Jorge Mario Bergoglio : portrait d'un pape qu'on n'avait pas vu venir

Atlantico : Pouvez-nous nous rappeler les caractéristiques et la personnalité de ce pape, que l'on connaît encore très peu ?

Gérard Leclerc : Sa première spécificité, c'est déjà qu'il n'était pas parmi les "papabili" que l'on attendait. Son élection est une surprise absolue. La deuxième grande remarque, c'est qu'il vient du continent latino-américain, même s'il est d'origine italienne. C'est un symbole très fort eu égard de la concentration du nombre de catholiques en Amérique latine. Il est donc très représentatif de l'Église d'aujourd'hui et de son centre de gravité actuel.

Son nom de pape, François, renvoie à François d'Assise, mais comme ce nouveau pape est jésuite, cela évoque également à un autre grand saint, François-Xavier, qui est mort aux portes de la Chine qu'il voulait évangéliser. Je pense qu'il y a quelque chose de significatif.

C'est un homme du peuple, très près des réalités de la vie de tous les jours, et de ses facettes les plus dures qu'il a pu connaître à Buenos Aires. Je pense qu'il sera un pape très populaire.

Conservateur ou progressiste, les commentateurs semblent divisés. Qu'en est-il vraiment ?

Je ne sais pas vraiment ce que veut dire ce mot, plus très adapté à la situation actuelle. Le vrai clivage entre progressistes et conservateurs me semble un peu dépassé. Si être conservateur veut dire être fidèle à la foi, à la tradition de l'Église, alors oui on peut dire que le nouveau pape est conservateur. Mais il est en même temps progressiste, d'un progressisme qui à moi me convient très bien : l'engagement pour les pauvres, le refus de la neutralité devant certaines situations d'injustice. Dans notre contexte de crise économique et d'exclusion de certaines populations, je pense que cela a une signification très forte.

Le nouveau pape est âgé de 76 ans, alors qu'il y avait des candidats beaucoup plus jeunes. Comment doit-on interpréter cela ? François Ier sera-t-il un "pape de transition" comme on le disait déjà de Benoît XVI ?

Il faut se méfier des "papes de transition" car ce sont parfois ceux qui font des éclats. Je pense que l'âge n'a pas compté dans le choix des cardinaux. Ils ont choisi l'homme d'expérience, celui qui avait la carrure pour prendre sur lui une pareille charge. L'âge n'a pas été un obstacle, au contraire, car l'Église a besoin de quelqu'un qui sait ce que sont les réalités politiques du monde dans lequel il vit.

Qu'est-ce que son appartenance à l'ordre des Jésuites peut nous laisser entrevoir de son caractère, ou de ses actions futures ?

Les Jésuites, c'est quand même une sacré école dans l'histoire du christianisme ! Ce sont ceux qui ont recatholicisé l'Europe après la période de la Réforme. Ils se sont lancés dans des aventures missionnaires extraordinaires et très audacieuses. Ils ont été des pionniers dans le domaine de la pensée. Mais c'est un ordre qui a traversé une énorme crise dans les années 80, même s'ils ont, semblent-ils, dépassé cette phase.   

A quoi peut-on s'attendre en terme de style et de communication avec les fidèles de ce pape ?

Je ne sais pas si ce sera un homme de grandes encycliques comme son prédécesseur. Je pense que ce sera un pape de terrain, un pape missionnaire, qui a d'ailleurs a marqué son intention de s'occuper de son diocèse de Rome. Je pense qu'il y aura donc plus de terrain et d'évangélisation, c'est ce qui ressort en tout cas de son discours d'hier soir. Il sera peut-être moins doctrinal, mais là-dessus c'est encore un peu difficile d'anticiper.