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L’ahurissant bobard de la montre suisse qui valait un million, mais qui n’était pas à Vladimir Poutine
©Odd ANDERSEN / AFP

Fake News

Poutine n’a pas assez de poignets pour porter toutes les montres de luxe qu’on le soupçonne d’accumuler…

Grégory Pons

Grégory Pons

Journaliste, éditeur français de Business Montres et Joaillerie, « médiafacture d’informations horlogères depuis 2004 » (site d’informations basé à Genève : 0 % publicité-100 % liberté), spécialiste du marketing horloger et de l’analyse des marchés de la montre.

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On ne sait pas si c’est de la désinformation dans le goût américain ou de la myopie typique des réseaux sociaux, mais le dernier ragot horloger à la mode est d’attribuer au président russe Vladimir Poutine la propriété d’une montre Patek Philippe valant un million d’euros. Le rapport très exclusif du président russe aux belles montres est une rumeur récurrente, savamment entretenue par ses opposants de l’intérieur et par ses ennemis de l’extérieur : le locataire du Kremlin disposerait, nous jure-t-on, d’une fabuleuse collection de montres de luxe, qu’on ne lui voit jamais porter mais dont la valeur cumulée représenterait deux grosses décennies de son salaire présidentiel !

Ce bobard vient d’être relancé, en Europe et aux Etats-Unis, par l’annonce d’une prochaine vente aux enchères à Monaco : la maison genevoise Antiquorum y adjugera cet été une montre à « grandes complications » de la prestigieuse manufacture Patek Philippe. Cette montre de référence 5208P en platine est à la fois un chronographe de haute mécanique, un « quantième perpétuel » (capable d’afficher précisément la date, le jour, le mois, les phases de la lune et l’année bissextile jusqu’en l’an 2100) et une « répétition minutes » (pour faire sonner à la demande les heures et les minutes). Autant dire une montre très rare, qui se négocie généralement autour du million d’euros. La surprise vient du très officiel certificat d’origine délivré par Patek Philippe. On y découvre le nom de… « Vladimir Vladimirovitch Poutine » (écrit à l'anglaise), ainsi que le nom de la boutique londonienne qui a délivré ce certificat : Watches of Switzerland. Il n’en fallait pas plus pour relancer le Poutine bashing. Le Point affirme ainsi froidement de cette montre que son « ancien propriétaire [est] un certain Vladimir Poutine ». Normal : sa « passion horlogère » serait un « secret de Polichinelle », sans qu’on puisse s’expliquer comment le président russe peut « s'offrir des garde-temps d'exception dont la valeur dépasse en principe son revenu annuel »…

Sauf que rien ne permet de relier cette montre de millionnaire à Vladimir Poutine. Sinon ce seul « certificat d’origine ». Business Montres a pu remonter la filière pour savoir ce qu’il en était. Watches of Switzerland a bien vendu cette pièce à un de ses bons clients, oligarque russe qui souhaitait l’offrir à Vladimir Poutine, mais qui a eu la mauvaise idée de faire marquer le nom du président russe comme « propriétaire ». On sait que les cadeaux horlogers en montres de luxe sont très fréquents dans les régimes autocratiques de cette planète (pétro-monarchies, narco-dictatures, Chine communiste, Russie néo-impériale, Afrique post-coloniale, etc.). Cette pratique courtisane relève moins de la « corruption » que de la marque d’affection et de l’hommage déférent d’un vassal à son suzerain…

Le problème est que Vladimir Poutine aime beaucoup moins les montres qu’on ne le dit… Il ne porte guère qu’une Blancpain suisse d’un type « militaire » relativement sobre et il lui arrive parfois d’offrir sa montre personnelle à des ouvriers lors de ses visites présidentielles en Russie ! Malchance pour l’oligarque : la présidence russe a refusé cette Patek Philippe offerte en cadeau ! Son acheteur s’est retrouvé avec une montre neuve, jamais portée mais de seconde main, affublée en outre d’un certificat de propriété un peu particulier. Certificat qui pose problème : jamais Patek Philippe n’accepte de faire endosser ce type de certificat par un autre que l’acheteur ! On imagine que Watches of Switzerland a préféré céder au caprice de son bon client oligarque plutôt que de perdre la vente d’une montre tarifée autour du million. La montre a donc été revendue, « d’occase », à un marchand spécialisé qui veut la proposer aux enchères chez Antiquorum, lors de la prochaine dispersion estivale à Monaco.

C’est tout ! Pas de quoi en faire le vecteur d’une opération anti-Poutine, qui doit bien rigoler de toutes les désinformations américano-pilotées autour de sa passion compulsive pour les montres de grand luxe. S’il aime bien les montres montres, comme toute l’élite russe, le maître du Kremlin n’a sans doute même jamais entendu parler de cette rare Patek Philippe en platine, de toute façon trop lourde et trop encombrante pour son poignet relativement menu…

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