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Homéoplasmine, attention danger !
©Reuters

La prudence est de mise

Il convient d'être particulièrement prudent quant à ce médicament, qui nous est présenté par l'industrie cosmétique comme un "produit de beauté miracle".

Laurence Coiffard

Laurence Coiffard

Laurence Coiffard est Professeur à l'Université de Nantes et co-créatrice du blog https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/ 

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Céline Couteau

Céline Couteau

Céline Couteau est maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie, Université de Nantes.

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Céline Couteau, Université de Nantes et Laurence Coiffard, Université de Nantes

En cosmétique, deux clans s’affrontent : « ceux qui ont peur de tout » et « ceux qui n’ont peur de rien ». Les premiers voient dans les cosmétiques de véritables bombes à retardement, dangereuses pour notre santé. Des ingrédients d’une grande nocivité (paraffine, parabens, silicones, PEG…) y seraient introduits pour notre plus grand malheur ! La toxicologie des ingrédients des produits est ainsi passée au crible par des blogueuses-beauté qui s’autoproclament spécialistes du domaine sans avoir jamais étudié sérieusement le sujet sur les bancs de la Faculté !

« Ceux qui ont peur de tout » se tournent, du coup, vers les cosmétiques biologiques (qui sont, pourtant, loin d’être les meilleurs), suivent des recettes trouvées sur Internet, suivent les conseils les plus divers, à la condition expresse qu’ils émanent de non-spécialistes… On retrouve la même naïveté, la même crédulité chez certains parents qui en consultation à l’hôpital font part de leur angoisse à l’idée d’utiliser un dermocorticoïde et qui exhibent fièrement la recette-miracle (qui a complètement « nettoyée » la peau de leur enfant) achetée sur quelque marché et dont ils ne connaissent absolument pas la composition !

De l’autre côté, « ceux qui n’ont peur de rien » sont des consommateurs qui ne se posent pas de questions, qui ne s’embarrassent pas de polémiques, qui choisissent leurs cosmétiques de manière instinctive, voire compulsive, sans retourner le produit dans tous les sens…

« Ceux qui ont peur de tout » et « ceux qui n’ont peur de rien » ont déjà utilisé, au moins une fois, un tube d’Homéoplasmine.

Ampoule.C. Personne/Wikipedia, CC BY-SA

Il faut dire que celui-ci est présenté comme le produit de soin incontournable. Hommes et femmes peuvent utiliser cette crème pour réparer des mains blessées par le bricolage, des coupures dues au rasoir, des lèvres gercées, des talons fendillés, des ampoules au pied, pour apaiser les coups de soleil, les effets de l’épilation… Que sais-je encore ?

De plus, appliqué sur les lèvres, ce produit hydrate et comble les ridules des lèvres, évitant au rouge à lèvres de filer dans ces petits canaux si disgracieux. Sur les cils, il joue le rôle de fixateur (pour discipliner ceux que l’on juge en broussaille). Sur les cheveux, il nourrit les pointes sèches. Au niveau des paupières, il « régénère » et renforce la tenue des fards. Au niveau des ongles, il exerce un rôle de nutrition. Il fait briller les pommettes du visage (effet glow). Corinne Sauvaget, maquilleuse professionnelle, utilise l’Homéoplasmine par camions entiers ! Pour des lèvres de star, elle conseille de les badigeonner avec le produit, le soir au moment du coucher : au matin, résultat garanti.

Tout cela est bien joli. Une analyse de la composition de ce médicament (car il est bon de rappeler au passage que cette pommade est un médicament et non un cosmétique) s’impose. La pommade Homéoplasmine contient les ingrédients suivants : des substances actives (teinture de souci des jardins 0,1 %, teinture de phytolaque 0,3 %, teinture de bryone 0,1 %, teinture de benjoin du Laos 0,1 %, acide borique 4,0 %), toutes incorporées dans de la vaseline.

Acide borique

« Ceux qui ont peur de tout » n’ont, en fait, pas lu la composition. De la vaseline (dérivé pétrochimique) tant décriée (à tort) est présente ! La teinture de benjoin, allergisante l’est aussi ! « Ceux qui n’ont peur de rien » n’ont, bien évidemment, pas lu non plus l’étiquette. Ils auraient dû. L’acide borique est un antiseptique dont le profil toxicologique n’est pas si sympathique que cela. Pour s’en persuader, il suffit de consulter la mise en garde de l’Ansm mise en ligne en juillet 2013.

Représentation de la molécule d’acide borique.Clovis Darrigan/Wilimedia

L’industrie cosmétique est parfaitement au fait de cet avertissement, c’est pourquoi elle a exclu progressivement l’acide borique et le borate de sodium ou borax de ses préparations. Placé en tête de l’Annexe III (Liste des substances que les produits cosmétiques ne peuvent contenir en dehors des restrictions prévues) du Règlement (CE) N°1223/2009, le formulateur aura du mal à ignorer cet ingrédient.

Les cosmétiques en contenant doivent signaler qu’ils ne peuvent pas être utilisés chez l’enfant de moins de 3 ans et sur des peaux irritées ou excoriées. Selon que l’on a affaire à un talc, à un produit d’hygiène bucco-dentaire, à un produit pour le bain, à un produit pour les cheveux ou à tout autre produit destiné à une zone d’application non citée, la concentration maximale en acide borique varie. Dans le cas où le produit risque d’être avalé (produits d’hygiène bucco-dentaire) la concentration maximale en acide borique est fixée à 0,1 %. On est bien loin des 4 % badigeonnés consciencieusement, le soir, en couche épaisse, avant d’aller se coucher !

Les laboratoires Boiron désignent ce médicament comme un protecteur cutané (utilisé en dermatologie) pour le traitement d’appoint des irritations de la peau. Les études réalisées ne prennent, bien évidemment, pas en compte la notion d’absorption par voie orale. Il est assez peu courant d’utiliser les pommades médicamenteuses comme baumes à lèvres…

The ConversationUne application sur une peau lésée (contre-indiquée dans le domaine cosmétique), une application sur les lèvres (à une dose beaucoup plus importante que ce qui est envisageable dans ce domaine), le détournement d’un médicament (destiné à traiter une pathologie) à des fins esthétiques… Cela fait beaucoup de points à mentionner dans le procès-verbal concernant l’emploi à tort et à travers de ce qui nous est présenté comme un « produit de beauté miracle ». Convainquons « ceux qui ont peur de tout » et « ceux qui n’ont peur de rien » d’abandonner un produit qui pourrait s’avérer nocif pour eux !

Céline Couteau, Maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie, Université de Nantes et Laurence Coiffard, Professeur en galénique et cosmétologie, Université de Nantes

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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