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L’ "ouverture au monde" souhaitée par Emmanuel Macron pour le monde agricole correspond-elle à ses besoins ?
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Agriculture

Lors des voeux qu’il a adressés au monde agricole ce jeudi, le Président de la République a, entre autres, insisté sur l’ « ouverture » qui s’offre aux agriculteurs européens, donc français, à travers les accords de libre-échange, évoquant celui avec le Japon, plus favorable pour notre secteur agroalimentaire que celui à venir avec le Mercosur. Mais ces accords sont-ils réellement réfléchis par rapport aux besoins de notre agriculture ?

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey est journaliste et auteur de « Tu m’as laissée en vie, suicide paysan veuve à 24 ans ».

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WikiAgri est un pôle multimédia agricole composé d’un magazine trimestriel et d’un site internet avec sa newsletter d’information. Il a pour philosophie de partager, avec les agriculteurs, les informations et les réflexions sur l’agriculture. Les articles partagés sur Atlantico sont accessibles au grand public, d'autres informations plus spécialisées figurent sur wikiagri.fr

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Emmanuel Macron a eu un mérite par rapport aux agriculteurs français, il leur a adressé des voeux, ce qui n’est pas dans les habitudes, récentes en tout cas, d’un Président de la République. Il a ainsi tracé les grandes lignes de sa politique agricole, montrant déjà qu’il en avait une. Et cela, autour de trois axes : la valeur (partage de la valeur ajoutée, donc les prix pour les producteurs), l’ouverture (au monde, à travers les accords de libre-échange de l’Europe avec différents pays ou groupes de pays), et la planète (comprenez l’environnement). Pour autant, le propos tenu en un peu plus d’une heure n’a pas levé toutes les inquiétudes, et certaines petites phrases ont même été relevées avec scepticisme par beaucoup.

S’il a prononcé à plusieurs reprises les mots « clair » ou « clarté », il a (volontairement ?) omis de l’être réellement sur plusieurs questions : ses propos sur le loup et le pastoralisme peuvent être interprétés de différentes manières, ses promesses d’accompagnement pour trouver obligatoirement des solutions de substitution à chaque nouvelle règle imposée contredisent son propre calendrier de remplacement de certains produits phytosanitaires. Il s’est également allégrement approprié le travail fait par d’autres, en particulier déjà mis sur rails au niveau européen, comme le député européen Angélique Delahaye l’a rappelé dans un communiqué : « Nombre de mesures annoncées par Emmanuel Macron ont déjà été engagées dans le cadre de l’omnibus au niveau de l’Union européenne ». En revanche, ce qui n’y figurait pas, c’est la baisse annoncée du budget de la Pac pour l’exercice suivant. Et sur ce point, Emmanuel Macron s’est bien gardé d’être « clair ».

Selon Emmanuel Macron, « l’ouverture au monde n’est pas un danger »

Mais le plus inquiétant pour nos agriculteurs vient probablement de la politique affichée sur ce que le Président de la République a appelé « l’ouverture ». Selon lui, les accords de libre-échange sont une opportunité, y compris pour le monde agricole.

Voici un morceau choisi de son discours : « Peut-être finaliserons-nous une négociation (Ndlr : avec le Mercosur, soit les pays d’Amérique latine). Je verrai demain soir (Ndlr : c’était vendredi) le Premier ministre argentin sur ce sujet. Nous aurons une discussion nourrie. Cet accord peut être bon si nos lignes rouges sont tenues. Il est clair que ce sera un défi porté, en particulier pour la filière bovine puisqu’il permettra de faire entrer des volumes. Mais en parallèle de cela, nous nous devons d’être honnêtes avec nous-mêmes et nous le savons, nous ouvrons notre marché. Nous nous sommes battus depuis plusieurs mois, nous sommes en train de rouvrir activement le marché turc sur les différentes catégories de viande bovine. J’étais avec plusieurs d’entre vous en Chine il y a quelques semaines, nous sommes en train de rouvrir – avec là des garanties claires – le marché chinois. L’accord qui a été négocié par l’Europe avec le Japon est un très bon accord, en particulier pour la viande. Et donc vous voyez bien que ces accords peuvent être favorables à ces mêmes filières. Simplement, il nous faut avoir une approche constamment équilibrée et développer une stratégie. Et donc, quelle est la meilleure réponse si nous finalisons cet accord avec le Mercosur ? C’est d’avoir une vraie stratégie défensive en France pour valoriser notre filière, l’origine France et faire que nos concitoyens auront de la vraie traçabilité, que ceux qui veulent acheter de la viande française pourront le savoir et, en quelque sorte, savoir défendre dans un marché ainsi ouvert, selon des règles que nous aurons négociées, nos propres intérêts et être très offensifs à l’extérieur dans les marchés que nous avons rouverts. En quelque sorte, cet équilibre montre une chose, si nous savons nous organiser, l’ouverture au monde n’est pas un danger. »

Peut-on accepter un accord défavorable avec le Mercosur au prétexte que celui avec le Japon ne l’était pas ?

Or, j’ai pris le temps de vérifier, sachant que toutes les données ne sont pas disponibles sur internet, et donc sous réserves que l’Elysée en ait davantage en sa possession. L’accord entre l’Europe et le Japon semble certes favorable à l’agroalimentaire européen, puisqu’il prévoit des suppressions de taxes tarifaires sur nos exportations de vins, alcools, viande porcine, fromages, et viande bovine. Suppressions de taxes, cela signifie davantage de valeur pour ceux qui exportent, donc de l’argent en plus pour les grandes entreprises de l’agroalimentaire. En revanche, il semble que les volumes, eux, ne soient pas prévus en augmentation (les échanges agroalimentaires de l’Europe vers le Japon représentent déjà, avant l’entrée en vigueur du Jefta – Japan-EU free trade agreement – en 2019, 5,7 milliards d’euros). En d’autres termes, nos entreprises agroalimentaires vont mieux se porter avec cet accord, certes... Mais elles en ont un grand besoin déjà, pour elles-mêmes ! Pour poursuivre leurs propres fonctionnements. Avant que cette valeur supérieure ne revienne jusqu’au producteur de base, elle aura été très largement, déjà, partagée...

Alors que si l’accord intervenait avec le Mercosur, nous aurions directement de forts contingents de viande bovine (entre autres) sur notre territoire, avec 30 000 éleveurs impactés (lire plus bas). Et ce qu’Emmanuel Macron appelle « une stratégie défensive en France pour valoriser notre filière » devrait davantage prendre l’allure d’un sauve-qui-peut individualiste pour survivre. Sans parler d’un autre aspect : si les vins et alcools ou fromages devraient globalement sortir renforcés (à vérifier dans les détails tout de même), il n’en sera pas de même de la viande bovine. Est-ce qu’au nom d’un libéralisme assumé nos élites peuvent réellement dire à nos éleveurs bovins : « pour beaucoup d’entre vous, désormais, c’est fini », au seul prétexte que la crise laitière sera peut-être en partie allégée par ailleurs grâce à ces accords ?

Cela fait longtemps que les responsables syndicaux réclament que l’agriculture ne serve pas de variable d’ajustement dans les accords de libre-échange (cela figure dans moult communiqués de la Fnsea comme de ses homologues), le discours d’Emmanuel Macron semble assumer pourtant ce choix.

Dans un communiqué justement, la Coordination rurale rappelle que « d’après l’Institut de l’élevage (Idele), le Ceta et le Mercosur cumulés conduiraient à une baisse du prix de la viande de 10 % et menaceraient jusqu’à 30 000 éleveurs en France ! » Elle commente également une la partie suivante du discours : « Si le marché chinois vient d’être officiellement ré-ouvert, les éleveurs ignorent encore totalement quel type de produits seront demandés par Pékin, et les prix d'achats de ces mêmes produits. Concernant la Turquie, les conditions sanitaires imposées par ce pays sont tellement strictes qu’il est impossible d'y envoyer d'importants volumes de façon stable. » En concluant sur un exemple douloureux du passé : « La filière ovine avait ainsi failli disparaître en raison des accords conclus avec la Nouvelle-Zélande dans les années 1980. »

L’accord désormais probable avec le Mercosur est également ressenti d’un mauvais oeil au Parlement européen par tous les députés français intéressés à l’agriculture, quel que soit leur appartenance politique (citons le socialiste Eric Andrieu, le Vert José Bové, le FN Philippe Loiseau, les PPE Michel Dantin et Angélique Delahaye...), avec bien sûr chacun des arguments différents. En particulier, Michel Dantin a entrepris une initiative avec deux autres députés européens pour se rendre au Brésil du 2 au 6 avril prochain afin de vérifier sur place l’état sanitaire des viandes proposées à l’export (un scandale sanitaire avait éclaté en mars dernier). Angélique Delahaye précise pour sa part qu’ « on ne peut pas excuser le fait de perdre des parts de marché avec le Mercosur sous prétexte que l’on en gagne avec le Japon », affirmant que « ce n’est pas (sa) vision de l’agriculture ».

L’ « ouverture », terme très positif choisi par Emmanuel Macron pour évoquer ces accords de libre-échange, réclame donc bien des éclaircissements dans les moindres détails pour ne pas se transformer en fermetures, en bonne et due forme, de nombreuses fermes...

En savoir plus :http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-des-v-ux-a-l-agriculture-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-a-saint-genes-champanelle (le discours complet d’Emmanuel Macron adressé aux agriculteurs, version texte) ; http://www.lemoci.com/actualites/pays-marches/uejapon-laccord-de-libre-echange-devrait-entrer-en-vigueur-debut-2019 (précisions sur l’accord de libre-échange Europe-Japon, surnoimmé « voitures contre fromages »).

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