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Kalachnikov à 400 euros : "Un petit investissement pour un gros business..."
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Trop d'la balle !

A trois reprises, en moins de 24h, la Kalachnikov a semé la terreur à Vitrolles et à Marseille. L'an passé, les autorités s'inquiétaient déjà "de la banalisation de l'usage du fusil d'assaut" lors des règlements de comptes et des attaques de fourgons blindés... Désormais, un vol de langoustes chez Picard nécessite le même armement qu'une attaque de centre-fort... Explications.

Fabrice  Rizzoli et Laurent Appel

Fabrice Rizzoli et Laurent Appel

Fabrice Rizzoli est docteur en science politique. Il enseigne dans différentes universités. Spécialiste des mafias, il  représente l'ONG
FLARE (Freedom, Legality and Rights in Europe) : premier réseau de la société civile contre le crime organisé transnational. 

Laurent Appel est journaliste spécialiste des drogues et de la réduction des risques sanitaires et sociaux, rédacteur d'ASUD Journal, membre associé à la rédaction de la revue de l'Observatoire Géopolitique des Criminalités.
 

 

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Atlantico : Etes-vous étonnés par cette recrudescence des attaques à la Kalachnikov, comme ces derniers jours dans Marseille et sa banlieue ?

Laurent Appel et Fabrice Rizzoli : Nous ne sommes pas étonnés. Tout d'abord, la France n'est pas épargnée par la violence du crime organisé. Chaque année, il y a 30 homicides (tentatives incluses) du fait des clans corses. Ce qui, rapporté aux 300 000 habitants de l'île, en fait un lieu bien plus violent que Palerme ou Naples. Les règlements de compte n’ont pas lieu qu’à Marseille. Cela peut aussi être à Grenoble ou en Seine-Saint-Denis (93).

Les exemples de ces derniers jour confirment que les attaques à main armée contre des commerces par des gangs encore peu organisés sont en recrudescence. A contrario, les attaques de fourgons, dont les gangs français ont l'expertise au niveau européen, sont en baisse car le trafic de drogue rapporte plus.

La plupart de ces attaques sont dues à une tentative d'accumulation primitive du capital, comme l'attaque de la bijouterie à Cannes afin d'entrer dans le business de la drogue. Pour ces gangs des cités, il s'agira ensuite de se mettre en lien avec le crime organisé français basé en Espagne pour obtenir le droit de livrer des tonnes de cannabis en France.

Les consommateurs délaissent la résine de cannabis pour l’herbe, les stocks deviennent plus difficiles à écouler, les bonnes places sont chères, la violence se généralise. La production française de cannabis est en constante progression. Certaines organisations criminelles plantent maintenant à l’échelle industrielle et le contrôle des exploitations et les vols vont encore faire augmenter la violence. Récemment un gardien de plantation clandestine a tiré mortellement sur un voleur de cannabis près de Nîmes. La violence des pays producteurs du Sud s’exporte en France. La corruption aussi. Et l’affaire Neyret, de la PJ de Lyon, démontre ce risque de dérive. La guerre à la drogue version « hardcore », la dérive mafieuse, le péril démocratique et l’argent noir nous incitent à penser que notre politique des drogues est dans une impasse meurtrière...


Combien vaut une Kalachnikov sur le marché noir ?

Le prix des AK47 a plongé, il se situerait entre 400 et 2000 euros selon les sources - un petit investissement en matériel de dissuasion et de sécurité comparé aux bénéfices.


Quelles sont les filières ?


Les armes de guerre ont fait une apparition massive dans les banlieues françaises depuis la guerre des Balkans. Des filières, liées aux belligérants, échangeaient alors des drogues contre des armes destinées au conflit.

A la fin des années 1990, la paix et la baisse de la consommation d’héroïne (liée à la réussite de la politique de substitution) ont incité les trafiquants à inverser la route pour fournir les dealers de nos quartiers (rendus trop prospères par 30 ans de prohibition) en "guns".

Les armes de point - y compris les fusils d'assaut - ont toujours suivi le marché de la drogue. C'est l'étude du trafic de drogue qui permet de comprendre le trafic de Kalachnikov.


Pourquoi la Kalachnikov fascine-t-elle autant : est-ce son exceptionnel rapport-qualité prix ou le mythe de Scarface ?

La Kalachnikov est un symbole de puissance. C'est la possibilité pour le crime organisé d'utiliser une arme de guerre maniable et pas chère. Même les mafias italiennes ont succombé au charme du fusil d'assaut russe. Au début des années 1980, le groupe des Corléonais, commandé par le chef des chefs Toto Riina, prend le contrôle des routes de l'héroïne vers les Etats-Unis. Les “culs-terreux” de Corleone mènent une guerre contre les dandys de Palerme et exterminent des centaines de rivaux. La Kalachnikov devient une arme de prédilection, y compris pour assassiner des personnalités politiques ou des représentants d’institutions. En 1982, les sicaires de Cosa nostra abattent le Général Dalla Chiesa avec cette arme. Aujourd'hui, la 'Ndrangheta calabraise, la mafia number one, utilise cette arme pour démontrer la puissance du clan.
Dans son livre Gomorra, Roberto Saviano raconte très bien cette fascination des mafieux pour l'arme russe. Il décrit à merveille la visite d'un mafieux napolitain qui se rend en Russie pour voir Mikhaïl Kalachnikov : un pèlerinage !

En France, les films comme "Scarface" ou le gangsta rap, ont propagé le modèle du caïd américain lourdement enfouraillé pour défendre son "ter-ter" ("territoire", NDLR). Mais c'est du côté du trafic de drogue qu'il faut trouver les raisons d'une telle violence.

Au fond, face à l'usage banalisé du fusil d'assaut russe, les solutions sont ailleurs. Une politique de régulation des drogues réduirait l'accumulation du capital des gangs. Enfin, la réutilisation à des fins sociales des biens confisqués au crime organisé réduirait aussi le consensus social envers les gangs. En Italie, la maison de Toto Riina, celui qui éliminait ses adversaires à la Kalachnikov, est devenu un lycée agronome pour les jeunes Siciliens. A quand un centre culturel à Marseille à la place de la maison de l'utilisateur du fusil d'assaut russe ?   

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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