Guerre d’Algérie : journal intime du chef d’état-major français emprisonné responsable du coup d’État d’Alger<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande en Algérie
François Hollande en Algérie
©Reuters

Bonnes feuilles

Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, André Zeller, ancien chef d’état-major de l’armée de terre, participe au coup d’État d’Alger avec les généraux Challe et Jouhaud, bientôt rejoints par le général Salan. Ce coup de force vise à maintenir l’Algérie dans la République française. Le 23 au soir, le général de Gaulle apparaît en uniforme à la télévision. Ses formules choc donnent un coup d’arrêt à l’opération. Le 6 mai à Alger, André Zeller se met à la disposition de l’autorité militaire. Incarcéré à la prison de la Santé, il est condamné à 15 ans de détention criminelle et à la privation de ses droits civiques par le haut tribunal militaire. Transféré à la maison centrale de Clairvaux puis à la prison de Tulle, il sera libéré par décret du président de la République le 13 juillet 1966, à l’âge de 68 ans. Extrait de "Journal d'un prisonnier", aux éditions Tallandier (2/2).

André Zeller

André Zeller

Ancien chef d’état-major de l’armée de terre, André Zeller a participé au coup d’État d’Alger avec les généraux Challe et Jouhaud. Le 6 mai à Alger, il se met à la disposition de l’autorité militaire. Incarcéré à la prison de la Santé, il est condamné à 15 ans de détention criminelle et à la privation de ses droits civiques par le haut tribunal militaire. Transféré à la maison centrale de Clairvaux puis à la prison de Tulle, il sera libéré par décret du président de la République le 13 juillet 1966, à l’âge de 68 ans.

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30 décembre 1961

De Gaulle prend encore la parole à la radio le 29 au soir. Mais je n’assiste pas au spectacle de la télévision. Lorsqu’un homme a fait preuve de fourberie, il n’y a plus un seul de ses mots, plus une seule de ses expressions de physionomie, plus un de ses gestes qui ne m’apparaisse comme un mensonge. De plus, cet homme faux n’a même pas la sérénité apparente qui, faute de convaincre, vous laisse froid. Derrière ce verbe grandiose transparaît cette « hargne211 » qu’il reproche à d’autres. Ce chef de l’État est un partisan avec toutes ses petitesses.

La presse n’a pas l’air enthousiaste. Il n’y a pas l’événement attendu : la négociation « réussie », la paix… La seule décision précise est le retrait de deux nouvelles divisions d’Algérie : accroissement des massacres, ouvertures des barrages, abandon de millions supplémentaires de musulmans. Nous n’avons pas été assez battus. On ne peut pas traiter, alors faisons preuve de bonne volonté en donnant au GPRA l’impression qu’il est bien vainqueur. « L’armée n’a qu’à obéir. » Que sont les vingt- trois hommes tués dans une embuscade hier? De pauvres types, dont les familles n’ont pas besoin de savoir pourquoi ils ont été tués…

31 décembre

Dimanche. Visites des familles de camarades qui n’étaient pas venues pour le jour de Noël. Lu un ouvrage intéressant de Mgr Renard214, évêque de Versailles, sur la situation actuelle de l’Église. Les années qui viennent seront des années de combat pour le catholicisme, en raison de l’accroissement énorme à prévoir des peuples non chrétiens : 3 700 millions d’habitants sur la planète en 1980 dont seulement 700 millions de catholiques. Le pourcentage de catholiques risque de tomber de 18 % à 17 %, mais la différence absolue entre la population mondiale (3 700 millions) et population catholique (700 millions) sera de 3 milliards (contre 2 400 millions actuellement). Lutter contre le communisme interne des États est indispensable. Et pourquoi décréter les musulmans imperméables ? Le remède n’est pas dans une adaptation au communisme, il est dans une contre- action. Pourquoi avoir une âme de résigné ?

Les saints n’ont jamais été des résignés, encore moins des vaincus.

1er janvier 1962

À minuit précise la porte de la cellule s’ouvre et apparaît le colonel de La Chapelle, clef en main, qui vient me souhaiter bonne année. Il est suivi d’ailleurs d’un surveillant (un brave homme, ancien sous- officier) qui me tend aussi une large main. Je crois que cet excellent homme a vidé, sur l’invitation de La Chapelle, quelques petits verres, ce qui a accru ses tendances favorables, et il n’a pas hésité à confier son trousseau à l’amphitryon, qui fait ainsi la tournée des cellules. La Marseillaise et le Chant des Africains1 résonnent au pick- up2 devant les fenêtres grandes ouvertes, à l’attention des gardes mobiles des miradors.

Il est dit que ma retraite sera troublée : le 1er janvier à 7 h 30 du matin, notre brave aumônier ordinaire (ô combien) entre la mine épanouie. Je suis en train de faire mon lit et reçois dans cette posture les souhaits de bonne année de notre chapelain. Il me souhaite « le beau temps pour faciliter mes promenades dans la cour »…

Messe à 8 h 30. Plusieurs familles arrivent à 10 heures. Petite réception à 11 h 30 dans notre salle de réunion. Je présente nos voeux de bonne année3 aux dames présentes (et absentes). Nous trouvons encore de petits cadeaux sur nos assiettes.

Cette année va être difficile. Le régime actuel nous a mis dans une impasse. Peut- être arrivera- t-il à se soutenir quelque temps à coups de propagande, de chantage et de mesures policières. Mais je pense que tout notre mal vient d’un homme. Son départ ne peut être qu’un bien. Préparer son remplacement (non par un autre homme, mais par un vrai gouvernement réellement soucieux des intérêts du pays) est le devoir des Français.

2 janvier

Dans sa proclamation du début de l’année à l’armée4, de Gaulle, faisant allusion au retrait des troupes d’Algérie, l’explique par la nécessité de « se préparer aux grandes actions guerrières qui peuvent être imposées au pays… ».

Ceci fait partie du jeu à double face : c’est l’argument ad usummilitium. À la masse du pays, on montre l’évacuation de l’Algérie comme un acte de paix, et pour consoler les militaires, on leur fait miroiter des « actions guerrières ». Malheureusement, dans le monde moderne pourvu d’excellents moyens de diffusion, il n’y a plus d’auditoires distincts. Et les Français, civils et militaires, pourraient tous demander : « Qui trompe- t-on ? » En particulier, les pères de famille dont les enfants vont être retirés d’Algérie pour être jetés dans les « grandes actions guerrières ».

J’ajoute que la réunion de quatre divisions dans nos marches de l’Est ne nous suffit pas pour nous permettre de battre les Soviets.

J’ajoute que, assez au courant des problèmes budgétaires6, je sais que ces quatre divisions ne peuvent être équipées, faute de crédits suffisants, en unités vraiment modernes.

Extrait de Journal d'un prisonnier, André Zeller, aux éditions Tallandier, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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