Interdire ou intégrer le FN à droite ? Il est trop tard pour se poser la question...<!-- --> | Atlantico.fr
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Chantal Delsol : "La diabolisation du FN est devenue impossible."
Chantal Delsol : "La diabolisation du FN est devenue impossible."
©Reuters

Droite républicaine en péril

Le FN s'est imposé en tout juste trente ans comme une force majeure que ses concurrents politiques peinent à combattre. Pour la philosophe Chantal Delsol, il est trop tard pour inclure le Front national dans la droite institutionnelle, car il est désormais aussi puissant qu’elle. Reste à savoir qui mangera qui.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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  1. Atlantico : Marine Le Pen a obtenu 17,9 % des suffrages lors du premier tour de l'élection présidentielle. Libération titrait en Une mercredi avec une citation de Nicolas Sarkozy : « Le Pen est compatible avec la République ». En quoi le Front national est-il spécifique dans son rapport à la République, comparé à d'autres partis politiques français ? Pourquoi ce parti serait-il moins démocratique ou moins républicain que d’autres partis d’extrême gauche opposés à la démocratie parlementaire tels le NPA ou la LCR, voire qu’Eva Joly qui ne se situe guère dans la tradition républicaine lorsqu’elle propose un jour férié pour Kippour et l’Aïd-el-Kebir ?

  2. Chantal Delsol : Bien sûr on peut discuter pour savoir si le Front national est vraiment un parti républicain, ou vraiment un parti démocratique, au regard de ce que l’on met sous les termes « républicain » ou « démocratique ». Tout cela est un jeu de la gauche qui, chaque fois que le FN devient ou redevient important, veut empêcher la droite de récupérer ses voix.

    Le jeu de la gauche est d’ostraciser le FN afin d’affaiblir la droite, depuis longtemps, et ça marche !Je suis sûre que la gauche n’y croit pas du tout, c’est une stratégie politique. En revanche la droite prend cela au sérieux et se trouve bourrelée de scrupules. C’est ahurissant quand on pense que la gauche avait fait alliance avec le parti communiste à l’époque où il servait de courroie de transmission au régime soviétique (on ne peut tout de même pas considérer les dizaines de millions de morts de Staline comme un détail de l’histoire !).

    Aujourd’hui, les partis d’extrême gauche ne sont guère républicains ni démocrates, quand on voit Jean-Luc Mélenchon faire chanter l’Internationale ou quand on sait ce que signifie le trotskysme en terme de libertés démocratiques. On se moque du monde. Comme nous sommes faibles et naïfs en face de gens qui nous manipulent !

  1. La diabolisation est-elle le bon angle d'attaque vis à vis d'électeurs qui, manifestement, n'entendent pas ces arguments ? Ne faudrait-il pas plus distinguer le FN de ses électeurs ?

  2. J’aurais très bien compris, il y a trente ans, qu’on se pose sereinement la question de savoir s’il fallait ou non interdire le FN. Peut-être aurait-il fallu l’interdire.

    Pourquoi ne s’est-on même pas posé la question ?

    Pour deux raisons. D’abord parce que dans ce cas aurait surgi la question des partis d’extrême-gauche, particulièrement présents en France. Et on n’aurait pas admis d’interdire l’extrême-gauche. Ensuite parce que le FN servait la gauche française, et il est bien connu que François Mitterrand lui a même donné un coup de pouce pour gêner la droite, ce qui a été très efficace : tactique diabolique !

    Face à des partis comme le FN, qui existent pratiquement partout en Europe, il y a eu deux réponses : certains pays les ont interdits, d’autres les ont laissé croitre et les ont intégrés dans les autres droites, et ainsi les ont banalisés, embourgeoisés, et réduits. Nous n’avons fait ni l’un ni l’autre : nous l’avons laissé croitre en le marginalisant, comme un joueur auquel on laisserait enfiler le dossard, mais en refusant toujours de lui passer le  ballon… D’où le développement de la frustration et de la révolte dans les rangs d’un parti qui ne peut qu’augmenter, surtout s’il se trouve des chefs intelligents.

    Notre méthode nous a évité de prendre des décisions, nous a fourni un ennemi commode, a avantagé la gauche… mais il arrive un moment crucial de vérité : le parti FN devient énorme au point de dépasser la droite institutionnelle. Un tsunami se prépare. Je ne sais pas lequel. Nous avons été irresponsables et sots.

Nicolas Sarkozy avait réussi à faire reculer le Front national jusqu'à 10,44% en 2007. Comment expliquez-vous ce rebond de 2012 ?

Le FN n’est pas un parti uniforme. D’ailleurs ses électeurs se divisent pour le second tour. A force d’être constitué de joueurs à dossards qui n’ont jamais le ballon (pratiquement pas un élu avec de tels pourcentages de voix), ils agglutinent une foule de gens révoltés. C’est dangereux pour un pays et pour la démocratie en général, et à court terme maintenant, même pour la gauche qui croit encore en faire son lait et son miel.

Entre les positions de la droite populaire d'une part et celles de la frange plus modérée de l'UMP telle que celles incarnées par Nathalie Kosciusko-Morizet d'autre part, y a-t-il un clivage impossible à résoudre ?

Bien entendu, il y a un clivage qui peut mener à l’explosion, comme cela s’est déjà vu maintes fois. On peut parfaitement penser que le FN est moralement infréquentable. Dans ce cas, il faut poser la question de savoir si les partis d’extrême-gauche, quand par exemple Jean-Luc Mélenchon dit que Cuba n’est pas une dictature, sont fréquentables.

Face à la stratégie de "dédiabolisation" mise en place par Marine Le Pen, le "combat politique" contre le FN doit-il évoluer, voire changer de nature ?

Le problème est qu’aujourd’hui il est beaucoup trop tard pour poser des questions raisonnables : pourrait-on interdire un parti qui recueille 18% des suffrages ? C’est alors une guerre civile qu’il faudrait !

Et cependant, il serait trop tard aussi pour inclure le FN dans la droite institutionnelle, car il est désormais aussi puissant qu’elle, et qui mangerait qui ? Déjà la diabolisation est devenue impossible, on l’a vu dans cette élection, pour un parti si important : Marine Le Pen, qui a dû passer toute son enfance à se cacher et à n’être invitée nulle part en raison de sa filiation, est aujourd’hui traitée presque comme une personne normale.

Mais alors que va-t-il se passer ? Quand si longtemps on ne veut pas faire face à un problème, il devient énorme et vous explose à la figure.

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