L’affaire Joshua Katz : sectarisme, lâcheté et médiocrité à Princeton<!-- --> | Atlantico.fr
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Des étudiants sur le campus de l'Université de Princeton. Joshua Katz a été contraint de quitter ses fonctions à Princeton.
Des étudiants sur le campus de l'Université de Princeton. Joshua Katz a été contraint de quitter ses fonctions à Princeton.
©WILLIAM THOMAS CAIN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Monde universaitaire

Joshua Katz, professeur de linguistique classique de renommée mondiale et titulaire d’une chaire à Princeton, a été renvoyé à la suite d’une chasse aux sorcières orchestrée par les autorités académiques.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Les histoires de sectarisme et de déliquescence intellectuelle des universités américaines se suivent et se ressemblent. Elles sont si nombreuses, si extravagantes, si outrancières que nous les digérons blasés ou amusés et les oublions aussi que vites que nous les lûmes. Il est devenu monnaie courante d’apprendre que Beethoven ou Platon sont trop blancs, que Mozart est avant tout impérialiste, que les mathématiques et la physique sont à déconstruire de leur racisme inhérent ou qu’il est normal que des étudiants musèlent violemment des enseignants de peur d’être offensés. Alors quand dans cette abondance d’hystérie, l’énième de ces anecdotes suscite colère et indignation, il y a de quoi tirer, pour la énième fois également, un signal d’alarme. Justement, parce ces « anecdotes » sont avant tout des signaux d’alarme.

C’est le cas de l’affaire Joshua Katz, professeur de linguistique classique de renommée mondiale, titulaire d’une chaire à Princeton et qui, fait rarissime, vient d’en être chassé à la suite d’une chasse aux sorciers (au masculin) savamment orchestrée par les autorités académiques. Dans un parfait exercice de lâcheté vertueuse entre Tartuffe et Torquemada, le Président de Princeton C. Eisgruber a enfin obtenu la tête de Katz sur un plateau d’argent. Pour quelle raison au juste ? Pour un crime de lèse-divergence intellectuelle, pour l’insolence d’avoir publiquement critiqué les politiques racialistes que Princeton cherche à imposer. Rien d’autre.

Oui, rien d’autre, quoi qu’en dise ou invoque Eisgruber. Joshua Katz paye au prix fort sa très nuancée liberté d’expression et non pas une prétendue faute du passé qui n’a servi que de veule alibi à sa persécution. En effet, dans ses jeunes années, Katz eut une liaison parfaitement consentie avec une étudiante majeure. Faute morale ? En tout cas, faute professionnelle selon les statuts de Princeton que le professeur reconnut et pour laquelle il purgea une sanction d’un an de mise à l’écart sans solde une bonne dizaine d’années après les faits. Cher payé. Affaire close, à moins de bien vouloir cyniquement la dépoussiérer pour justifier une vindicte idéologique et sanctionner un délit d’opinion.

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Lequel ? Dans la foulée de l’émotion et la névrose suscitée par le meurtre de George Floyd, sous la pression d’enseignants et d’organisations d’étudiants, Princeton intensifie le processus de « décolonisation » et de repentance déjà amorcé. Plus de 350 professeurs et étudiants publient en juillet 2020 une liste de demandes pour remédier au prétendu « racisme systémique » de l’institution et contre le « privilège blanc ». Une lettre qui commence d’ailleurs par un très mesuré « Anti-blackness is foundational to America ». Selon Katz, certaines de ces propositions allaient dans le bon sens, mais d’autres lui paraissaient sincèrement immorales et discriminatoires. Par exemple, déboulonner des statues, que le personnel académique de couleur soit mieux payé sur la seule base de leur « pigmentation » (dixit Katz lui-même) ou encourager le militantisme anti-raciste des étudiants. Les doléances allaient même jusqu’à exiger la création d’un comité de supervision composé de professeurs afin de déterminer ce qui tient du racisme, y compris la recherche et la publication. Donc, un système et de censure entre collègues. Pire, la lettre exigeait que Princeton s’excuse auprès d’un groupuscule (la Black Justice League) aux ´méthodes d’intimidation largement connues sur le campus.  Ce qui mena Katz à prendre sa plume pour protester publiquement contre des propositions et à décrire ce groupuscule comme « petite organisation terroriste locale ».

Mal lui en prit. Sa tribune eut l’effet d’une bombe dans une Princeton à fleur de peau. Eisgruber s’empressa de condamner ses propos en défendant une liberté d’expression que Katz n’aurait pas utilisée de « manière responsable ». En même temps, il se fait laminer sur les réseaux, ses collègues l’accablent avec emphase et indignation, certains étudiants l’accusent de racisme flagrant, Princeton a même l’indécence d’ajouter la tribune de son propre professeur sur la liste des actes racistes que l’université aurait commis depuis 1886 ! Bref, la chasse à l’homme bat son plein et, pour donner l’estocade, le journal local de l’université, le « Daily Princetonian » se met à éplucher le passé de Katz et découvre la sanction dont il fut l’objet en 2019.

Ce reportage fut surtout une enquête à charge qui bafoua allègrement les règles de déontologie la plus primaire, mais peu importe, ce fut l’excuse toute trouvée par l’administration pour rouvrir l’enquête sur Katz. Rappelons-le, une liaison consentie, entre adultes majeurs, qui eut lieu il y a plus de dix ans et pour laquelle il fut déjà sanctionné. Peu importe, Princeton réouvrit son cas et son président proposa son éviction au conseil d’administration qui fut, oh surprise, acceptée. Katz aurait-il démis de ses fonctions s’il n’avait pas eu l’outrecuidance de s’opposer publiquement à la déferlante anti-raciste ? Son cas aurait-il fait l’objet d’une deuxième enquête, au mépris brutal du droit à un procès équitable et le sacro-saint principe de n’être pas puni deux fois pour la même peine ?

L’affaire Katz est sidérante à maints égards. Tout d’abord, c’est la chronique d’un homme jeté en pâture à la meute avec la lâche et active complicité d’ autorités académiques dont le rôle est de le protéger ou, tout du moins, de faire la part des choses avec probité. Bien au contraire, sous la pression ambiante, Eisgruber et les autres instances ont agi avec le zèle des tartuffes et l’hypocrisie des lâches. C’est l’histoire d’un destin brisé, d’un académique brillant dont la carrière était en sursis pour s’être exprimé à contre-courant. L’histoire d’un esprit d’exception châtié pour son insolence intellectuelle de la plus infâme des manières, en dépoussiérant une affaire close, et, loin d’être grave.

Le cas Katz est également le triste portrait de l’ambiance délétère qui règne sur les campus anglo-saxons. Néo-puritanisme virulent, suspicion permanente, délation, lâcheté et auto-censure. Une version occidentale 2.0 du fanatisme hystérique de la révolution culturelle de Mao, avec son lot de petits gardes rouges mués en étudiants privilégiés en hoodies et baskets. La négation même de la liberté académique et du débat d’idées, une stupéfiante aberration dont le système universitaire anglo-saxon aura du mal à se relever.

Cette vindicte révèle également l’emprise du sectarisme woke dans les universités et le rôle déterminant de la sournoise bureaucratisation de ces institutions. A travers leurs départements de Diversity, Inclusion and Equality (ou DIE, acronyme révélateur), des bureaucrates grassement payés, traquent les moindres entorses et imposent leur crédo en partie pour justifier leur propre existence. Un cercle vicieux qui dévoit les universités de leurs missions principales (enseignement et recherche) pour en faire des bureaucraties atrophiées et idéologiques.

Mais surtout, et c’est peut-être le plus grave, l’affaire Katz est le triomphe de la médiocrité. S’il est déjà affligeant que l’honneur et le prestige d’un homme soient jetés à la meute, il est encore plus consternant que cette meute soit assoiffée de tout, sauf de connaissance, et d’esprit critique.  Les campus américains, y compris ceux de la Ivy League, sont devenus des caricatures du savoir, des incubateurs de sectarisme au sein desquels le ressenti et l’idéologie prévalent et ce, même dans les disciplines scientifiques. S’en suit un dommage réputationnel irréversible pour des institutions qui dilapident allègrement un prestige séculaire alors que le reste du monde (en Asie notamment) assiste, médusé, à cet harakiri académique au nom d’une vertu virginale et de la table rase.  Un fanatisme qui fait fuir ou taire les meilleurs cerveaux et effraye de plus en plus parents et élèves. De l’endoctrinement à cinquante mille dollars l’année, à quoi bon ?

Ultime ironie : afin de favoriser la diversité et déconstruire son « white privilege», Princeton a supprimé le Grec et le Latin  et promeut activement les professeurs non-blancs. Cependant, dans le département de linguistique de Princeton, seulement un universitaire était capable d’enseigner l’égyptien ancien, le sanskrit, le syriaque ou l’acadien. Il s’appelle Joshua Katz, et vient d’être viré comme un malpropre. Pas grave, je suppose, un mâle blanc binaire qui enseigne les langues orientales, c’est forcément de l’appropriation culturelle et du racisme systémique.

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