Guerre au Sahel : Manuel Valls en fait-il trop au sujet d’un conflit que la France est loin d’avoir réglé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats de l'armée malienne.
Des soldats de l'armée malienne.
©Reuters

Cocorico

Alors que Manuel Valls a déclaré que la réconciliation au Mali était en bonne voie et que la France se portait "garante" de cette paix, le Premier ministre s'est sans doute un peu trop précipité, la situation dans la région étant encore loin d'être réglée.

Antoine Glaser

Antoine Glaser

Antoine Glaser est un journaliste et écrivain.

Il est le fondateur et l'ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent, lettre confidentielle bimensuelle consacrée à l'Afrique.

Il est l'auteur de Comment la France a perdu l'Afrique (Hachette Littératures, 2006) et Sarko en Afrique (Plon, 2008)

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Atlantico : En visite officielle au Mali, Manuel Valls a salué la "réconciliation en marche" dans ce pays, assurant que la France continue à se porter "garante" de cet accord. S'agit-il d'un élément de langage, ou bien est-il dans le vrai ?

Antoine Glaser :La déclaration de Manuel Valls insistant sur le fait que la France se portait garante de cette réconciliation est un peu étonnante. La France a toujours évité d'être en première ligne politiquement sur cette réconciliation, étant très souvent accusée de soutenir un peu trop les Touaregs, surtout dans la période cruciale où l'armée française avait besoin de leurs connaissances dans le nord. La France était totalement effacée derrière l'Algérie. Cette réconciliation s'est faite en Algérie avec l'accord d'Alger. C'est donc un peu surprenant de voir le Premier ministre affirmer que la France était garante de cette réconciliation.

Ceci dit, autant il est vrai qu'il y a toujours autant de problèmes dans le nord avec les djihadistes qui attaquent les missions des Nations unies, autant il est aussi exact qu'il y a moins de problèmes qu'auparavant entre Maliens (même si au nord c'est toujours très sensible entre les Touaregs et un certain nombre de populations du sud du pays).

Compte tenu de la situation dans le nord, on ne peut pas vraiment dire que tout ce qui était prévu dans les accords d'Alger, en particulier en matière de décentralisation et de redistribution d'un certain nombre de mannes financières à des collectivités locales du nord, soit actuellement entré en vigueur… Il y a toujours une division qui reste très sensible dans le nord. On ne peut pas dire que la France se porte garante de la réconciliation. C'est vrai qu'il y a moins de problèmes entre les populations et qu'il y a moins de problèmes entre le mouvement national de libération de l'Azawad, les anciens indépendantistes, et le gouvernement central. Nous sommes au début de quelque chose, au début d'un processus, mais ce processus n'est pas réellement engagé.

Peut-on parler de démarche uniquement militaire de la part de la France, ou y a-t-il quelque chose d'autre derrière ?

Nous ne pouvons pas dire que la France soit vraiment partie intégrante dans cet accord, qui est bien plus garanti par l'Algérie que par la France. La France soutient évidemment le processus, elle fait sans doute pression sur le gouvernement malien pour qu'il y ait beaucoup plus de décentralisation. Mais très franchement, au vu de la situation d'insécurité qui règne encore dans le nord du pays, et au vu de la mise en place de tout ce qui était prévu au niveau institutionnel, cela n'a pas vraiment démarré.

Au-delà du Mali, la France est présente sur plusieurs zones de la région. Quel bilan peut-on tirer de son action dans ce secteur ?

Il faut bien distinguer les opérations. L'opération Serval (avec intervention militaire française, qui a eu lieu de janvier 2013 à juillet 2014) qui concernait uniquement le Mali, et qui était l'opération la plus importante depuis celle de Colvisy en 1978 sous Giscard d'Estaing avec 4500 militaires dans l'ex-Zaïre. Cette opération a empêché les djihadistes qui occupaient le nord du Mali de descendre vers Bamako. L'opération Barkhane est totalement différente. C'est une opération de soutien militaire à un partenariat qu'on appelle G5 Sahel (Mauritanie, Niger, Mali, Burkina Faso, Tchad), et une force de réaction rapide à la mission des Nations unies dans la région (Minusma). Quand cette dernière, qui compte environ 10 000 hommes, a des problèmes, la France est supposée venir en soutien à cette opération onusienne.

La réalité, c’est qu’il y a actuellement beaucoup de communication politique à l’occasion de ce voyage sur la réussite de l’opération Barkhane. Mais 3500 militaires français sur une superficie de 3 millions de km², c’est absolument ingérable. En Afghanistan, les Américains avaient 150 000 soldats sur 600 000 km², environ la superficie de la France. Ici, on a 3500 militaires sur la superficie de l’Europe ! La France a énormément de difficultés, même si on en parle peu car finalement il y a peu de pertes du côté de l’armée française. Il y en a en revanche énormément du côté des Nations unies : il y a encore quelques jours, six soldats guinéens qui sont morts à Kidal, avec quatre militaires maliens. Tous les jours ou tous les deux jours, il y a des opérations djihadistes contre les forces des Nations unies, et la France est absolument incapable de jouer un rôle de soutien.

Où en est le terrorisme dans la région ? De même, y a-t-il aujourd'hui un risque de massacres inter-etniques ?

L’opération Serval a été un peu le coup de pied dans la fourmillière. Ils ont effectivement tué un certain nombre de djihadistes, l’opération a surtout eu lieu dans le massif des Ifoghas au nord du Mali, là où étaient détenus pendant toute une période des otages français. Après l’opération Serval, la stratégie des djihadistes a totalement changé : ils se concentrent maintenant sur des attentats ciblés, comme ils l’ont fait à Paris, à Bamako et à Ouagadougou. Avec très peu de soldats, ils contournent l’opération Barkhane et attaquent directement les intérêts des Occidentaux dans les capitales africaines. C’est une réussite, dans le sens ou ce que veulent absolument ces terroristes, en particulier les hommes de Belmokhtar et les franchisés d’Aqmi, c’est faire fuir les Occidentaux de toute cette région sahélo-saharienne. On parle toujours des hommes d’affaires mais, par exemple, un pays comme le Burkina Faso est vraiment le pays des ONG humanitaires : il y avait 700 ONG à un moment donné. Ils veulent faire fuir les Occidentaux pour appauvrir ces régions et recruter de nouveaux éléments. A Bamako ou Ouagadougou, vous avez des dizaines de milliers de jeunes sans emploi qui peuvent être recrutés très facilement par des réseaux. Cela commence toujours par des associations wahhabites ou salafistes de bienfaisance…

Autant l’opération Serval était très ciblée, avec plusieurs opérations qui ont réussi, autant le succès de l’opération Barkhane est mitigé. On parle beaucoup de sécurité, très peu de développement et d’humanitaire. A long terme, on ne voit pas comment les djihadistes ne pourraient pas faire fuir les Occidentaux. Il suffit de regarder la carte de cette région sur la partie "conseil aux voyageurs" du site du quai d’Orsay : quasiment tout est en rouge ! Personne ne peut aller là-bas, même pour y travailler, sans avoir des mesures de sécurité extrêmement importantes.

Pour ce qui est des ethnies, on ne peut pas dire qu’il y ait un risque de génocide. Ce risque est beaucoup plus présent dans la région des Grands Lacs avec ce qu’il se passe au Burundi et la confrontation avec le Rwanda : il peut y avoir de nouveaux problèmes entre Hutus et Tutsis. Au Sahel, on parle plutôt d’appauvrissement : c’est une région abandonnée avec une démographie très forte. Le risque ici, c’est que l’opération Barkhane ne puisse pas empêcher le renforcement actuel de l’Etat Islamique en Libye. Tout le monde est très inquiet de ce qu’il va se passer là-bas, même si les Nations unies essayent d’installer un gouvernement d’union nationale. Pour l’instant, il y a toujours des recrutements très importants en Libye. C’est là où les djihadistes, que ce soit les Algériens type Belmokhtar et anciens d’Aqmi ou d’autres issus du Mujao et qui viennent d’Afrique noire, peuvent venir récupérer de l’armement.

Ce qui se joue actuellement au Sahel et au Mali est-il différent de la Françafrique d’il y a quelques décennies ? Est-ce que la France respecte davantage aujourd’hui la souveraineté des Etats ?

La France est la seule puissance occidentale à avoir 10 000 hommes sur un certain nombre de bases. Il y a bien sûr la base de Djibouti où il y a des Américains, des Chinois, maintenant des Japonais, mais qui sont plutôt tournés vers les pays du Golfe et la corne de l’Afrique. Avant, la France défendait les intérêts occidentaux et ses propres intérêts stratégiques et économiques du temps de la Guerre froide contre les Soviétiques. Maintenant, nous avons l’impression que les interventions de la France sont vertueuses et qu’elle défend les intérêts occidentaux contre les djihadistes. Mais le problème de la France, c’est que selon les pays africains, elle reste toujours la seule puissance occidentale à avoir des militaires. Il y a un nouveau discours. La France affirme être dans le Sahel pour soutenir les pays sahéliens contre l’islamisme et le terrorisme, mais quand elle fait ça elle défend aussi l’Europe et ses propres intérêts. La réalité, c’est qu’on pourrait imaginer que sans le problème du Sahara occidental, l’Algérie et le Maroc seraient bien plus à la tête de la lutte antiterroriste que la France. Jusqu’à quand la France doit assurer la sécurité de l’Afrique et de ses propres intérêts occidentaux dans cette région ? On peut se poser la question.

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