sens fort du terme qui est proposé. « Tout changer pour que rien ne change », diraient certains.

Comment interagissent ces clivages droite-gauche-centre et l'émergence du populisme ? En quoi pourrait-on considérer qu'Emmanuel Macron a besoin d'une opposition populiste, que celle-ci soit de droite ou de gauche ? 

D’après le sondage PEW, la dimension anti-élitiste/populiste est dominée par la dimension gauche/droite. L’anti-élitisme, qui est certes corrélé avec une défiance vis-à-vis des institutions par exemple ou avec une expérience plus longue du chômage, correspond à un choix électoral qui radicalise chacun à partir d’un choix de fond pour la droite ou la gauche. Pour prendre une image et pour simplifier, sur le cas français, le sympathisant socialiste devient insoumis, et le sympathisant républicain devient frontiste. Pour les auteurs, il n’existe du coup presque aucun parti populiste qui échapperait à une classification gauche /droite vu depuis les gens qui l’apprécient, et donc à une préférence idéologique préalable des électeurs.  Pour les pays concernés par l’enquête, la plupart des partis populistes (le FN en France, l’AfD en Allemagne, etc.) sont donc à droite ou à l’extrême droite, et deux seulement sont à gauche ou l’extrême-gauche  (Podemos en Espagne et la France insoumise en France). Les auteurs classifient le M5S au centre-droit, sur la foi du sondage d’experts politologues auquel nous avons déjà fait allusion. Du point des mêmes experts, LREM n’est pas un parti marqué par l’anti-élitisme (une note de 3,9 sur 10, plus élitiste donc que  le Parti conservateur britannique, noté à 4,4, pour 9,9 pour le M5S par exemple, avec 10 comme le summum de l’anti-élitisme).

Pour ce qui est d’E. Macron, il n’a donc pas besoin d’une opposition populiste, au sens que il ne s’agit pas d’un complot de sa part. Les sondés de fin 2017 ne se trompent simplement pas sur le produit qu’il leur offre : un « Jupiter » passé par les meilleures écoles de la République. Par contre, les électeurs « populistes », déjà à la fin de 2017, l’avaient jugé comme ne correspondant pas à ce qu’ils voulaient. Toute la tendance à l’accentuation du caractère monarchique, voire autocratique, du présidentialisme français (y compris avec la réforme constitutionnelle proposée ces jours-ci), tout le mépris affiché à longueur de mois pour les corps intermédiaires (syndicats, associations, etc.) ou pour les collectivités locales de toutes les couleurs politiques, ont été repéré comme des défauts par les électeurs qui veulent une gouvernance plus démocratique de la France. Comme avec l’Inspecteur des finances, E. Macron, c’est un super-technocrate au pouvoir, cela déplait à tous ceux qui auraient voulu donner plus la parole au peuple, entendu comme les citoyens ordinaires. Et, inversement, LRM et E. Macron plaisent à ceux qui pensent que la politique est une affaire de spécialistes, et que la seule chose que doit faire le peuple en votant, c’est de choisir le bon spécialiste. Comme l’a dit un jour, sans doute par dépit, Jean-François Coppé,  E. Macron est le Président de droite que la droite n’a pas su distinguer en son sein.

Si la forme donnée au quinquennat d'Emmanuel Macron peut ainsi être assimilée à une forme de populisme du centre, en quoi son action politique peut-elle différer de cette forme ? 

Dans la mesure où E. Macron rappelle à de multiples occasions qu’il a pris la suite de gens incapables qui n’ont rien fait pour la France depuis des décennies, il continue à jouer sur cette corde du « populisme du centre », d’un populisme donc qui n’est pas contre l’idée d’élite, mais qui veut une autre élite, et qui n’est donc pas très apprécié par les électeurs « populistes » au sens d’électeurs qui se méfient justement des élites.

Cela vaut bien sûr tant qu’il pourra incriminer l’héritage des prédécesseurs – tout en faisant oublier qu’il fut un conseiller économique écouté de F. Hollande, puis un Ministre de ce dernier. Mais, comme il se veut aussi le responsable de tout dans ce quinquennat, comme le chef omnipotent et omniscient, quoiqu’humble et faillible selon ce qu’il a dit devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles, peut arriver le moment où une partie de nos concitoyens lui reprocheront ses erreurs d’une part et son absence d’écoute des volontés des Français d’autre part. Son gouvernement vient ainsi de refuser de porter devant le peuple la réforme constitutionnelle. C’est significatif de son éloignement de toute pratique « populiste » au sens donné par ce terme par la recherche du PEW Research Center. Les représentants représentent, le bon peuple élit ses représentants ou plutôt son chef, et cela suffit pour se dire en démocratie. C’est là se mettre complètement à contre-courant des aspirations à participer à la décision publique de beaucoup de nos concitoyens.

En 2022, lorsqu’E. Macron cherchera très probablement à se faire réélire, il sera sans nul doute encore plus classé par les électeurs « populistes » comme l’essence même de l’élitisme. Au risque de me répéter, si en décembre 2017, les électeurs français ont déjà repéré, comme les experts, que LREM est un parti aussi peu démocratique que ses concurrents défaits du PS et des Républicains, quel sera leur jugement d’ici la fin du quinquennat ?

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