Hollande et le grand capital : un coup d’Etat permanent<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Hollande et le grand capital : un coup d’Etat permanent
©REUTERS/Philippe Wojazer

Relations troubles

La façon dont l'exécutif encadre les débats sur la représentativité patronale laisse fortement à penser que François Hollande est le meilleur ami du grand capital, bien plus qu'aucun de ses prédécesseurs de droite.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

Hollande est-il le meilleur ami du grand capital, dans des proportions qui eussent fait honte à n’importe quel président de droite, et dont peu de gens de gauche ont pris la mesure? Les débats sur la représentativité patronale, dont je me suis fait écho la semaine dernière, et la façon dont ils sont verrouillés par l’exécutif, Myriam El Khomri comprise, autorisent de poser la question dans toutes ses dimensions, qui vont jusqu’au poids du gouvernement profond dans les décisions politiques quotidiennes.

Le rideau de fumée de la loi Travail

Bien sûr, il y a les mesures qui font polémique et grâce auxquelles des ludions à la recherche d’un poste dans le prochain exécutif (celui de 2017) ou la prochaine opposition peuvent dresser des écrans de fumée. C’est le cas de tous les agitateurs qui se focalisent sur le plafonnement des indemnités prudhommales ou sur les motifs de licenciement économique – tous sujets qui ne concernent qu’une part marginale des situations professionnelles.

Sur tous ces points, la loi Travail n’est pas sans intérêt, mais il est fascinant de voir qu’aucun des révolutionnaires en action ne relève les questions qui fâchent véritablement dans la loi. Celles-ci portent sur le rôle qu’un gouvernement de gauche entend faire jouer au MEDEF sans qu’aucune justification ne puisse y être trouvée.

Le retour de la présomption irréfragable de représentativité

Personne (et c’est agaçant) ne prend soin de rappeler qu’en 2008 les partenaires sociaux et le président en place (Nicolas Sarkozy) avaient permis un grand progrès de la démocratie sociale.

De 1966 à 2008, en effet, pour contourner la CGT, les exécutifs successifs avaient accordé une présomption irréfragable de représentativité à la CFTC, à la CGC, à FO et à la CFDT. Cette tactique du "diviser pour mieux régner" était simple: il fallait, coûte-que-coûte, d’autres interlocuteurs dans les entreprises et les branches professionnelles que la CGT, dussent-ils ne représenter que quelques pourcents de salariés.

Le mérite de Nicolas Sarkozy a consisté à supprimer cette présomption irréfragable en fondant dorénavant la représentativité sur la mesure de l’audience de chaque syndicat. Pour mettre tout le monde d’accord, les résultats aux élections en entreprise furent l’indicateur retenu pour mesurer cette audience. Il n’y avait pas plus démocratique.

Très longtemps, Laurence Parisot s’est opposée à la transposition du même exercice pour la représentativité patronale. Cette résistance avait une raison profonde: le MEDEF compte très peu d’adhérents directs, et la mesure de la représentativité par l’audience risquait d’affaiblir fortement ses positions.

Depuis le début de son mandat, il est fascinant de voir qu'Hollande et ses équipes ne ménagent aucun effort pour donner au MEDEF ce que Laurence Parisot n’avait pas osé rêver pour lui: une présomption irréfragable de représentativité sans mesure de son audience réelle. Il s’agit bel et bien d’un coup d’Etat permanent qui se prépare.

François Hollande, le Laurent Blanc de la représentativité patronale

Si François Hollande se contentait de dire (et d’écrire dans une loi) que le MEDEF resterait représentatif, donc capable de négocier des accords et d’être l’interlocuteur du gouvernement, même dans l’hypothèse où il perdrait tous ses adhérents, au fond, la situation différerait peu de l’état actuel des choses. Mais le choix de Hollande va beaucoup plus loin que ce cadeau pourtant très important qu’il pourrait se contenter de faire. Ce que propose l’équipe Hollande consiste à passer du 5-3-2 au 6-3-1 ou au 6-2-2. Que veut dire ce charabia?

Non, il ne s’agit pas de tactique fouteballistique concoctée par Laurent Blanc avant un match contre une équipe anglaise, mais de pondération des voix dans les conseils d’administration des organismes paritaires.

Aujourd’hui, le MEDEF détient 50% des voix dans le monde patronal, la CGPME en détient 30% et l’UPA 20%. C’est le 5-3-2.

François Hollande s’est mis en tête de gonfler le nombre de voix accordées au MEDEF, en lui en accordant 60% du collège patronal au lieu de 50%. Il faut donc priver l’une des deux autres organisations patronales d’une voix pour mieux servir le MEDEF. Cette arithmétique en apparence anodine peut s’exprimer de façon plus intelligible: pour accorder plus de poids au grand capital, faut-il taper dans les sièges accordés aux entreprises de taille moyenne ou dans les sièges accordés aux artisans?

Bref, faut-il faire un 6-3-1 (formule négociée aujourd’hui entre le MEDEF et la CGPME dans le dos de l’UPA) ou un 6-2-2 (formule voulue par l’UPA)?

Le gouvernement profond et le grand capital

Cet immense cadeau fait au MEDEF en dehors de toute rationalité pose évidemment la question des ressorts à l’oeuvre au sein du gouvernement sous la présidence de Hollande. Dans la pratique, ce cadeau va bien au-delà de l’attribution de postes supplémentaires dans les conseils d’administration. Il se traduit au jour le jour par des réunions de concertation où ne siège plus que le MEDEF comme s’il incarnait à lui seul tout le monde patronal et qu’en dehors de lui plus personne n’existait.

Autrement dit, et pour être clair, c’est un gouvernement socialiste qui pratique la subordination la plus complète et la mieux consentie aux intérêts du grand capital. Cet asservissement volontaire est d’autant plus étonnant que le MEDEF ne l’a jamais demandé et qu’il suscite de fortes oppositions dans les milieux patronaux. Simplement, avec le zèle des nouveaux convertis, les hiérarques socialistes, et singulièrement les énarques qui entourent François Hollande, se sentent obligés de prôner une mise du dialogue social sous la tutelle (pourtant déjà excessive) des grandes entreprises.

La question est de savoir pourquoi (et pour quoi, d’ailleurs). La réponse demandera des décennies de débats entre historiens.

À ce stade, l’explication qui me parait la plus plausible tient d’abord à la détestation de la démocratie et à l’autoritarisme éclairé dont la réaction nobiliaire à laquelle nous assistons en France depuis plusieurs années est porteuse, et dont la gauche hollandaise est un fer de lance beaucoup plus efficace et assumé que la droite sarkozyenne. Le pouvoir d'Hollande a largement consisté à renforcer l’emprise d’un gouvernement profond exercé par une technostructure qui ne supporte pas le pluralisme sur la société française à transformer en un jardin à la française – un tout ordonné autour d’une géométrie simple, et aucune tête qui dépasse.

La formulation de cette doctrine se trouve dans la bouche d’un énarque proche de François Hollande: "dans toute démocratie, il faut un référent social unique". Il aurait pu ajouter, pour aller jusqu’au bout de sa pensée: "la démocratie, c’est le parti unique". La technostructure française, on ne le dit pas assez, est le gouvernement profond le plus hostile au monde au pluralisme, et le plus nostalgique de l’efficacité soviétique.

Cet article a été également publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !