L'Asie se livre à la plus grande course aux armements depuis la Guerre froide<!-- --> | Atlantico.fr
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En Asie, la course aux armements a débuté.
En Asie, la course aux armements a débuté.
©Reuters

Ruée vers les sous-marins

La Chine s'est longtemps distinguée en augmentant ses dépenses militaires à un rythme chaque année supérieur à 10%. Le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam, les Philippines, l'Inde et Singapour viennent eux aussi de décider d'accroître leurs dépenses militaires. La course aux armements a débuté.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Le 10 janvier, la Chine envoyait deux avions de chasse pour "contrer" deux chasseurs F-15 japonais qui eux-mêmes suivaient un avion patrouilleur chinois en mer de Chine orientale. A l'origine de ces tensions : une dispute territoriale entre les deux pays.

Plusieurs articles de la presse internationale ont fait récemment état d’une course aux armements en Asie de l’Est. De longue date, derrière la Corée du Nord, la Chine se distinguait en augmentant ses dépenses militaires à un rythme  chaque année supérieur à 10%. Cela contrastait alors avec les autres pays asiatiques

Ce n’est plus le cas. Le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam, les Philippines, l’Inde et Singapour se sont réveillés et viennent de décider les uns d’accroître leurs dépenses militaires, les autres d’en accentuer la progression. On évoque à juste titre "une course aux armements en Asie de l’Est". Nous entreprenons ici d’expliquer cette évolution ; c’est l’attitude agressive que, depuis 18 mois, la Chine développe à l’égard de ses voisins qui explique cette course aux armements.

Successivement, à l’été 2011 puis à l’été 2012, Pékin a entrepris deux offensives territoriales, successives mais articulées, qui viennent délibérément violer les règles internationales en matière de souveraineté et qui menacent très directement les pays voisins.

Ces deux initiatives agressives, on le verra, sont à la fois ahurissantes,  injustifiables et inacceptables. Elles légitiment complètement la vive inquiétude des pays voisins de la Chine et leur volonté de s’en protéger en s’armant davantage.

Été 2011, première offensive territoriale : la Mer de Chine du sud (3.500.000 km2)

Par une lettre recommandée adressée à l'été 2010 au siège de l’ONU, Pékin, sans autre argument que la "loi du plus fort", décide soudainement alors de revendiquer officiellement "la pleine souveraineté" sur la Mer de Chine du sud, celle qui s’étend de Canton, Hong Kong et Taïwan au nord à Singapour et Brunei au sud et du Vietnam à l’ouest aux Philippines à l’est.

south china sea

U.S. Energy Information Administration

Par la suite, Pékin vient mettre les points sur les i ; la pleine souveraineté signifie à ses yeux deux conséquences lourdes : la Chine s’approprie tout le sous-sol sous-marin (dont on sait qu’il est riche en pétrole et en gaz) et la Chine devient le seul pays à pouvoir y faire circuler sa marine de guerre.

Pour bien comprendre l’enjeu de cette première offensive territoriale, il faut se rappeler ceci : la Mer de Chine du sud s’étend sur 3.500.000 km2, ce qui se compare à la Mer Méditerranée qui s’étend elle sur seulement 2.500.000 km2. La façade de la Chine sur la Mer de Chine du sud est en proportion égale à celle de la Turquie actuelle sur la Mer Méditerranée.

Transposée chez nous, la démarche récente de la Chine en Asie du Sud-Est, se ramènerait à ce que la Turquie vienne revendiquer la pleine souveraineté sur toute la Mer Méditerranée. Le sous-sol sous-marin lui reviendrait. Et d’Istanbul à Gibraltar, de Marseille à Alexandrie, de Barcelone à Beyrouth, seule la marine de guerre turque serait habilitée à croiser. La Turquie brusquement obtiendrait ainsi une frontière commune avec la Croatie, l’Italie, la France, l’Espagne, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, Israël et le Liban. Et tous ces pays qui seraient devenus de facto frontaliers de la Turquie et qui seraient dépourvus de facto de leur marine de guerre en Méditerranée, verraient leur zone méditerranéenne exposée en permanence à des initiatives agressives de la marine de guerre turque. On imagine facilement le cauchemar pour les pays concernés.

C’est ce qu’au seizième siècle, la Turquie Ottomane alors triomphante avait d’ailleurs tenté d’obtenir. Si elle fut mise en échec, c’est uniquement parce que les autres Etats méditerranéens, prenant la mesure de cet énorme danger, s’étaient alors coalisés et armés jusqu’à infliger à Lépante (1570) une défaite cinglante à la flotte turque.

Si aujourd’hui la Chine livre à son tour un défi majeur aux pays d’Asie du Sud-Est, c’est parce que, comme la Turquie du seizième siècle, elle se sent maintenant très puissante, ayant accumulé des succès renouvelés sur de multiples fronts, commercial, technologique, industriel, économique, financier, monétaire, diplomatique, institutions internationales, soft power, intrusions informatiques, armements, spatial….

Cette ivresse de la puissance récemment acquise lui commande désormais de "transformer l’essai" en allant marquer des points sur un  front majeur, celui des territoires. Cette ivresse de la puissance, on la retrouve d’ailleurs dans l’absence de tout argumentaire de Pékin pour tenter de justifier sa décision au regard des règles internationales, dans le refus affiché par Pékin d’envisager quelque concession aux pays voisins et enfin dans le refus opposé par Pékin à toute négociation multilatérale, renvoyant les pays directement concernés (Vietnam,  Singapour, Malaisie, Indonésie, Brunei, Philippines) à des négociations bilatérales avec le grand frère chinois. 

Eté 2012, deuxième offensive territoriale : la Mer de Chine de l’est (1.250.000 km2)

La Chine entreprend alors de revendiquer, officieusement cette fois, sa souveraineté sur la mer de Chine de l’est, celle qui va de Taiwan et Hong-Kong au sud à la Corée du Sud au nord et de Shanghai à l’ouest à Okinawa à l’est.

C’est en contestant soudainement au Japon sa souveraineté sur les îlots Senkaku qu’il occupe  pourtant depuis très longtemps que la Chine amorce sa démarche. Nul ne s’y trompe. La coïncidence des dates et la même arrogance dans la démarche  chinoise indiquent trop évidemment que la Chine recherche en Mer de Chine de l’est le même type de résultat que celui qu’elle recherche en Mer de Chine du sud.

Le vrai projet stratégique de la Chine consiste à se constituer une vaste "mare nostrum", de Singapour à Séoul de laquelle seraient évincées toutes les autres marines de guerre (Etats-Unis en premier lieu, Taiwan, Japon, Corée du sud, Vietnam en deuxième lieu). Seule la marine de guerre chinoise, très puissante et très moderne (munie en particulier de sous-marins à propulsion nucléaire sachant naviguer en eaux très profondes) y croiserait. 

Pékin voit de multiples avantages à concrétiser la stratégie qu’il vient d’amorcer en Asie de l’Est

1) Pékin disposerait d’un réservoir de matières premières, à la fois formidable et vierge de toute exploitation antérieure.

2) Pékin porterait un coup géopolitique très sévère aux Etats-Unis. Si la flotte américaine devait finir par être évincée, il deviendrait beaucoup plus difficile aux Etats-Unis de continuer à jouer leur rôle protecteur des pays asiatiques face aux ambitions de Pékin.

3) D’un coup, Pékin affaiblirait militairement tous les pays voisins. Le Japon, son principal rival local, serait très affaibli. Le Vietnam, son ennemi historique, verrait même sa marine complètement paralysée.

4) Pékin disposerait même, à travers son contrôle des deux mers par sa marine de guerre, d’une formidable arme de menace et de dissuasion sur tous les pays voisins. Cela lui permettrait d’extraire de ses voisins toutes sortes de concessions sur tous les sujets. Ce serait un levier très efficace pour extraire davantage ces pays de l’orbite américaine et pour se les subordonner de plus en plus.

5) Taiwan tomberait comme un fruit mur dans les mains de Pékin. Taiwan s’est déjà beaucoup rapproché de Pékin sur les plans commercial et financier. Taiwan cherche cependant à maintenir sa souveraineté. Si la Chine s’emparait des deux mers, Mer de Chine du sud et Mer de Chine de l’est, Taiwan qui se situe à la charnière de ces deux mers se trouverait alors enclavé dans les eaux territoriales de la Chine. Ipso facto, Taiwan perdrait sa souveraineté.

6) Et si Pékin devait l’emporter sur ces deux dossiers, ce serait surtout le triomphe de l’arbitraire et de "la loi du plus fort". Les pays de l’Asie de l’Est deviendraient alors terrorisés et tétanisés par Pékin tout comme les pays d’Europe centrale le devinrent après qu’en 1938, Hitler, violant la légitimité de la Tchécoslovaquie, se fut emparé du territoire des Sudètes sans coup férir.

Si Pékin devait l’emporter sur ces deux dossiers maritimes, il faudrait en déduire qu’il se serait alors virtuellement emparé de toute l’Asie de l’Est, ce qui serait pour lui un tremplin formidable pour atteindre son objectif final, l’hégémonie mondiale (voir mon livre co-écrit avec JP Guichard : "La visée hégémonique de la Chine").

Les pays voisins de la Chine et les Etats-Unis ont d’ailleurs très bien compris les enjeux. C’est pourquoi les premiers se précipitent à renforcer leurs capacités militaires et que les deuxièmes multiplient les accords bilatéraux avec de nombreux pays voisins de la Chine pour organiser leur soutien au cas où la Chine chercherait à concrétiser  effectivement la démarche agressive qu’elle vient d’amorcer.

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