Islam et Occident : le dilemme auquel est confronté le Maroc<!-- --> | Atlantico.fr
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Jennifer Lopez a été critiquée pour sa prestation au Maroc.
Jennifer Lopez a été critiquée pour sa prestation au Maroc.
©Capture VEVO

Dilemme

Le festival de musique Mawazine, emblème de la volonté progressiste de Mohammed VI, a cette année été marqué de plusieurs polémiques sur des sujets de société d'autant plus tabous depuis que les islamistes sont arrivés au pouvoir l'année dernière.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Lors du récent festival Mawazine, le pas de danse (twerk) de la chanteuse américaine Jennifer Lopez a été critiqué par le gouvernement islamiste, provoquant une polémique dont cette manifestation, très populaire, avec trois millions de spectateurs, est coutumière. Cette édition a également été marquée par l’engagement pour la cause homosexuelle du chanteur du groupe Placebo, ce dernier exhibant en plein concert son torse nu barré d’un "489" le numéro de la loi qui pénalise l’homosexualité au Maroc. Une revendication cependant inscrite dans la "tradition" de Mawazine, un Festival qui depuis sa création a régulièrement provoqué le débat au sein de la société marocaine, mais peut-être avec plus de vivacité depuis l’arrivée des Islamistes au pouvoir.

Cet évènement renvoie, plus généralement, au rôle de l'islamisme dans la vie politique marocaine et à ses rapports avec Mohammed VI, un roi qui protège et appuie directement le célèbre festival de Rabat. C’est en effet Mounir el Majidi, président de la SIGER, la holding royale, et directeur du Secrétariat particulier du roi, qui se trouve à la tête de Maroc Cultures, l’association organisatrice du festival Mawazine, une présidence très emblématique pour tout connaisseur de la monarchie marocaine, et un soutien encore renforcé par le "Haut Patronage" du roi. Symbolique d’une société et jeunesse en pleine mutation, Mawazine est à l’évidence une manifestation au cœur de l’agenda réformiste de Mohammed VI, agenda en opposition directe avec celui, très conservateur, des islamistes…

Au sein des dynasties arabes, le Maroc se distingue par la nature politique et religieuse du pouvoir royal. Commandeur des croyants (emir al muminin), descendant, revendiqué tout au moins, du Prophète, président (depuis 1975) du comité de libération de Jérusalem, le souverain alaouite puise une partie de sa légitimité dans l'islam. Ce faisant, il encourt aussi la critique de ses sujets, à 98% musulmans, qui peuvent comparer sa politique aux exigences de la religion. C'est dans cet interstice que se sont développés, à partir des années 1970, les partis islamistes marocains.

Face à eux, le Makhzen ("magasin"), le gouvernement du sultan puis du roi, a alterné répression et intégration. Pendant les "années de plomb" marquant le début du règne d’Hassan II (1961-1999), les autorités sévissent contre les groupes radicaux qui contestent la monarchie, notamment le courant du cheikh Yassine. En même temps, la violence de ces groupes est détournée contre les partis de gauche, qui profitent du dynamisme du nationalisme arabe. Dans les années 1980, par le salariat des oulémas et des concessions aux islamistes, par exemple avec l’arabisation de l’enseignement, le roi privilégie une forme d’accommodement.

Avec Mohammed VI, arrivé au pouvoir en 1999, le rapport avec les islamistes évolue. Certes, les groupes radicaux, comme ceux responsables des attentats de Casablanca en 2003, sont combattus. Mais la volonté d’ouverture s’accentue. En 2011, alors que le "printemps arabe" semble commencer au Maroc avec le "mouvement du 20 février", le roi fait approuver une nouvelle Constitution. Sans abolir la "monarchie exécutive", elle accroît les pouvoirs du gouvernement. Dans ce contexte, le parti de la justice et du développement (PJD), principale formation islamiste, remporte les élections (27% des voix) et le poste de premier ministre.

Avec le renversement des Frères Musulmans en Egypte (2013) et les revers électoraux d’Ennahda en Tunisie (2014), le PJD, qui porte le même nom que l’AKP turc, se trouve aujourd’hui aux affaires dans un seul pays. S’il peut compter sur la logique démocratique, qui légitime sa position au sein de l’Etat, le PJD sait aussi que sa puissance est limitée par la nature même de la scène politique marocaine. Le taux de participation aux élections est faible, de 45% en 2011, et les élus, le "pays légal", très critiqués par la population.

En revanche, le PJD peut compter sur un aspect du "pays réel" qui le favorise, son très vif conservatisme social. En 2009, un journal a sondé la population marocaine sur l’image de Mohammed VI. Rapidement interdit par les autorités, ce sondage révélait pourtant la très forte popularité du roi, très forte …sauf sur un point : sa réforme, favorable aux femmes, du code de la famille (la moudawana). Logiquement, le gouvernement islamiste, dont deux ministres sont polygames, comme 0,3 % des Marocains, concentre donc ses critiques sur les questions sociétales.

Monarque traditionnel, Mohammed VI devient ainsi, paradoxalement, un vecteur de modernisation sociale. Le roi lance de grands débats de société, comme récemment sur l’avortement. Il défend les festivals contre "l’art propre" un temps prôné par le PJD. Il refuse l’arabisation de la télévision. Enfin, il promeut la réforme de l’éducation, clé d'une croissance importante dans un pays où une femme sur deux est analphabète. Or, cette réforme passe par un débat sur la prééminence de l’arabe littéral, chère au PJD…

Entre modernité et tradition, Islam et Occident, cette confrontation fait en tous cas du Maroc un espace de débats intenses, qui le rapproche de la situation tunisienne et qui contraste avec la stagnation de l’Algérie voisine.

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