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L’affaire Abdeslam : pourquoi l’opinion a du mal à accepter qu’un terroriste soit défendu par un avocat
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Polémique en vue sur la défense d'Abdeslam

Dur, dur d’être l’avocat d’un grand criminel ou d’un djihadiste qui, en prime, se trouve au centre d’attentats qui ont causé la mort de 130 personnes. Me Sven Mary, le conseil belge de Salah Abdeslam, commence à en faire les frais. Mais c’est oublier qu’il existe un droit sacré dans les pays dits civilisés, pour tout individu, de pouvoir être assisté d’un avocat.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Salah Abdeslam n’est pas un enfant de chœur. C’est une évidence. Il a été au cœur du plus terrifiant carnage de l’après-guerre en plein Paris : 130 morts. Pour les familles des victimes et les survivants, son arrestation constitue un soulagement. Une façon de faire leur deuil. Un deuil que certains jugent troublé une nouvelle fois par la volonté de Sven Mary, l’avocat d’Abdeslam : ce dernier a en effet décidé de porter plainte contre le procureur de Paris, François Molins. Pour violation du secret de l’instruction. Ce qu’aurait fait le haut magistrat français en révélant lors de sa conférence de presse du 19 mars que son client souhaitait "se faire exploser au Stade de France le 13 novembre". Une information qui figure dans l’audition d’Abdeslam par la juge d’instruction belge… S’agit-il réellement d’une violation du secret de l’instruction ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une pratique habituelle qui consiste pour le procureur à communiquer afin que le démarrage d’une instruction ne dérape pas vers des sentiers chaotiques ? Me Mary est un des plus talentueux avocats de Belgique. Unanimement respecté par ses confrères. A sa façon, il pratique, tel Jacques Vergès, la défense de rupture. Avocat de "crapules" comme il le dit lui-même, mais aussi conseil de Barbara Gandolfi, l’ancienne compagne de Jean-Paul Belmondo, il est parfaitement dans son rôle en assistant le djhadiste.

A chaque fois qu’est reproché un crime, même le plus insoutenable, le moins compréhensible, à un individu, ce dernier a droit à un avocat. C’est le cas par exemple du multirécidiviste Pierre Bodein condamné à une peine de réclusion à perpétuité, qui eut comme défenseur le très médiatique et imprévisible avocat strasbourgeois Renaud Bettecher. Reste que Me Gilbert Collard a tort de s’en prendre à Me Mary et de moquer son confrère en l’affublant du sobriquet de Kojak… Collard, aujourd’hui député du Rassemblement Bleu Marine du Gard, aime bien jouer avec les mots. C’est un avocat brillant. Mais lui aussi a défendu des clients dont le parcours pouvait heurter. Comme le général Paul Aussaresses -décédé le 3 décembre 2013- accusé de tortures pendant la guerre d’Algérie lors d'un procès en diffamation. Me Collard a sans aucun doute cherché à comprendre les raisons des actes de ce général, authentique résistant et qui, tout jeune, affichait ses sympathies pour les Républicains espagnols. C’est ce qu'Aussaresses nous avait confié au cours d'unentretien publié dans L'Express en 2001… Un personnage étonnant et déroutant que ce général nourri aux humanités classiques et auteur d’un mémoire sur "Le surnaturel dans l’œuvre de Virgile". Me Collard a également eu comme client l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo aujourd’hui inculpé de crimes contre l’humanité. Comme pour Aussaresses ou Gbagbo, Collard est - était pour le premier - dans son rôle, celui de comprendre. Et non pas de s’identifier à ses clients. C’est ce que fait son confrère Mary qui n’a pas caché avoir été "révulsé" par les attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

Dans quelques mois, viendra le procès de cet instituteur de Savoie soupçonné d’avoir violé ou agressé sexuellement 33 fillettes dans les 2011-2013. Le procès sera pénible. L’instituteur sera peut-être insulté par les familles des victimes. Mais il a le droit de se défendre. La présence de l’avocat constitue l’un des fondements de la démocratie. L’absence d’avocat à l’audience, même pour défendre le pire des criminels, c’est la marque de fabrique des régimes totalitaires. Encore que dans ces régimes, l’Etat, dans sa grande générosité - surtout dans les procès politiques - fournit un avocat… Qui ressemble fort à un procureur ! Il y a plus de 25 ans, deux avocats célèbres, Mes Henri Leclerc et Henri Juramy avaient failli être lynchés, lors de la reconstitution du crime de la Motte-du Caire (Alpes-de-Haute Provence). Ils étaient les défenseurs de Richard Roman accusé d’avoir tué dans des conditions atroces, la petite Céline Jourdan… Roman sera finalement acquitté. 

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